- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
J’examine la décision afin de rédiger le commentaire d’arrêt demandé.
La responsabilité pour insuffisance d’actif constitue l’un des mécanismes les plus redoutés par les dirigeants de sociétés en difficulté. L’article L. 651-1 du code de commerce permet au tribunal de mettre à la charge des dirigeants de droit ou de fait tout ou partie de l’insuffisance d’actif lorsqu’une faute de gestion a contribué à celle-ci. La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 17 juin 2025, apporte un éclairage significatif sur les conditions d’engagement de cette responsabilité.
Une société par actions simplifiée exerçant une activité de conseil et négoce dans le domaine médical a été constituée le 11 février 2019. Elle était détenue intégralement par une société holding, elle-même représentée par une personne physique. Cette holding centralisait la trésorerie de plusieurs filiales dans le cadre de conventions de trésorerie et d’assistance générale. La date de cessation des paiements de la filiale a été fixée au 31 décembre 2019 par jugement du 18 novembre 2020 prononçant sa liquidation judiciaire. La déclaration de cessation des paiements était intervenue le 10 novembre 2020, soit huit mois après l’expiration du délai légal de quarante-cinq jours.
Le liquidateur judiciaire de la société a assigné le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif, lui reprochant deux fautes de gestion : le retard dans la déclaration de cessation des paiements et la mise en œuvre d’une convention de trésorerie qualifiée de douteuse ayant permis des remontées de fonds excessives vers la holding. Par jugement du 7 février 2024, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a condamné le dirigeant à payer 303 440 euros au liquidateur. Le dirigeant a interjeté appel.
La question posée à la cour d’appel de Poitiers était celle de savoir si les fautes de gestion reprochées au dirigeant étaient caractérisées et avaient contribué à l’insuffisance d’actif de la société en liquidation.
La cour d’appel infirme le jugement déféré et déboute le liquidateur de l’ensemble de ses demandes. Elle considère que le retard de déclaration, bien qu’objectivé, « est manifestement lié à un élément de contexte et ne saurait constituer en soi une faute de gestion imputable au dirigeant ». Elle juge par ailleurs que les conventions de trésorerie « s’inscrivent dans un schéma classique en matière de groupes de sociétés » et n’ont « rien de douteux ».
Cette décision invite à examiner successivement le refus de qualifier le retard déclaratif de faute de gestion au regard du contexte sanitaire (I), puis l’appréciation favorable portée sur les opérations de trésorerie intragroupe (II).
I. Le retard de déclaration de cessation des paiements neutralisé par le contexte sanitaire
L’arrêt retient une appréciation circonstanciée du retard déclaratif (A), ce qui conduit à s’interroger sur les limites de cette approche contextuelle (B).
A. L’appréciation in concreto du manquement au délai légal
L’article L. 640-4 du code de commerce impose au dirigeant de demander l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire dans les quarante-cinq jours suivant la cessation des paiements. Le non-respect de ce délai constitue traditionnellement une faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif. En l’espèce, la cour constate objectivement un retard de huit mois entre l’expiration du délai légal, fixée au 15 février 2020, et la déclaration effective du 10 novembre 2020.
La cour refuse toutefois de qualifier ce retard de faute de gestion. Elle relève que « la date limite de la déclaration de cessation de paiements a été rapidement suivie du confinement lié à la pandémie du Covid 19 qui a mis le pays dans un état de totale paralysie ». Elle ajoute que « l’objet social de l’entreprise en difficulté était en lien direct avec l’activité médicale, particulièrement affectée par le contexte de crise sanitaire ». Cette motivation témoigne d’une volonté de contextualiser l’appréciation de la faute, plutôt que de retenir une qualification mécanique fondée sur le seul constat du dépassement du délai.
B. Les interrogations soulevées par l’exonération contextuelle
Cette approche soulève des questions quant à ses implications. La cour semble admettre que des circonstances extérieures exceptionnelles puissent neutraliser la qualification de faute de gestion, alors même que le manquement objectif à l’obligation légale est avéré. Ce raisonnement s’apparente à une forme de cause exonératoire de responsabilité, sans que la cour ne la qualifie expressément ainsi.
La référence à la paralysie du pays durant le confinement pourrait constituer un cas de force majeure, si les critères d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité étaient réunis. La cour ne procède pas à cette analyse, se contentant d’évoquer un « élément de contexte ». Cette formulation laisse subsister une incertitude sur la portée exacte du raisonnement retenu. Elle conduit à examiner si cette solution constitue une décision d’espèce, strictement liée aux circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire, ou si elle pourrait être étendue à d’autres situations de paralysie économique ou administrative.
La neutralisation du retard déclaratif conduit à examiner le second grief relatif aux opérations de trésorerie intragroupe.
II. La légitimation des flux de trésorerie au sein du groupe de sociétés
La cour valide le schéma de centralisation de trésorerie mis en place (A) et précise les éléments indifférents à la caractérisation de la responsabilité (B).
A. La reconnaissance de la normalité des conventions de trésorerie intragroupe
Le liquidateur reprochait au dirigeant d’avoir mis en œuvre une convention de trésorerie « douteuse », signée antérieurement à la constitution de la société concernée, et d’avoir procédé à des remontées de fonds excédant les capacités financières de la filiale. La cour écarte ces griefs par une motivation circonstanciée.
Elle observe que « les conventions litigieuses s’inscrivent dans un schéma classique en matière de groupes de sociétés, la société mère centralisant la trésorerie aux fins de la redistribuer en fonction des besoins des filiales, dans l’intérêt commun du groupe ». Elle ajoute que la filiale « a pu, dès sa création, intégrer ce mode de fonctionnement qui lui préexistait ». La cour relève trois éléments justifiant les mouvements de trésorerie : les avances réciproques étaient rémunérées conformément à l’article 3 de la convention, les flux ont été effectués dans les deux sens puisque la holding était également créancière de la filiale, et la redistribution aux sociétés employant des salariés pouvait se justifier dès lors que la filiale n’en comptait aucun.
B. L’indifférence de certains éléments dans l’appréciation de la responsabilité
La cour apporte deux précisions complémentaires. Elle critique d’abord la motivation des premiers juges qui avaient indiqué que « le groupe a périclité et que seules les sociétés marocaines subsistent », affirmant « peiner à en saisir le sens » si cet élément a été déterminant dans la condamnation. Cette remarque illustre l’exigence de motivation rigoureuse en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif.
Elle précise ensuite qu’ « aucun profit de l’appelant n’a été démontré, et en toute hypothèse, cette circonstance demeurerait sans incidence, la responsabilité pour insuffisance d’actif n’en exigeant pas la caractérisation ». Ce rappel confirme que l’enrichissement personnel du dirigeant n’est pas une condition d’engagement de sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 651-1 du code de commerce. La faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif suffit, indépendamment de tout avantage tiré par le dirigeant. L’absence d’enrichissement personnel ne constitue donc ni une condition ni un critère d’appréciation de cette responsabilité.