Cour d’appel de Poitiers, le 3 juillet 2025, n°22/01934

Par arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Poitiers s’est prononcée sur une requête en omission de statuer dans le cadre d’un contentieux prud’homal relatif à une demande de rappels de salaires consécutive à une résiliation judiciaire du contrat de travail.

Un salarié, employé par une société de restauration placée en redressement judiciaire puis soumise à un plan de continuation, avait saisi le conseil de prud’hommes de Rochefort afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur ainsi que le paiement de diverses sommes. Par jugement du 25 octobre 2021, la juridiction prud’homale avait prononcé cette résiliation et condamné l’employeur au versement de rappels de salaires pour la période d’octobre 2018 à avril 2021, outre diverses indemnités. Le salarié, estimant que la juridiction n’avait pas statué sur sa demande de rappels de salaires pour la période postérieure jusqu’à la date effective de rupture, soit de juin à octobre 2021, a formé une requête en omission de statuer sur le fondement de l’article 463 du code de procédure civile. Par jugement du 27 juin 2022, le conseil de prud’hommes de Rochefort a rejeté cette requête. Le salarié a relevé appel de cette décision.

Devant la cour d’appel de Poitiers, le salarié soutenait avoir formulé dans ses écritures de première instance une demande de rappels de salaires « augmentés à la date de la rupture » et que le conseil de prud’hommes avait omis d’y répondre. L’employeur répliquait que les demandes effectivement présentées devant le bureau de jugement ne comportaient pas de prétention relative aux salaires postérieurs à avril 2021. La question posée à la cour était de déterminer si le conseil de prud’hommes avait effectivement omis de statuer sur un chef de demande dont il avait été saisi, au sens de l’article 463 du code de procédure civile.

La cour d’appel de Poitiers a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, rejetant la requête en omission de statuer. Elle a retenu que le salarié ne rapportait pas la preuve d’avoir effectivement présenté cette demande devant la juridiction prud’homale.

I. L’exigence d’une demande effectivement formulée comme condition de l’omission de statuer

A. Le rappel du régime de l’omission de statuer en procédure civile

La cour d’appel de Poitiers rappelle avec précision le cadre juridique applicable à la requête en omission de statuer. Elle cite l’article 463 du code de procédure civile selon lequel « la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs ». Cette disposition constitue un mécanisme de réparation des oublis judiciaires, permettant au juge de compléter sa décision lorsqu’il a omis de trancher une prétention qui lui était soumise.

L’arrêt précise utilement la nature de l’omission de statuer en indiquant qu’elle « porte sur un chef de demande que le juge n’a pas examiné et sur lequel il ne s’est pas prononcé ». La cour ajoute qu’il peut également s’agir de « l’omission dans le dispositif de la décision de la réponse à une prétention sur laquelle le juge s’est expliqué dans les motifs ». Cette distinction entre l’omission totale d’examen et l’omission de transcription dans le dispositif éclaire les différentes formes que peut revêtir ce vice de la décision. L’omission de statuer se distingue ainsi de l’infra petita, qui suppose que le juge ait bien été saisi d’une demande mais y ait répondu de manière incomplète.

La condition essentielle posée par l’arrêt réside dans l’exigence que le juge ait été « effectivement saisi » de la demande prétendument omise. Cette formulation rejoint une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui subordonne le succès de la requête en omission de statuer à la démonstration que la prétention figurait bien parmi celles dont la juridiction était saisie. Le juge ne saurait compléter sa décision pour y intégrer une demande qui ne lui a jamais été présentée.

B. L’articulation avec l’oralité de la procédure prud’homale

L’arrêt soulève une difficulté particulière tenant à la nature orale de la procédure prud’homale. La cour rappelle les dispositions de l’article R. 1453-3 du code du travail selon lesquelles « la procédure prud’homale est orale ». Cette caractéristique emporte des conséquences probatoires significatives quant à la détermination des demandes effectivement soumises au juge.

