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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Poitiers (chambre sociale) statue sur la requalification de missions d’intérim et sur l’indemnité de fin de mission, à la suite d’un jugement du conseil de prud’hommes de La Rochelle du 11 mars 2021. Un salarié, mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sur plusieurs périodes entre novembre 2016 et décembre 2017, a travaillé d’abord au titre de remplacements puis sous le motif d’un accroissement temporaire d’activité, avant son embauche en contrat à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2018.
Saisi le 12 juillet 2018, le premier juge a requalifié la relation de travail à compter du 13 février 2017, alloué une indemnité de requalification d’un mois, accordé une indemnité de fin de mission pour la fin d’année 2017 et statué sur des demandes accessoires. En appel, l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire contestent la requalification et l’indemnité de précarité, soulèvent l’irrecevabilité de l’intervention syndicale, et discutent la charge de la preuve comme la portée des obligations respectives. Le salarié et le syndicat défendent la requalification, l’indemnité de précarité et la recevabilité de l’intervention.
La juridiction d’appel isole trois points décisifs. D’abord, la recevabilité de l’intervention du syndicat, conditionnée par la justification du pouvoir d’ester. Ensuite, la preuve du motif d’accroissement temporaire d’activité, au regard des articles L.1251-5, L.1251-6 et L.1251-40 du code du travail. Enfin, le régime de l’indemnité de fin de mission, à la lumière de l’article L.1251-32 et de la jurisprudence sociale.
La cour déclare l’intervention syndicale irrecevable, faute de pouvoir régulier, requalifie la relation à compter du 13 février 2017 en retenant que les missions ont pourvu des besoins permanents, accorde l’indemnité de requalification à la charge de l’utilisatrice, et déboute le salarié de l’indemnité de fin de mission non versée au terme, conformément à la solution récente de la Cour de cassation.
I. Les fondements et la cohérence de la requalification
A. La charge de la preuve et l’examen du motif d’accroissement
La cour rappelle d’abord la règle directrice posée par le droit positif: « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. » Cette exigence gouverne l’appréciation des contrats fondés sur l’accroissement d’activité, distinctement des remplacements, reconnus réguliers au vu des justificatifs d’absence produits.
L’analyse probatoire se concentre sur la ponctualité du surcroît allégué et sur son objectivation. Les procès-verbaux du comité d’entreprise, versés aux débats, décrivent un retard durable et une tension constante sur la production. La cour cite ainsi, pour mai 2017: « Il y a en effet avec 75 matériels de retard une situation d’urgence qui nous oblige à mettre la priorité sur la production. 1ère action pour gérer la crise : Tout pour la production (…) la priorité est de sortir et facturer les bennes ». En juin 2017, il est relevé que « le résultat est insuffisant au vue du carnet de commande et du nombre de personnel disponible dans l’entreprise ». En septembre 2017, la direction indique: « Pour une commande prise aujourd’hui la livraison se ferait au mois de mai. Très loin des délais commandés par les clients. En plus du risque financier important lié aux pénalités de retard de livraison, cette situation génère de forts mécontentements chez nos clients, et nous fait actuellement perdre des parts de marchés ».
La cour retient encore l’aveu d’une organisation saturée, loin d’un pic transitoire: « Produit 65, arrivée châssis 88. Ces chiffres expriment bien les difficultés de l’entreprise. On sait pourquoi, ce qui serait mieux, c’est de résoudre les problèmes. La capacité à absorber une surcharge et une gamme aussi large est au-delà de notre organisation, c’est à la direction de trouver les solutions ». S’y ajoute la mention de « niveaux records » d’intérim en 2017 et 2018, supérieurs à la moyenne sectorielle, sans que des tableaux de commandes étayent un surcroît ponctuel.
B. La qualification d’un besoin permanent et ses effets
De cette matière probatoire, la cour déduit l’absence d’accroissement temporaire objectivé, au bénéfice d’une activité normale et continue. La formule retenue est claire: « Il en sera déduit que les commandes invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise, aucun élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel, n’étant versé au dossier. » Le recours au travail temporaire a donc « eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise », justifiant la requalification à compter du 13 février 2017.
Les conséquences financières suivent le texte de l’article L.1251-41, dont la cour reproduit le passage clé: « Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. » L’indemnité est ainsi fixée à un mois, exclusivement à la charge de l’utilisatrice, sans solidarité avec l’entreprise de travail temporaire. La recevabilité de l’intervention syndicale est, par ailleurs, écartée pour défaut de pouvoir, ce qui assainit le périmètre du litige sans affecter le fond.
II. L’appréciation critique et la portée normative de la solution
A. Une rigueur probatoire utile contre l’intérim de structure
La solution confirme une ligne jurisprudentielle ferme: le motif d’accroissement requiert des éléments extérieurs et comparatifs, propres à établir une fluctuation circonscrite et non une tension chronique. La cour valorise des pièces internes contemporaines, mais refuse qu’elles suffisent si elles ne démontrent pas la ponctualité du phénomène. Cette méthode préserve la frontière entre la flexibilité nécessaire et l’intérim de structure, prohibé par l’article L.1251-5, en imposant une traçabilité claire des variations de la charge.
La référence aux « niveaux records » d’intérim et à la saturation organisationnelle souligne un faisceau d’indices robuste. Elle évite l’écueil d’une lecture purement comptable du chiffre d’affaires, qui peut croître sans caractériser un pic temporaire. La décision entretient ainsi la cohérence du contrôle, en articulant la charge de la preuve avec l’exigence d’une cause précisément temporaire. L’irrecevabilité de l’intervention syndicale, strictement fondée sur l’absence de pouvoir, rappelle utilement que la défense de l’intérêt collectif suppose une représentation régulièrement établie.
B. L’indemnité de fin de mission au prisme des évolutions récentes
Sur la précarité, la cour rappelle la règle issue de l’article L.1251-32 et la notion d’immédiateté. Elle cite la solution classique: « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable » (Soc., 8 décembre 2004). Elle mentionne également l’enseignement antérieur selon lequel l’indemnité « reste acquise nonobstant la requalification », puis applique la position plus récente: l’indemnité non versée au terme « ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée » (Soc., 25 octobre 2023).
Ce choix tranche le débat sans mobiliser le critère de délai entre le 22 décembre et le 2 janvier, marqué par des jours fériés et une fermeture. La solution recentre l’analyse sur la finalité de l’indemnité et sur la reconstitution du lien contractuel, en évitant un cumul qui ne répondrait plus à la logique de compensation de la précarité. Elle présente une cohérence normative, mais appelle une vigilance pratique: la non-exigibilité en cas de requalification ne doit pas encourager des rétentions au terme, ce que la cour encadre ici en déboutant la demande de dommages-intérêts faute de préjudice autonome.
Au total, la décision consolide deux axes clairs. D’une part, la requalification demeure l’outil de police de l’intérim de structure lorsque la preuve d’un surcroît ponctuel fait défaut. D’autre part, le traitement de l’indemnité de fin de mission s’aligne sur une approche fonctionnaliste, qui refuse la survivance d’une indemnité de précarité lorsque la relation est rétroactivement contractualisée en CDI.