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Par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, la cour d’appel de Poitiers, chambre sociale, tranche un contentieux relatif au recours au travail temporaire. La décision intervient sur appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de La Rochelle du 11 mars 2021, qui avait notamment prononcé une requalification.
Les faits sont simples et utiles. Un salarié a exécuté plusieurs missions d’intérim en 2017 auprès d’une entreprise utilisatrice, avant d’être embauché par celle-ci en contrat à durée indéterminée début 2018, sur un poste identique. Il a saisi la juridiction prud’homale pour voir requalifier ses missions en contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de la première mission, avec indemnité afférente, et obtenir une indemnité de fin de mission.
La procédure a opposé l’entreprise utilisatrice, l’entreprise de travail temporaire et un syndicat professionnel intervenu volontairement. Les premiers juges ont requalifié la relation dès 2017 et alloué l’indemnité de requalification, tout en accordant au salarié une indemnité de fin de mission et en admettant partiellement l’intervention syndicale. L’arrêt confirme la requalification et l’indemnité de requalification, déclare irrecevable l’intervention syndicale faute de pouvoir régulier, et déboute le salarié de l’indemnité de fin de mission.
La question principale posée tient au contrôle du motif d’« accroissement temporaire d’activité » au regard des articles L.1251-5 et L.1251-6 du code du travail, et à ses conséquences sur les droits pécuniaires, éclairées par la jurisprudence sociale récente. Une question préalable concernait la régularité de la représentation du syndicat intervenant.
I. La requalification du travail temporaire face à un besoin permanent
A. La charge de la preuve et l’exigence d’un accroissement objectivé et circonscrit
L’arrêt rappelle la règle gouvernant le contrôle du motif du contrat de mission. Selon la cour, « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. » Cette affirmation, classique, situe clairement la charge probatoire et appelle des éléments précis, datés et comparatifs, traduisant un pic d’activité.
L’espèce illustre les exigences concrètes de ce contrôle. Les contrats visaient un accroissement temporaire d’activité, mais le dossier ne comportait « aucun tableau illustrant l’évolution des commandes laissant apparaître cet accroissement temporaire d’activité ». La cour examine les pièces sociales produites et constate l’absence d’indices d’un surcroît ponctuel, distinct d’une tension durable sur la production. Le raisonnement se conforme à la lettre des textes, qui n’autorisent le travail temporaire que pour « l’exécution d’une tâche précise et temporaire », à l’exclusion de la couverture d’un besoin permanent.
La méthode probatoire retenue est nette. La juridiction valorise les éléments objectifs issus des instances représentatives et exige une corrélation temporelle entre besoins et missions. Le contrôle opéré demeure de pur droit positif : le motif doit être réel, vérifiable et borné, sans présomption favorable tirée d’une croissance générale de l’activité.
B. Les indices d’un besoin durable et la souveraine appréciation des juges du fond
L’arrêt s’appuie sur des constats factuels précis tirés des procès-verbaux des réunions sociales. Il est relevé notamment que « Il y a en effet avec 75 matériels de retard une situation d’urgence qui nous oblige à mettre la priorité sur la production. » Quelques semaines plus tard, il était indiqué que « le résultat est insuffisant au vue du carnet de commande et du nombre de personnel disponible dans l’entreprise ». À l’automne, la production accusait encore un décalage structurel, au point que « Pour une commande prise aujourd’hui la livraison se ferait au mois de mai. »
Les difficultés étaient également décrites en termes de capacité structurelle: « Produit 65, arrivée châssis 88. Ces chiffres expriment bien les difficultés de l’entreprise. » La direction ajoutait que « La capacité à absorber une surcharge et une gamme aussi large est au-delà de notre organisation, c’est à la direction de trouver les solutions ». Ces extraits, reproduits par la cour, attestent de tensions continues et d’une sous-capacité endémique, sans rattachement à un pic ponctuel.
La conclusion s’ensuit logiquement. La cour énonce que « Il en sera déduit que les commandes invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise, aucun élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel, n’étant versé au dossier. » Elle ajoute, en conséquence, que « la société ne justifie pas pour l’ensemble des contrats de mission conclus la réalité de l’accroissement d’activité qu’elle invoque, de sorte que les contrats de travail temporaire ont eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui justifie leur requalification en contrat de travail à durée indéterminée. »
La portée de la solution est claire. Elle n’exige pas la preuve d’une fraude, mais sanctionne l’insuffisance de démonstration d’un surcroît temporaire. L’indemnité de requalification d’un mois de salaire est donc allouée, conformément à l’article L.1251-41, alinéa 2, du code du travail.
II. Les incidences procédurales et indemnitaires de la solution
A. L’irrégularité de représentation syndicale et l’irrecevabilité de l’intervention
La cour traite d’abord une question de recevabilité. Elle rappelle que « Il est constant que le représentant d’un syndicat en justice doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts l’habilitant à agir en justice. » Or, « les statuts du syndicat n’ont pas été produits », et aucun pouvoir spécial n’a été versé. L’irrégularité de fond tirée du défaut de pouvoir, susceptible d’être couverte jusqu’à ce que le juge statue, n’a pas été régularisée.
La solution, de stricte orthodoxie procédurale, recentre l’office du juge sur la vérification des pouvoirs avant tout examen de fond. Elle évite de se prononcer sur l’atteinte alléguée à l’intérêt collectif de la profession, faute de représentation régulière. L’irrecevabilité prononcée entraîne, par voie de conséquence, l’infirmation des condamnations prononcées au profit du syndicat.
La leçon pratique est évidente. Les intervenants institutionnels doivent systématiquement produire leurs statuts ou un pouvoir spécial, afin de sécuriser la recevabilité de leurs prétentions, y compris lorsqu’elles accompagnent des actions individuelles sensibles pour la collectivité de travail.
B. L’indemnité de fin de mission à l’épreuve du « délai raisonnable » et de la requalification
L’arrêt replace ensuite l’indemnité de fin de mission dans son double cadre jurisprudentiel. S’agissant du lien avec la conclusion d’un CDI, la chambre sociale a posé que « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable. » Cette exigence vise la condition d’« immédiateté » au sens de l’article L.1251-32 du code du travail.
Quant à l’articulation avec la requalification, deux lignes se succèdent. D’une part, la jurisprudence a jugé que « L’indemnité de fin de mission, qui est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire, lui reste acquise nonobstant la requalification du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée. » D’autre part, une décision plus récente précise que « l’indemnité de précarité, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée. »
L’arrêt commenté adopte cette seconde orientation. Après avoir requalifié la relation à compter de la première mission, la cour constate l’absence de versement de l’indemnité au terme du dernier contrat de mission et en déduit qu’elle n’est pas due. Le débat sur l’« immédiateté » du CDI ou le « délai raisonnable » devient alors secondaire, la solution reposant d’abord sur l’effet attaché à la requalification.
La cohérence d’ensemble mérite attention. La fonction de l’indemnité de fin de mission, complément de salaire compensant la précarité, perd sa raison d’être lorsque le lien d’emploi est juridiquement continué dès l’origine par l’effet de la requalification et que l’indemnité n’a pas été acquittée à l’échéance. L’arrêt apporte ainsi une clarification utile pour la pratique contentieuse, en harmonisant les chefs de dispositif avec la qualification retenue.
La décision forme un ensemble équilibré. Elle renforce l’exigence probatoire pesant sur l’entreprise utilisatrice et éclaire la portée indemnitaire de la requalification, tout en rappelant la rigueur nécessaire en matière de représentation syndicale. L’économie générale du droit du travail temporaire s’en trouve confortée par une mise en cohérence des instruments de protection et des contraintes procédurales.