Cour d’appel de Poitiers, le 4 septembre 2025, n°21/01082

Par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Poitiers, chambre sociale, statue sur la requalification de missions d’intérim et sur leurs suites. L’espèce oppose un salarié mis à disposition d’une entreprise utilisatrice au titre d’un accroissement temporaire d’activité, puis embauché en contrat à durée indéterminée quelques jours après le terme de la dernière mission. Le conseil de prud’hommes de La Rochelle, le 11 mars 2021, avait requalifié la relation en contrat à durée indéterminée, alloué l’indemnité de requalification et condamné l’entreprise de travail temporaire au paiement de l’indemnité de fin de mission, tout en admettant partiellement l’intervention du syndicat. En cause d’appel, l’entreprise utilisatrice contestait la requalification et l’intérêt à agir du syndicat ; l’entreprise de travail temporaire s’opposait à toute condamnation à son encontre ; le salarié et le syndicat sollicitaient la confirmation pour l’essentiel. La cour confirme la requalification, écarte l’indemnité de fin de mission, et déclare irrecevable l’intervention du syndicat pour défaut de pouvoir, après avoir rappelé que « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. »

I. Le contrôle du motif temporaire et la requalification

A. Le cadre légal et la charge de la preuve

Le contrat de mission ne peut ni avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’utilisateur. Le recours suppose une tâche précise et temporaire, parmi des cas légalement limités, dont l’accroissement temporaire d’activité. La sanction d’un recours irrégulier tient à la requalification à l’encontre de l’utilisateur, avec effet au premier jour de la mission. La juridiction d’appel rappelle avec netteté que « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. » La preuve doit établir un surcroît ponctuel et objectivable, distinct d’une hausse tendancielle ou d’un sous‑dimensionnement structurel des effectifs.

Cette exigence commande d’identifier la tâche alléguée, d’en circonscrire l’ampleur, d’en dater l’échéance prévisible, et d’en rapporter la matérialité. La cour insiste sur l’insuffisance d’éléments généraux, de graphiques internes ou d’affirmations managériales non corroborées. Elle attend des pièces tierces, ou des données chiffrées comparatives, aptes à démontrer le caractère strictement temporaire du besoin. A défaut, l’emploi est réputé participer de l’activité normale et permanente, ce qui clôt le débat probatoire en faveur de la requalification.

B. L’appréciation factuelle: externalisation alléguée et permanences constatées

Les contrats invoquaient un accroissement temporaire « lié à la préparation des colisages de l’externalisation de la production de certaines pièces chaudronnées ». Or, aucun contrat de sous‑traitance n’est produit, et les procès‑verbaux consultés n’étayent ni l’objet, ni les volumes, ni la temporalité de ces « préparations de colisages ». Les extraits des réunions illustrent une tension soutenue, non un pic passager. Ainsi, en mai 2017, il est relevé: « Il y a en effet avec 75 matériels de retard une situation d’urgence qui nous oblige à mettre la priorité sur la production. 1ère action pour gérer la crise : Tout pour la production (…) la priorité est de sortir et facturer les bennes. » En juin 2017, la direction admet que « le résultat est insuffisant au vue du carnet de commande et du nombre de personnel disponible dans l’entreprise ».

L’alerte persiste en septembre 2017: « Pour une commande prise aujourd’hui la livraison se ferait au mois de mai. Très loin des délais commandés par les clients. En plus du risque financier important lié aux pénalités de retard de livraison, cette situation génère de forts mécontentements chez nos clients, et nous fait actuellement perdre des parts de marchés. » En octobre 2017, le diagnostic demeure structurel: « Produit 65, arrivée châssis 88. Ces chiffres expriment bien les difficultés de l’entreprise. On sait pourquoi, ce qui serait mieux, c’est de résoudre les problèmes. La capacité à absorber une surcharge et une gamme aussi large est au-delà de notre organisation, c’est à la direction de trouver les solutions. » La cour relève encore des niveaux records d’intérim en 2017‑2018, supérieurs aux références sectorielles. Elle en conclut: « Il en sera déduit que les commandes invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise, aucun élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel, n’étant versé au dossier. » La requalification s’impose donc, avec effet au 20 février 2017.

II. Portée indemnitaire et recevabilité procédurale

A. L’indemnité de requalification et le sort de l’indemnité de fin de mission

L’indemnité de requalification est due par l’utilisateur et ne peut être inférieure à un mois de salaire. La cour cite le texte applicable: « Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. » Le montant est fixé sur la moyenne des salaires, hors indemnité de fin de mission et congés payés. Cette première conséquence, de nature réparatrice, s’ajoute sans préjudice des règles propres à la rupture du contrat.

Restait la question de l’indemnité de fin de mission. La cour rappelle d’abord que « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable. » Surtout, elle retient la solution désormais consacrée: « En revanche, l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée (Soc., 25 octobre 2023, pourvoi n° 22‑13.686). » La requalification opérée à la date initiale prive donc le salarié d’une indemnité de précarité non versée au terme, l’emploi ayant été juridiquement continu. La demande est en conséquence rejetée, la condamnation initiale de l’entreprise de travail temporaire étant infirmée.

B. Le pouvoir d’ester du syndicat et l’irrecevabilité de l’intervention volontaire

L’intervention volontaire d’un syndicat est subordonnée à la preuve du pouvoir de son représentant ou d’une habilitation statutaire. La cour énonce la règle de principe en des termes constants: « Il est constant que le représentant d’un syndicat en justice doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts l’habilitant à agir en justice. » En l’espèce, ni statuts, ni pouvoir spécial n’étaient produits avant que le juge ne statue, de sorte que l’irrégularité de fond n’a pas été couverte.

Cette carence emporte une sanction procédurale immédiate. La cour constate que « ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure » et déclare irrecevable l’intervention volontaire. La solution est classique et rappelle l’exigence de sécurité procédurale pesant sur les organisations professionnelles. Elle signale, en pratique, la nécessité de systématiser la production des statuts et des pouvoirs, sans quoi l’action collective encourt un rejet indépendamment du bien‑fondé des prétentions.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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