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Cour d’appel de Poitiers, 4 septembre 2025, n° RG 21/01088. Un salarié intérimaire, affecté comme monteur au sein d’une entreprise industrielle, a enchaîné des missions motivées par un “accroissement temporaire d’activité” lié au passage de 15 à 19 matériels hebdomadaires, avant une embauche ultérieure en CDI. Saisi d’une demande de requalification en CDI, le conseil de prud’hommes l’avait admise et avait alloué l’indemnité de requalification, tout en condamnant l’entreprise de travail temporaire à une indemnité de fin de mission. La cour d’appel confirme la requalification à l’égard de l’utilisateur, infirme l’octroi de l’indemnité de fin de mission, et déclare irrecevable l’intervention du syndicat, faute de pouvoir régulier.
La question de droit portait sur la preuve d’un accroissement temporaire d’activité justifiant le travail temporaire, au regard de l’interdiction de pourvoir durablement un emploi permanent, ainsi que sur les conséquences financières de la requalification. La cour énonce que “Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission”, puis retient, au vu des pièces, que l’augmentation des cadences relevait d’une surcharge structurelle. Elle en déduit que “les contrats de travail temporaire ont eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise”, de sorte qu’il y a lieu de requalifier et d’allouer l’indemnité légale minimale à la charge de l’utilisateur. S’agissant enfin de l’indemnité de fin de mission, la cour applique la jurisprudence récente, rappelant que, lorsque la requalification est prononcée, l’indemnité non versée au terme du dernier contrat n’est pas due.
I. A. Le motif d’accroissement temporaire sous preuve stricte
La cour rappelle les articles L.1251-5, L.1251-6 et L.1251-40 du code du travail, qui interdisent de pourvoir durablement un emploi permanent par des missions et réservent l’intérim à une “tâche précise et temporaire”. Elle souligne que “Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé”. La charge de la preuve pèse donc sur l’utilisateur, qui doit établir un véritable pic d’activité, identifié et ponctuel, et non une simple tension productive persistante.
L’analyse des pièces internes emporte la conviction des juges. Les procès-verbaux du comité d’entreprise signalent des difficultés récurrentes à absorber la demande. On lit ainsi en mai 2017: “Il y a en effet avec 75 matériels de retard une situation d’urgence qui nous oblige à mettre la priorité sur la production. 1ère action pour gérer la crise: Tout pour la production (…) la priorité est de sortir et facturer les bennes”. En juin 2017: “le résultat est insuffisant au vue du carnet de commande et du nombre de personnel disponible dans l’entreprise”. En septembre 2017: “Pour une commande prise aujourd’hui la livraison se ferait au mois de mai. Très loin des délais commandés par les clients.” Ces extraits attestent une surcharge durable, étrangère à un véritable accroissement temporaire.
I. B. Le caractère structurel de la surcharge et la requalification
La cour constate l’absence d’éléments objectivant une fluctuation provisoire des commandes sur la période litigieuse. Elle relève, au contraire, une progression continue du chiffre d’affaires et des délais, ainsi que la mise en place d’une équipe de nuit, indice d’un ajustement capacitaire durable. Le constat est décisif: “Il en sera déduit que l’augmentation des cadences invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise”. Elle note aussi des “niveaux records” de recours à l’intérim, supérieurs aux moyennes sectorielles de 2017 et 2018, ce qui renforce l’idée d’un usage structurel de personnel intérimaire sur des postes pérennes.
La conséquence est classique et ferme: “Ainsi, la société ne justifie pas pour l’ensemble des contrats de mission conclus la réalité de l’accroissement d’activité qu’elle invoque”, de sorte que la relation doit être requalifiée en CDI à compter de la première mission. L’indemnité minimale de requalification s’ensuit, conformément à l’article L.1251-41, alinéa 2: “Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.” La cour applique ce texte et rappelle que cette indemnité est exclusivement supportée par l’utilisateur.
II. A. L’irrecevabilité de l’intervention syndicale pour défaut de pouvoir
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire, la cour se fonde sur les articles 117 et 121 du code de procédure civile, et sur l’exigence d’un pouvoir spécial ou d’une habilitation statutaire du représentant syndical. Elle relève l’absence de production des statuts et de tout pouvoir régulier. La formule est nette et suffisante: “il doit être constaté que ce syndicat n’est pas valablement représenté dans la présente procédure.” L’action du syndicat est donc déclarée irrecevable, avec infirmation des condamnations prononcées à son profit.
La solution est sobre et conforme aux exigences de la représentation en justice. L’irrégularité de fond peut être couverte jusqu’à ce que le juge statue; encore faut-il que la preuve du pouvoir soit régulièrement rapportée. À défaut, l’intervenant ne peut utilement porter une prétention, y compris lorsqu’il invoque l’intérêt collectif de la profession.
II. B. L’indemnité de fin de mission en présence d’une requalification
La cour articule trois principes constants. D’abord, l’article L.1251-32 prévoit que l’indemnité de fin de mission, “à titre de complément de salaire”, est due si le salarié “ne bénéficie pas immédiatement d’un contrat de travail à durée indéterminée avec l’utilisateur”. Ensuite, il est admis que “Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable” (Soc., 8 déc. 2004). En outre, “L’indemnité de fin de mission… lui reste acquise nonobstant la requalification” (Soc., 13 avr. 2005), sauf lorsque la requalification emporte des effets excluant l’exigibilité à l’échéance non réglée.
La solution décisive est tirée d’une jurisprudence récente: “En revanche, l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée” (Soc., 25 oct. 2023). La cour s’y conforme et retient que, “dès lors que la cour a ordonné la requalification… il y a lieu d’en déduire que l’indemnité de précarité… ne lui est pas due.” La demande de dommages-intérêts pour rétention suit le même sort, faute d’assiette légale, le salarié ne pouvant prétendre à une somme non exigible.
A travers ces solutions, la décision précise le contrôle du motif d’accroissement, rappelle la charge probatoire pesant sur l’utilisateur, et aligne les suites financières sur la requalification. Elle réaffirme, enfin, les rigueurs de la représentation syndicale en justice, lesquelles commandent la recevabilité de l’intervention accessoire.