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Le régime du recours personnel de la caution solvens constitue une question récurrente du droit du cautionnement, source de contentieux nourris quant à l’étendue des sommes recouvrables par le garant qui a honoré son engagement.
La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 17 juin 2025, précise les contours de ce recours, tant au regard du taux d’intérêt applicable qu’au regard des frais susceptibles d’être réclamés au débiteur principal.
Les faits de l’espèce sont classiques en matière de cautionnement bancaire. Le 27 janvier 2022, un établissement de crédit consent un prêt immobilier de 93 316,91 euros à deux époux, au taux conventionnel de 1,36 % l’an, remboursable en 240 mensualités. Une société de cautionnement s’était portée garante de ce prêt quelques jours auparavant, le 14 janvier 2022, dans la limite de 98 316,19 euros. Les emprunteurs ayant cessé d’honorer les échéances, le prêteur les met en demeure le 7 décembre 2022 puis prononce la déchéance du terme le 20 janvier 2023. La caution est appelée en garantie le 25 janvier 2023 et règle la somme de 97 780,19 euros, dont quittance subrogative lui est délivrée le 29 mars 2023.
La caution met alors les débiteurs en demeure de la rembourser puis les assigne en paiement devant le tribunal judiciaire de Niort. Par jugement du 18 mars 2024, les époux sont condamnés solidairement au paiement de la somme réclamée, mais le tribunal assortit cette condamnation du taux d’intérêt conventionnel du prêt, soit 1,36 %, et rejette la demande de remboursement intégral des frais exposés par la caution. La société de cautionnement interjette appel le 7 mai 2024, contestant l’application du taux conventionnel et réclamant le remboursement de l’ensemble de ses frais.
La cour d’appel de Poitiers devait répondre à deux questions. D’une part, quel taux d’intérêt s’applique à la créance de la caution exerçant son recours personnel contre le débiteur principal ? D’autre part, les frais de procédure engagés par la caution pour recouvrer sa créance sont-ils indemnisables au titre du recours personnel ?
Sur le premier point, la cour infirme le jugement et retient l’application du taux légal. Elle relève que « la stipulation figurant dans le contrat de prêt, selon laquelle à l’occasion de son recours, le taux d’intérêt conventionnel au contrat de prêt s’imposerait à la Compagnie ne lie pas celle-ci », dès lors que la caution n’est pas partie au contrat de prêt et que l’acte de cautionnement ne reprend pas cette stipulation. Sur le second point, la cour confirme le rejet de la demande de remboursement des frais d’avocat, considérant que « ces factures ont trait aux frais engagés par la caution à l’occasion de ses propres poursuites à l’encontre du débiteur » et non aux frais postérieurs à la dénonciation des poursuites du créancier contre elle.
Cet arrêt mérite examen tant au regard de la détermination du taux d’intérêt applicable au recours de la caution (I) qu’au regard de la délimitation des frais recouvrables dans ce cadre (II).
I. La détermination du taux d’intérêt applicable au recours personnel de la caution
La cour d’appel de Poitiers apporte une réponse ferme sur le taux d’intérêt applicable, en affirmant le principe de l’application du taux légal (A) tout en précisant les conditions dans lesquelles une convention contraire pourrait déroger à ce principe (B).
A. L’affirmation du principe de l’application du taux légal
La cour rappelle le fondement textuel du recours personnel de la caution. Elle vise l’article 2308 du code civil, dans sa version issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021, applicable aux cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022. Ce texte dispose que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais » et précise que « les intérêts courent de plein droit du jour du paiement ».
La cour s’appuie également sur une jurisprudence établie de la Cour de cassation. Elle cite un arrêt de la première chambre civile du 22 mai 2002 selon lequel « la caution qui a payé a droit aux intérêts de la somme qu’elle a acquittée entre les mains du créancier, au taux d’intérêt légal à compter de ce paiement, sauf convention contraire conclue par elle avec le débiteur et fixant un taux d’intérêt différent ».
L’application du taux légal constitue ainsi le droit commun du recours personnel. Cette solution se justifie par l’autonomie du recours personnel par rapport au contrat principal. La caution qui exerce ce recours fait valoir une créance propre, distincte de celle du créancier originaire. Elle ne se trouve pas dans la situation du subrogé qui exercerait les droits du créancier désintéressé. Le taux conventionnel du prêt, stipulé entre le prêteur et l’emprunteur, ne saurait donc s’imposer de plein droit à la caution dans l’exercice de son recours personnel.
