Cour d’appel de Poitiers, le 4 septembre 2025, n°21/01087

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Poitiers (chambre sociale) statue sur un contentieux de travail temporaire articulé autour d’une intervention syndicale, d’une demande de requalification et des conséquences indemnitaires afférentes. Un salarié avait été engagé par contrats de mission motivés par un “accroissement temporaire d’activité” avant d’être embauché en contrat à durée indéterminée, pour des fonctions identiques. Par jugement du 11 mars 2021, le conseil de prud’hommes de La Rochelle a requalifié la relation en contrat à durée indéterminée à compter du premier jour de mission, alloué une indemnité de requalification et, contre l’entreprise de travail temporaire, une indemnité de fin de mission et des dommages-intérêts pour rétention. L’organisation syndicale est intervenue volontairement. L’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire ont relevé appel, contestant la requalification, l’intérêt à agir du syndicat et l’indemnité de fin de mission.

La juridiction d’appel déclare irrecevable l’intervention syndicale faute de pouvoir, confirme la requalification au regard d’un motif de recours non établi, cantonne l’indemnité de requalification à la charge de l’entreprise utilisatrice et infirme l’octroi de l’indemnité de fin de mission. La solution commande d’abord d’apprécier la recevabilité de l’action syndicale, puis d’examiner la qualification des missions et ses effets indemnitaires.

I. La recevabilité de l’intervention syndicale

A. L’exigence probatoire du pouvoir de représentation en justice
La cour rappelle d’abord le régime des irrégularités de fond et la charge probatoire afférente au représentant syndical. Elle énonce que “l’irrégularité de fond tirée du défaut de pouvoir du représentant d’une partie en justice peut être couverte jusqu’au moment où le juge statue”. Surtout, elle rappelle qu’“il est constant que le représentant d’un syndicat en justice doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts l’habilitant à agir en justice”. Constatant l’absence de production des statuts et de tout mandat spécial, la cour retient l’impossibilité de vérifier la qualité pour agir du signataire et prononce l’irrecevabilité de l’intervention.

Ce faisant, l’arrêt découpe nettement, et utilement, la recevabilité formelle de la représentation de l’examen du bien-fondé matériel des prétentions fondées sur l’intérêt collectif. La sanction procédurale prime ici l’analyse de fond, conformément à une logique de sécurité des actes de procédure et de loyauté contradictoire.

B. La portée contentieuse de l’irrecevabilité prononcée
La cour en tire des conséquences claires sur les demandes indemnitaires formées au nom du collectif. L’arrêt “infirme” les condamnations prononcées au profit de l’organisation syndicale et “déclare irrecevable l’intervention volontaire” en toutes ses composantes. La solution sécurise la chaîne de représentation et évite qu’un débat substantiel sur l’atteinte aux intérêts collectifs ne s’ouvre sans assise procédurale établie.

La décision invite toutefois les organisations professionnelles à une discipline documentaire stricte, afin d’éviter qu’une demande recevable au fond ne soit évincée par un défaut de pouvoir. Elle rappelle, avec mesure, que l’accès au juge du collectif suppose une rigueur formelle minimale, aisément satisfaisable par la production des statuts ou d’un mandat.

II. La requalification des missions et le régime indemnitaire

A. Le contrôle du motif “accroissement temporaire” et la requalification
Le litige portait sur des missions successives justifiées par un “renfort d’effectifs nécessaire lié à l’augmentation des cadences de production en raison d’un passage de 15 à 19 matériels par semaine non prévue initialement”. La cour souligne que “il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission”. Elle exploite les pièces internes, notamment les comptes rendus représentatifs d’une tension durable sur la production. Ainsi, il est relevé que “Il y a en effet avec 75 matériels de retard une situation d’urgence qui nous oblige à mettre la priorité sur la production”, et encore que “Pour une commande prise aujourd’hui la livraison se ferait au mois de mai”.

Ces éléments décrivent une insuffisance structurelle de capacité davantage qu’un flux exceptionnel et ponctuel. La cour relève des niveaux d’intérim “record” et l’absence de démonstration de variations cycliques objectivables. Elle conclut que “l’augmentation des cadences invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise”, faute d’“élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel”. Conformément aux articles L.1251-5, L.1251-6 et L.1251-40 du code du travail, la requalification s’impose à compter du premier jour de mission.

B. Les effets: indemnité de requalification et indemnité de fin de mission
Conséquence directe de la requalification, l’indemnité au titre de l’article L.1251-41 est allouée, à la charge exclusive de l’entreprise utilisatrice, pour un mois de salaire. Le cantonnement de la charge à cette dernière s’accorde avec la lettre du texte et la fonction réparatrice limitée de l’indemnité, distincte des règles de rupture.

S’agissant de l’indemnité de fin de mission, la cour rappelle d’abord que “Cette indemnité n’est pas due dès lors qu’un contrat de travail a été conclu immédiatement avec l’entreprise utilisatrice.” Elle précise surtout, par référence à une solution récente, que “L’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée.” En conséquence, la demande est rejetée, tout comme les dommages-intérêts pour rétention, la requalification opérant un effacement de la précarité indemnisable et privant d’assise la sanction alléguée. La cour ordonne enfin une répartition mesurée des frais irrépétibles, en cohérence avec la part respective de succès et d’échec des prétentions.

L’arrêt articule ainsi, avec constance, un contrôle substantiel du motif de recours et une mise en cohérence du régime indemnitaire. Il en résulte une pédagogie claire sur la frontière entre surcharge ponctuelle et besoin durable, et une stabilité bienvenue des règles de charge et d’exclusion des indemnités liées à la précarité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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