Cour d’appel de Poitiers, le 2 septembre 2025, n°24/02686

Par son arrêt du 2 septembre 2025, la Cour d’appel de Poitiers, statuant sur renvoi après cassation, a été amenée à se prononcer sur l’extinction d’une instance fiscale par désistement conditionnel. Cette décision, bien que procédurale, illustre les mécanismes de résolution amiable des litiges fiscaux relatifs à l’impôt de solidarité sur la fortune.

En 2009 et 2010, deux contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune ont souscrit au capital d’une société holding pour un montant total de vingt-deux mille euros. Ils ont bénéficié de la réduction d’impôt prévue par l’article 885-0V bis du code général des impôts, applicable aux investissements dans les PME. En 2012, l’administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité de la société concernée. Elle a conclu que cette société n’était pas une holding animatrice au sens des textes applicables. Une proposition de rectification a été adressée aux contribuables le 12 décembre 2012, réclamant un rehaussement de près de dix-neuf mille euros pour les deux années concernées.

Les contribuables ont contesté cette rectification. Leur réclamation contentieuse a été rejetée le 20 juillet 2018. Ils ont saisi le tribunal de grande instance de La Rochelle qui, par jugement du 26 août 2019, a prononcé la nullité de la procédure fiscale et déchargé les intéressés des rehaussements. L’administration fiscale a interjeté appel. La Cour d’appel de Poitiers a confirmé le jugement par arrêt du 19 octobre 2021. L’administration a formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt le 18 septembre 2024 et renvoyé l’affaire devant la même cour autrement composée.

Devant la cour de renvoi, l’administration fiscale a formalisé un désistement conditionnel de sa déclaration de saisine. Elle subordonnait ce désistement à la renonciation de la contribuable au bénéfice du jugement de première instance et au paiement intégral des sommes dues. La contribuable a accepté ces conditions.

La question posée à la cour était de déterminer si un désistement conditionnel pouvait produire ses effets lorsque les conditions posées par le demandeur ont été satisfaites par le défendeur.

La cour a constaté la renonciation de la contribuable au bénéfice du jugement, donné acte du paiement du rehaussement, déclaré le désistement parfait et prononcé son dessaisissement.

Le désistement conditionnel apparaît comme un instrument de pacification du contentieux fiscal (I). Sa mise en œuvre révèle toutefois une économie procédurale particulière qui interroge sur l’équilibre des positions des parties (II).

I. Le désistement conditionnel comme instrument de résolution négociée du litige fiscal

Le désistement d’instance constitue un acte de procédure par lequel une partie renonce à poursuivre l’instance engagée. L’article 394 du code de procédure civile dispose que « le désistement d’instance n’emporte pas renonciation à l’action ». Toutefois, lorsque ce désistement est assorti de conditions acceptées par l’adversaire, il peut produire des effets plus étendus (A). L’acceptation de ces conditions par la partie adverse transforme la nature même de l’accord intervenu (B).

A. La licéité du désistement sous condition

L’arrêt du 2 septembre 2025 valide la pratique du désistement conditionnel. L’administration fiscale a « fait connaître qu’elle se désistait de sa déclaration de saisine […] sous réserve de la renonciation » de la contribuable au jugement favorable et du « paiement des sommes dues ». Cette formulation traduit un mécanisme contractuel transposé dans le champ procédural.

Le code de procédure civile ne prohibe pas les désistements conditionnels. L’article 395 prévoit que le désistement n’est parfait que par l’acceptation du défendeur lorsque celui-ci a préalablement formé une demande incidente. La jurisprudence admet plus largement que les parties puissent aménager les conditions de leur désistement réciproque. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’accord des parties sur les modalités d’extinction de l’instance relevait de leur pouvoir de disposition.

En l’espèce, la condition posée par l’administration consistait en une double exigence : la renonciation au jugement et le paiement effectif. Ces deux éléments, une fois réunis, ont permis à la cour de constater que « le désistement parfait » était intervenu.

B. L’acceptation comme perfectionnement de l’accord

La contribuable a expressément accepté les conditions posées par l’administration. Elle a demandé à la cour de lui « donner acte qu’elle renonce au bénéfice du jugement » et « qu’elle a exécuté […] le rehaussement prononcé ». Cette acceptation transforme le désistement simple en accord procédural complet.