B. L’exigence d’une convention expresse pour déroger au taux légal
Le prêteur avait inséré dans l’offre de prêt une clause selon laquelle « l’emprunteur et la Compagnie conviennent que le recours de cette dernière portera également sur le recouvrement des intérêts au taux conventionnel prévu au prêt ». Cette stipulation visait à permettre à la caution de recouvrer les intérêts au taux du prêt, potentiellement plus avantageux que le taux légal selon les périodes.
La cour écarte l’opposabilité de cette clause à la caution en mobilisant deux arguments. Elle relève d’abord que « l’offre de prêt n’a été signée, outre par les emprunteurs, que par la seule Caisse d’Epargne » et que « la seule circonstance que la Caisse d’Epargne y déclare être garantie par la Compagnie Européenne de garantie et de cautionnement ne signifie pas que cette dernière soit partie à l’offre de prêt ». Le principe de l’effet relatif des contrats, rappelé par la cour au visa de l’article 1199 du code civil, fait obstacle à ce qu’une stipulation du contrat de prêt lie la caution qui n’y est pas partie.
La cour observe ensuite que « l’engagement de caution se borne à rapporter les caractéristiques du prêt cautionné, dont notamment son taux conventionnel de 1,36 %, mais sans venir reprendre à son compte la stipulation de l’offre de prêt ». La simple mention du taux du prêt dans l’acte de cautionnement ne vaut pas acceptation par la caution d’une convention sur le taux de son recours. Une telle convention supposerait une manifestation de volonté expresse et non équivoque.
Cette analyse rigoureuse préserve l’autonomie de la volonté de la caution. Elle invite les établissements de crédit et les sociétés de cautionnement à formaliser expressément, dans l’acte de cautionnement lui-même, toute convention relative au taux d’intérêt du recours.
II. La délimitation des frais recouvrables au titre du recours personnel
La cour précise le périmètre des frais susceptibles d’être recouvrés par la caution, en distinguant nettement les frais liés aux poursuites subies par la caution (A) des frais liés aux poursuites qu’elle exerce elle-même (B).
A. La distinction entre frais des poursuites subies et frais des poursuites exercées
L’article 2308 du code civil prévoit que la caution peut recouvrer « les intérêts et les frais », mais précise que « ne sont restituables que les frais postérieurs à la dénonciation, faite par la caution au débiteur, des poursuites dirigées contre elle ». Cette formulation délimite strictement les frais recouvrables.
Les frais visés par le texte sont ceux que la caution engage pour se défendre face aux poursuites du créancier. La ratio legis est claire. Lorsque la caution est poursuivie par le créancier, elle supporte des frais pour y faire face. Ces frais résultent directement de la défaillance du débiteur principal qui, en ne payant pas sa dette, a contraint le créancier à actionner la garantie. La condition de dénonciation préalable au débiteur vise à lui permettre de prendre ses dispositions et, le cas échéant, d’éviter à la caution d’engager des frais inutiles.
En revanche, les frais que la caution engage ensuite pour exercer son propre recours contre le débiteur relèvent d’une logique différente. Ces frais ne sont pas la conséquence des poursuites du créancier contre la caution mais de l’action que la caution décide d’intenter contre le débiteur. Ils constituent des frais de procès ordinaires.
B. Le cantonnement des frais de poursuite aux frais irrépétibles
La société de cautionnement réclamait le remboursement de ses frais d’avocat engagés tant en première instance qu’en appel, pour un montant total de 6 200 euros. Elle fondait cette demande sur le recours personnel de l’article 2308 du code civil et sur la jurisprudence admettant l’indemnisation du préjudice résultant du comportement du débiteur.
La cour rejette cette prétention par une motivation en deux temps. Elle constate d’abord que « la Compagnie n’allègue ni ne justifie de quelconques frais qu’elle aurait engagés à l’occasion des poursuites exercées contre elle par l’établissement de crédit prêteur ». En l’espèce, la caution a été appelée en garantie par simple courrier et a payé sans qu’une procédure contentieuse soit engagée contre elle. Elle n’a donc pas supporté de frais au titre des poursuites du créancier.
La cour qualifie ensuite les frais réclamés. « Les frais d’avocats dont elle demande paiement sont très exactement ceux qu’elle a engagés à l’occasion de l’exercice de son recours personnel contre les débiteurs principaux. Ils sont donc assimilables à des frais non compris dans les dépens, et ne constituent pas un préjudice réparable. » La cour vise la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle « les frais de procès non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ».
Cette solution cantonne la demande de la caution aux frais irrépétibles de droit commun. La cour alloue ainsi 500 euros pour la première instance et 2 500 euros pour l’appel, sommes qui relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La caution ne peut donc prétendre au remboursement intégral de ses frais d’avocat sur le fondement de son recours personnel.