Cour d’appel de Poitiers, le 4 septembre 2025, n°21/01089

La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 4 septembre 2025, se prononce sur la requalification d’un contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée et sur les conséquences qui en découlent pour le salarié intérimaire.

Un salarié a été embauché par une société de travail temporaire le 28 août 2017 pour être mis à disposition d’une entreprise utilisatrice en qualité de soudeur, le motif invoqué étant un accroissement temporaire d’activité lié à l’augmentation des cadences de production. Le contrat de mission devait prendre fin le 22 décembre 2017. Le 2 janvier 2018, ce même salarié a été recruté par l’entreprise utilisatrice dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée pour exercer des fonctions identiques.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir la requalification de son contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que le paiement de diverses sommes, dont une indemnité de fin de mission. Un syndicat est intervenu volontairement à l’instance. Les premiers juges ont fait droit à la demande de requalification et ont condamné l’entreprise utilisatrice au paiement d’une indemnité de requalification. Ils ont également condamné la société de travail temporaire au versement d’une indemnité de fin de mission et de dommages et intérêts pour rétention abusive de cette indemnité.

L’entreprise utilisatrice et la société de travail temporaire ont interjeté appel de cette décision. L’entreprise utilisatrice soutenait avoir justifié d’un accroissement temporaire d’activité par la production de procès-verbaux de son comité d’entreprise. La société de travail temporaire contestait devoir une indemnité de fin de mission dès lors que le salarié avait été embauché en contrat à durée indéterminée à l’issue de sa mission.

La cour d’appel devait ainsi répondre à deux questions essentielles. En premier lieu, l’entreprise utilisatrice rapportait-elle la preuve de la réalité de l’accroissement temporaire d’activité justifiant le recours au travail temporaire. En second lieu, le salarié dont le contrat de mission est requalifié en contrat à durée indéterminée peut-il prétendre au versement d’une indemnité de fin de mission qui ne lui a pas été versée au terme de sa mission.

La cour d’appel confirme la requalification du contrat de mission en contrat à durée indéterminée au motif que l’entreprise utilisatrice ne démontre pas le caractère ponctuel de l’accroissement des commandes invoqué. Elle retient que « la société ne justifie pas pour le contrat de mission conclu la réalité de l’accroissement d’activité qu’elle invoque, de sorte que le contrat de travail temporaire a eu pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise ». En revanche, infirmant le jugement sur ce point, elle déboute le salarié de sa demande d’indemnité de fin de mission en application d’une jurisprudence récente selon laquelle « l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée ».

Cet arrêt illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge sur le motif de recours au travail temporaire (I) et clarifie le régime de l’indemnité de fin de mission en cas de requalification (II).

I. Le contrôle rigoureux du motif de recours au travail temporaire

La cour d’appel rappelle les conditions de recours au travail temporaire et fait peser la charge de la preuve sur l’entreprise utilisatrice (A), puis elle caractérise l’absence d’accroissement temporaire d’activité au regard des éléments versés aux débats (B).

A. L’exigence d’un accroissement temporaire d’activité effectivement démontré

Le recours au travail temporaire est strictement encadré par le code du travail. L’article L.1251-5 dispose que le contrat de mission « ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». L’article L.1251-6 précise que le travail temporaire n’est autorisé que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, notamment en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

La cour d’appel rappelle qu’« il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission ». Cette règle probatoire est fondamentale car elle impose à l’employeur de démontrer positivement que le recours au travail temporaire répond à un besoin ponctuel et non structurel. Le contrat de mission mentionnait un motif lié à « l’augmentation des cadences de produits Megacargo en raison d’un passage à 2,5 matériels par semaine ». La société utilisatrice devait donc établir que cette augmentation présentait un caractère exceptionnel et limité dans le temps.

L’enjeu de cette preuve est considérable. Si l’entreprise échoue à démontrer la réalité du motif invoqué, le salarié peut faire valoir les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission, conformément à l’article L.1251-40 du code du travail. Cette sanction protège le salarié contre les détournements de la finalité du travail temporaire.

