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Cour d’appel de Poitiers, chambre sociale, 4 septembre 2025. L’arrêt tranche un recours né d’une succession de missions d’intérim, suivie d’une embauche en contrat à durée indéterminée. Le jugement déféré émanait du conseil de prud’hommes de La Rochelle, rendu le 11 mars 2021.
Le salarié a travaillé du 3 janvier au 22 décembre 2017 sous contrats de mission fondés sur un accroissement temporaire d’activité, à temps plein et au même poste. Un contrat à durée indéterminée a pris effet le 2 janvier 2018, après la fermeture annuelle de l’entreprise utilisatrice. Le salarié a sollicité la requalification, une indemnité de requalification et l’indemnité de fin de mission. Un syndicat a pris part à l’instance.
Les premiers juges ont accueilli la requalification, alloué un mois de salaire à ce titre et accordé l’indemnité de fin de mission. La cour déclare recevable le recours, retenant que « Le jugement du conseil de prud’hommes est donc improprement qualifié de décision rendue en dernier ressort ». Elle statue aussi sur l’intervention syndicale, constatant qu’« il doit être constaté que ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure ».
La question porte sur la possibilité d’invoquer un accroissement d’activité au long cours pour recourir à l’intérim, et sur la charge de la preuve. Elle interroge ensuite l’impact de la requalification sur les indemnités dues, spécialement l’indemnité de fin de mission en présence d’un contrat ultérieur à durée indéterminée.
I. Le contrôle du motif d’accroissement et la requalification
A. Le cadre légal et la charge probatoire
Le travail temporaire ne peut « avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». Le recours suppose une tâche précise et temporaire, dans des cas limitativement énumérés. La requalification est encourue lorsque ces bornes sont franchies, avec prise d’effet au premier jour de la mission. L’arrêt rappelle, en termes nets, que « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission ». Ce rappel éclaire l’office du juge, centré sur la réalité concrète du motif et sa temporalité effective.
La cour confronte le motif affiché à la preuve d’un surcroît contingent d’activité, distinct d’une hausse structurelle. Elle souligne l’insuffisance d’une justification générique, non étayée par des éléments chiffrés, continus et extérieurs à la seule organisation interne. L’examen d’ensemble privilégie les indicateurs objectivés de flux de commandes, comparés aux capacités de production disponibles, sur une période pertinente.
B. L’appréciation factuelle du caractère non ponctuel
Après analyse des pièces, la juridiction constate des tensions productives durables, une saturation récurrente et l’absence d’éléments probants sur une hausse réellement ponctuelle. Elle relève de manière déterminante que « Il n’est ainsi produit aucun tableau illustrant l’évolution des commandes laissant apparaître cet accroissement temporaire d’activité invoqué au soutien de la conclusion des contrats de mission litigieux, et il ressort au contraire des échanges lors de ces réunions du comité d’entreprise que la société était confrontée de manière permanente à un carnet de commandes excédant ses capacités de production ».
La conclusion s’impose alors par déduction factuelle et normative. « Il en sera déduit que l’augmentation des cadences invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise, aucun élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel, n’étant versé au dossier ». La conséquence juridique suit immédiatement : « Ainsi, la société ne justifie pas pour l’ensemble des contrats de mission conclus la réalité de l’accroissement d’activité qu’elle invoque, de sorte que les contrats de travail temporaire ont eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui justifie leur requalification en contrat de travail à durée indéterminée ». La solution est arrêtée dans les termes suivants : « Partant, il convient, en confirmant le jugement, de requalifier la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 janvier 2017 ».
II. Les conséquences de la requalification et leur portée
A. L’indemnité de requalification, principe et imputation
La requalification ouvre droit à une indemnité d’au moins un mois de salaire, à la charge de l’utilisatrice. L’arrêt l’énonce sans ambiguïté : « Conformément aux dispositions susvisées, cette indemnité est à la charge de la seule entreprise utilisatrice ». La solution est classique et cohérente avec l’économie du dispositif légal, qui rattache la sanction à la source de l’irrégularité, tout en préservant la logique des relations triangulaires. Le montant est fixé sur la base des derniers salaires, ce qui confirme l’approche indemnitaire calibrée sur la situation effective du salarié au moment de la requalification.
Cette option présente une vertu pédagogique et dissuasive. Elle rappelle que la preuve du motif demeure un fardeau substantiel et non une formalité. Elle incite à documenter précisément la variation conjoncturelle de l’activité, par opposition à un ajustement structurel des effectifs au moyen de l’intérim. Elle conforte, enfin, l’effectivité du contrôle juridictionnel sur l’usage des contrats courts.
B. L’indemnité de fin de mission, temporalité et exclusion
La cour articule trois séries de principes. D’abord, le principe de temporalité autour de la signature et de la prise d’effet du contrat à durée indéterminée : « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable » (Soc., 8 décembre 2004, n° 01-46.877). Ensuite, le maintien de l’indemnité malgré la requalification, en principe : « L’indemnité de fin de mission, qui est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire, lui reste acquise nonobstant la requalification du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée » (Soc., 13 avril 2005, n° 03-41.967). Enfin, l’exception récemment consacrée en cas de requalification couvrant la période terminale : « En revanche, l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée » (Soc., 25 octobre 2023, n° 22-13.686).
L’arrêt applique ce triptyque avec méthode. La requalification prenant effet dès le 3 janvier 2017, l’indemnité de fin de mission au terme de décembre 2017 ne peut plus être due. Le débat sur un délai raisonnable entre la mission et l’entrée en fonctions au titre du contrat à durée indéterminée devient indifférent, la requalification absorbant la période terminale. La solution évite la double indemnisation et préserve la cohérence du régime, en distinguant les cas où la requalification n’emporte pas extinction de l’indemnité déjà acquise et ceux où elle fait disparaître la créance naissante.
L’accessoire procédural confirme cette rigueur. À défaut de pouvoir spécial ou de stipulation statutaire, l’intervention du syndicat est jugée irrecevable, la cour relevant qu’« il doit être constaté que ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure ». La décision harmonise ainsi contrôle du motif, sanction adaptée et discipline procédurale, dans un cadre probatoire exigeant et stabilisé.