Cour d’appel de Poitiers, le 4 septembre 2025, n°21/01077

Par un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 4 septembre 2025, la chambre sociale se prononce sur la requalification de missions d’intérim en contrat à durée indéterminée, la règle applicable à l’indemnité de fin de mission et la recevabilité d’une intervention syndicale. La solution articule contrôle du motif de recours, recentrage de l’indemnité de précarité à la lumière d’une évolution jurisprudentielle et rappel des exigences de représentation en justice.

Un salarié a effectué une mission d’intérim du 19 juillet au 22 décembre 2017 au sein d’une entreprise utilisatrice, au motif d’un « accroissement temporaire d’activité », avec une suspension pendant la fermeture estivale. L’avenant visait des « commandes supplémentaires […] à finaliser avant les congés d’été », bien que la mission se soit poursuivie au-delà de ceux-ci. Un contrat à durée indéterminée a été conclu le 2 janvier 2018, sur les mêmes fonctions.

Saisi, le conseil de prud’hommes de La Rochelle a requalifié la relation à compter du 19 juillet 2017, alloué l’indemnité de requalification, admis partiellement l’intervention du syndicat, et condamné l’entreprise de travail temporaire au paiement de l’indemnité de fin de mission. Les défenderesses ont interjeté appel, contestant la requalification et l’indemnité de précarité, tandis que le salarié, soutenu par le syndicat, concluait à la confirmation, sollicitant en outre la recevabilité de l’intervention pour l’ensemble des chefs.

La cour devait, d’abord, apprécier si les éléments produits caractérisaient un accroissement ponctuel justifiant le recours à l’intérim, au regard des articles L.1251-5, L.1251-6 et L.1251-40 du code du travail. Elle devait, ensuite, déterminer si l’indemnité de précarité restait due malgré la requalification et l’embauche ultérieure, au regard de l’article L.1251-32 et de la jurisprudence la plus récente. Elle était, enfin, conduite à trancher la recevabilité de l’intervention syndicale au regard des articles 117 et 121 du code de procédure civile et des pouvoirs justificatifs requis.

La Cour d’appel de Poitiers confirme la requalification, au motif que « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission ». Elle retient qu’« Il n’est ainsi produit aucun tableau illustrant l’évolution des commandes laissant apparaître cet accroissement temporaire d’activité », en présence d’un carnet de commandes durablement supérieur aux capacités. Elle en déduit que « les contrats de travail temporaire ont eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise », et décide que « Partant, il convient […] de requalifier la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 juillet 2017 ». Elle accorde l’indemnité de requalification d’un mois, conformément à l’article L.1251-41, lequel énonce que « Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité […] ne pouvant être inférieure à un mois de salaire ». En revanche, elle déboute le salarié de l’indemnité de fin de mission, rappelant que « En revanche, l’indemnité de précarité, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification […] ». Enfin, l’intervention du syndicat est déclarée irrecevable, la cour relevant qu’« Il est constant que le représentant d’un syndicat en justice doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts », et constatant, en l’absence de pièces, que « ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure ».

I. Le sens de la décision: contrôle du motif de recours et requalification

A. La preuve de l’accroissement ponctuel exigée de l’utilisateur

La motivation place le contentieux au cœur du régime probatoire. La cour rappelle que « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission ». Elle examine des éléments objectifs et contemporains, notamment les procès-verbaux des instances représentatives, qui décrivent un sous-dimensionnement chronique des capacités de production. Une formule retient l’attention: « La capacité à absorber une surcharge et une gamme aussi large est au-delà de notre organisation ». L’analyse ne se borne pas à un ressenti; elle pointe l’absence de données structurées. La cour note ainsi qu’« Il n’est ainsi produit aucun tableau illustrant l’évolution des commandes laissant apparaître cet accroissement temporaire d’activité ».

Le raisonnement conjugue quatre indices concordants: une activité en croissance continue, l’absence de fluctuation saisonnière objectivée, l’usage significatif et soutenu de l’intérim, et une contradiction temporelle du motif (« avant les congés d’été » alors que l’avenant couvre l’après-été). Le faisceau exclut l’exception temporaire et révèle une réponse structurelle à un besoin permanent. La conclusion s’impose: « les contrats de travail temporaire ont eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise ». La requalification prend effet au premier jour de la mission, conformément à l’article L.1251-40, ce que formule la cour: « Partant, il convient […] de requalifier la relation […] à compter du 19 juillet 2017 ».

B. La sanction procédurale: l’irrecevabilité de l’intervention syndicale

Sur l’intervention volontaire, la cour applique strictement les articles 117 et 121 du code de procédure civile. Elle rappelle la règle de principe: « Il est constant que le représentant d’un syndicat en justice doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts ». Aucune pièce statutaire ni mandat spécial n’ayant été produite, l’irrégularité de fond n’a pas été couverte. Le constat s’énonce sans ambages: « il doit être constaté que ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure ».

La portée immédiate est double. L’action du syndicat est déclarée irrecevable, y compris sur la requalification, et les condamnations prononcées à son profit en première instance sont infirmées. La solution illustre une exigence formelle forte, qui sécurise la représentation syndicale en justice tout en exigeant une vigilance documentaire élémentaire.

II. Valeur et portée: l’indemnité de précarité recentrée et les enseignements pratiques

A. Une solution alignée sur l’évolution jurisprudentielle récente

S’agissant de l’indemnité de fin de mission, la cour rappelle le standard textuel: « Cette indemnité n’est pas due dès lors qu’un contrat de travail a été conclu immédiatement avec l’entreprise utilisatrice ». Elle précise l’exigence d’« un délai raisonnable » entre signature et prise d’effet. Surtout, elle intègre la position la plus récente de la Cour de cassation en ces termes: « En revanche, l’indemnité de précarité, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification […] ».

La motivation opère un clair infléchissement par rapport à la solution antérieure selon laquelle l’indemnité « reste acquise » nonobstant la requalification. La règle désormais privilégiée évite une double logique indemnitaire, en corrélation avec l’attribution de l’indemnité de requalification prévue à l’article L.1251-41. Elle valorise la cohérence du droit positif, en limitant l’indemnité de précarité aux seules situations où, à l’échéance, l’intérimaire n’a pas accédé à une relation de type permanent et a effectivement subi la précarité compensée par la prime.

B. Enseignements pratiques pour le recours à l’intérim et la preuve

L’arrêt livre des repères opératoires sur la gouvernance des recours à l’intérim. Il impose des éléments objectivés démontrant un surcroît d’activité ponctuel, distinct d’un accroissement structurel. Des documents quantifiés et datés, corrélant commandes et effectifs, deviennent centraux; à défaut, la requalification sera encourue. Le rappel des indicateurs de recours à l’intérim, lorsque « des “niveaux records” » sont atteints, éclaire la grille d’analyse et invite à une vigilance accrue dans le calibrage des besoins.

Sur le terrain procédural, l’exigence de pouvoir de représentation syndicale appelle une discipline probatoire minimale. À défaut de statuts ou de mandat spécial, l’irrecevabilité frappe l’intervention, avec ses conséquences sur les demandes accessoires. La décision renforce la lisibilité des conditions d’accès au juge des organisations professionnelles, sans préjudice des actions individuelles qui demeurent pleinement recevables.

En définitive, l’arrêt consolide une ligne exigeante en matière de justification de l’accroissement temporaire et clarifie l’office de l’indemnité de précarité post‑requalification. Par le jeu combiné des textes et des références jurisprudentielles, il articule sécurité juridique et rigueur probatoire, au bénéfice d’une application prévisible du droit du travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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