B. La caractérisation d’une activité normale et permanente

La cour d’appel procède à une analyse minutieuse des procès-verbaux du comité d’entreprise produits par la société utilisatrice. Ces documents révèlent des contraintes de production persistantes et non un surcroît temporaire d’activité. La cour relève qu’en mai 2017, la direction évoquait « 75 matériels de retard » et une « situation d’urgence », qu’en juin 2017, elle reconnaissait un résultat « insuffisant au vue du carnet de commande », et qu’en septembre 2017, elle admettait des délais de livraison de huit mois pour les nouvelles commandes.

La cour retient que « la direction de l’entreprise a ainsi mis en exergue les difficultés liées au manque de personnel en électricité châssis, à l’absentéisme important qui implique de former les intérimaires outre les contraintes d’approvisionnement en pièces, sans jamais évoquer les fluctuations temporaires des commandes ». Cette analyse textuelle des déclarations de la direction permet de distinguer une sous-capacité structurelle de production d’un accroissement ponctuel d’activité.

La cour souligne également que le taux de recours à l’intérim atteignait des « niveaux records » en 2017 et 2018, soit 14,7% et 13,4% de l’effectif moyen, dépassant largement la moyenne nationale de l’industrie située autour de 10%. Cette donnée statistique conforte l’analyse selon laquelle l’entreprise utilisait le travail temporaire non comme un outil de gestion des variations d’activité mais comme un mode structurel de recrutement. La cour en conclut que « l’augmentation des cadences invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise », justifiant la requalification.

II. Le régime de l’indemnité de fin de mission en cas de requalification

La cour d’appel rappelle la finalité de l’indemnité de fin de mission et son articulation avec la requalification (A), puis elle applique une jurisprudence récente conduisant à écarter cette indemnité lorsqu’elle n’a pas été versée au terme du contrat (B).

A. La finalité compensatoire de l’indemnité de fin de mission

L’indemnité de fin de mission prévue à l’article L.1251-32 du code du travail est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire. Elle est égale à 10% de la rémunération totale brute et doit être versée par l’entreprise de travail temporaire à l’issue de chaque mission. Cette indemnité n’est toutefois pas due lorsque le salarié bénéficie immédiatement d’un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise utilisatrice.

La cour d’appel rappelle la jurisprudence selon laquelle « lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable ». En l’espèce, le contrat de mission prenait fin le 22 décembre 2017 et le contrat à durée indéterminée débutait le 2 janvier 2018, soit onze jours plus tard. Ce délai correspondait à la fermeture de l’entreprise pour les congés de fin d’année.

La question qui se pose est celle de l’articulation entre le droit à l’indemnité de fin de mission et la requalification du contrat de mission. La jurisprudence antérieure admettait que « l’indemnité de fin de mission, qui est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire, lui reste acquise nonobstant la requalification du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée ». Cette solution reconnaissait au salarié le bénéfice cumulé de la requalification et de l’indemnité de précarité.

B. L’exclusion de l’indemnité non versée au terme du contrat

La cour d’appel applique une jurisprudence récente de la Cour de cassation du 25 octobre 2023 selon laquelle « l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée ». Cette solution distingue deux hypothèses selon que l’indemnité a ou non été versée avant la requalification.

La ratio de cette jurisprudence repose sur la nature même de l’indemnité de fin de mission. Celle-ci vise à compenser la précarité résultant de l’absence de perspective d’emploi stable. Or, lorsque le contrat de mission est requalifié en contrat à durée indéterminée, le salarié est réputé avoir bénéficié d’un emploi stable dès le premier jour de sa mission. La précarité que l’indemnité entendait compenser n’a donc juridiquement jamais existé.

La cour d’appel en tire la conséquence logique que le salarié ne peut prétendre au versement de l’indemnité de fin de mission. Elle ajoute qu’« aucun préjudice ne peut donc résulter de la rétention de cette indemnité », écartant également la demande de dommages et intérêts pour rétention abusive. Cette solution, qui peut paraître défavorable au salarié, présente néanmoins une cohérence juridique certaine puisque la requalification efface rétroactivement le caractère précaire de la relation de travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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