La cour relève que c’est « selon accord des parties » qu’elle constate la renonciation et le paiement. La formule souligne le caractère négocié de l’issue du litige. Le désistement n’est plus un acte unilatéral mais le résultat d’une transaction procédurale où chaque partie fait des concessions. L’administration renonce à la poursuite de l’instance devant la cour de renvoi. La contribuable renonce à l’autorité de la chose jugée du jugement qui lui était favorable.

Cette mécanique s’inscrit dans une logique de règlement amiable des litiges fiscaux. Elle permet d’éviter les aléas d’une nouvelle décision sur le fond après cassation. Elle assure à l’administration le recouvrement effectif de sa créance et offre à la contribuable la clôture définitive du contentieux.

II. L’économie procédurale d’un désistement aux effets amplifiés

Le désistement intervenu présente des caractéristiques singulières qui dépassent le simple abandon de l’instance. La renonciation au bénéfice d’un jugement devenu irrévocable soulève des questions sur la portée de l’accord (A). La répartition des frais retenue par la cour illustre enfin la volonté de neutralisation des effets patrimoniaux de la procédure (B).

A. La renonciation au jugement comme dépassement du désistement d’instance

La cour constate la « renonciation par [la contribuable] à tous les effets du jugement du tribunal de grande instance de La Rochelle du 26 août 2019 ». Cette formulation traduit un effet qui excède le simple désistement d’instance. La renonciation porte sur une décision qui avait acquis force de chose jugée à l’égard de l’administration, dans la limite de la cassation partielle.

L’administration avait qualifié cette renonciation de « désistement d’action et acquiescement à la proposition de rectification ». Cette qualification emporte des conséquences substantielles. Le désistement d’action, prévu par l’article 394 alinéa 2 du code de procédure civile, « emporte renonciation à l’action » et interdit toute nouvelle instance sur le même objet. L’acquiescement à la prétention adverse constitue une reconnaissance du bien-fondé de celle-ci.

La cour ne reprend pas expressément cette qualification dans son dispositif. Elle se borne à constater la renonciation aux effets du jugement et à donner acte du paiement. Cette prudence rédactionnelle laisse subsister une interrogation sur la nature exacte de l’accord intervenu. La contribuable a-t-elle simplement renoncé à se prévaloir d’une décision favorable ou a-t-elle reconnu le bien-fondé de la rectification fiscale ?

Cette distinction n’est pas sans portée pratique. Dans l’hypothèse où des circonstances nouvelles viendraient à révéler une erreur dans la proposition de rectification, la qualification retenue déterminerait la possibilité pour la contribuable d’agir en répétition de l’indu.

B. La neutralisation des effets patrimoniaux de la procédure

La cour décide que « chaque partie conservera ses frais et dépens exposés dans le cadre de la présente procédure ». Cette solution s’écarte du principe selon lequel la partie qui succombe supporte les dépens. Elle traduit la volonté de tirer toutes les conséquences du caractère négocié de l’extinction de l’instance.

Le partage des frais constitue une clause usuelle des transactions. Il évite qu’une partie puisse se prévaloir d’une position de vainqueur alors que le litige s’est éteint par accord mutuel. En l’espèce, bien que la contribuable ait payé l’intégralité du rehaussement, elle n’est pas condamnée aux dépens de l’ensemble de la procédure. Cette solution préserve un équilibre apparent entre les parties.

Cette répartition ne concerne toutefois que la procédure devant la cour de renvoi. Les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile par le jugement de première instance et l’arrêt cassé demeurent exécutoires pour celles qui n’ont pas été atteintes par la cassation. La portée patrimoniale de la renonciation de la contribuable doit donc être appréciée au regard de l’ensemble des frais exposés depuis l’origine du litige.

L’arrêt commenté illustre la plasticité du désistement d’instance en matière fiscale. Il démontre que les parties disposent d’une marge de manœuvre significative pour organiser l’extinction de leur litige, y compris après cassation. Cette solution participe d’une conception pragmatique de la procédure civile où l’accord des parties prime sur la recherche d’une vérité judiciaire. Elle soulève néanmoins des interrogations sur l’égalité des armes lorsqu’une partie, confrontée aux aléas d’une nouvelle instance après renvoi, consent à renoncer à une décision qui lui était favorable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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