En procédure écrite, les dernières conclusions déposées fixent l’objet du litige et déterminent les chefs de demande sur lesquels le juge doit statuer. L’oralité de la procédure prud’homale modifie cette logique puisque les prétentions peuvent être formulées oralement à l’audience. Dès lors, la preuve des demandes effectivement présentées ne résulte pas nécessairement des écritures mais peut dépendre des mentions du jugement relatant les prétentions des parties.

La cour d’appel de Poitiers exploite cette particularité procédurale pour apprécier la réalité de la demande prétendument omise. Elle relève que « il résulte du jugement du 25 octobre 2021 que M. [K] a formulé devant le bureau de jugement, notamment, une demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et à obtenir un rappel de salaires du 10 octobre 2018 au 30 avril 2021 ». Le jugement initial constitue ainsi un élément de preuve des prétentions effectivement soutenues, la mention qu’il contient faisant foi jusqu’à inscription de faux.

II. La charge de la preuve de la demande omise et ses implications contentieuses

A. L’insuffisance des éléments probatoires produits par le requérant

La cour d’appel de Poitiers procède à un examen rigoureux des pièces produites par le salarié pour établir qu’il avait bien formulé une demande de rappels de salaires jusqu’à la date de rupture. Elle constate que celui-ci « ne produit cependant aucune pièce probante pour en justifier ».

L’arrêt détaille les insuffisances des documents versés aux débats. S’agissant de la requête introductive d’instance, la cour relève que « la copie de la requête qu’il verse aux débats est dépourvue de toute date de réception et de tout élément d’identification permettant d’établir qu’il s’agit du document qui a saisi le conseil de prud’hommes de Rochefort ». Cette exigence d’authentification des pièces produites témoigne d’une appréciation stricte des éléments de preuve en matière d’omission de statuer.

Concernant les écritures invoquées par le salarié, la cour observe qu’il s’agit d’un « document intitulé ‘Réponses mémoire Maître [D]’, non signé, et dont rien n’établit qu’il ait été remis à la juridiction prud’homale ou repris oralement à l’audience de jugement ». Cette formulation souligne la double condition requise en procédure orale : soit le document a été effectivement remis à la juridiction, soit les prétentions qu’il contient ont été reprises oralement à l’audience. L’absence de preuve de l’une ou l’autre de ces circonstances prive le document de toute valeur probante.

Cette solution s’inscrit dans une approche classique de la charge de la preuve. Il appartient à celui qui invoque une omission de statuer de démontrer que la demande prétendument omise figurait parmi celles dont le juge était effectivement saisi. La cour refuse de suppléer la carence probatoire du requérant en présumant l’existence d’une demande non établie.

B. La portée de la décision et ses enseignements pratiques

L’arrêt de la cour d’appel de Poitiers présente un intérêt pratique certain pour les praticiens confrontés aux difficultés de la procédure prud’homale orale. Il rappelle l’importance de formaliser les demandes de manière claire et traçable, y compris dans une procédure où l’oralité prédomine.

La solution retenue invite à une vigilance particulière lors de la rédaction des écritures prud’homales. Même si celles-ci n’ont pas la même force obligatoire qu’en procédure écrite, elles constituent un élément de preuve des prétentions formulées. Le défaut de signature, l’absence d’accusé de réception ou de mention au dossier de la juridiction peuvent compromettre leur valeur probatoire en cas de contestation ultérieure.

L’arrêt illustre également les limites de la requête en omission de statuer comme voie de recours. Cette procédure ne permet pas de faire trancher des demandes qui n’ont pas été effectivement présentées au juge, même si le requérant estime qu’elles auraient dû l’être. Le plaideur qui souhaite voir juger une prétention nouvelle doit emprunter une autre voie, qu’il s’agisse d’une nouvelle saisine de la juridiction compétente ou d’une demande formée en cause d’appel lorsque les conditions de recevabilité sont réunies.

La cour d’appel de Poitiers tire les conséquences logiques du rejet de la requête en omission de statuer en jugeant qu’« il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de rejet de pièces afférentes à la demande en paiement prétendument omise ». Cette solution procédurale confirme que l’ensemble du débat sur le fond de la demande prétendument omise devient sans objet dès lors que l’existence même de cette demande devant la juridiction initiale n’est pas établie.

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Hassan KOHEN
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