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Par un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 4 septembre 2025, la chambre sociale tranche un litige portant sur la requalification de contrats de mission et l’indemnité de fin de mission, avec une incidence procédurale liée à l’intervention d’un syndicat. Un salarié a d’abord exécuté une mission de remplacement début mars 2017, puis une succession de missions justifiées par un accroissement d’activité jusqu’au 22 décembre 2017, avant son embauche en contrat à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2018. Saisi d’une demande de requalification et d’indemnités, le conseil de prud’hommes a fait droit en partie aux prétentions du salarié, en retenant notamment la requalification à compter du 13 mars 2017 et l’octroi de l’indemnité de fin de mission, tout en admettant partiellement l’intervention syndicale. Les entreprises ont relevé appel, contestant la requalification, la charge de certaines condamnations et la recevabilité de l’intervention volontaire; le salarié et le syndicat ont sollicité la confirmation, à l’exception de points de quantum et de recevabilité.
La cour d’appel confirme la requalification des missions intervenues à compter du 13 mars 2017, retient l’indemnité de requalification à la charge de l’entreprise utilisatrice, infirme l’allocation de l’indemnité de fin de mission au regard d’une jurisprudence récente, et déclare irrecevable l’intervention du syndicat faute de pouvoir régulier de représentation. La question centrale portait d’abord sur la preuve d’un véritable accroissement temporaire d’activité, puis sur les conséquences indemnitaires d’une requalification au regard des solutions de la Cour de cassation.
I. La requalification fondée sur l’absence d’accroissement temporaire démontré
A. La charge de la preuve du motif de recours et l’exclusion du contrat de remplacement initial
La cour rappelle sans détour la règle probatoire gouvernant le recours au travail temporaire: « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. » Cette affirmation situe exactement le contrôle à opérer au regard des articles L.1251-5 et L.1251-6 du code du travail. L’examen distingue avec rigueur la première mission conclue pour remplacement, justifiée par des bulletins de paie établissant l’absence du salarié remplacé. La juridiction relève que le salarié « n’a pas commenté ces bulletins de paie » et en déduit, logiquement, qu’aucune requalification n’est encourue s’agissant du contrat initial de remplacement. Cette mise au point préserve la finalité du contrat de mission en cas d’absence caractérisée, tout en concentrant le débat sur les missions ultérieures prétendument liées à un surcroît d’activité.
Cette séquence ouvre sur l’enjeu probatoire principal: l’entreprise doit étayer l’existence d’un pic conjoncturel, objectivé et ponctuel, distinct de l’activité normale et permanente. La cour élève ici le niveau d’exigence, en cohérence avec l’article L.1251-5 qui prohibe tout usage conduisant à pourvoir durablement un emploi permanent.
B. Des indices convergents d’un besoin structurel et la défaillance de la démonstration d’un pic
La juridiction fonde son appréciation sur des éléments internes consistants. Elle constate que « Les procès-verbaux versés aux débats laissent donc apparaître les contraintes pesant sur les capacités de production de l’entreprise utilisatrice et ses difficultés à faire face aux objectifs de production qu’elle s’était fixée ». Surtout, elle écarte toute fluctuation conjoncturelle significative en relevant, à propos de l’activité, que « les chiffres d’affaires trimestriels évoluaient de manière constante à la hausse sans qu’il ne soit démontré une fluctuation ou variation saisonnière des commandes. » L’argumentation patronale, adossée à des synthèses internes et à une invocation générale de tensions de production, ne convainc pas, faute de tableaux comparatifs ou de courbes de commandes établissant l’exceptionnalité du phénomène.
La motivation atteint son point nodal avec cette formule décisive: « Il en sera déduit que les commandes invoquées participaient de l’activité permanente de l’entreprise, aucun élément de comparaison permettant d’objectiver un accroissement d’activité, qui ne peut par nature qu’être ponctuel, n’étant versé au dossier. » La cour ajoute un indice structurel, tiré des niveaux d’intérim « records » en 2017‑2018, nettement supérieurs à la moyenne du secteur. L’ensemble révèle non un soubresaut passager, mais un sous‑dimensionnement durable de l’effectif permanent. La requalification s’impose alors, « à compter du 13 mars 2017 », date du basculement vers le motif d’accroissement d’activité insuffisamment caractérisé, sans remise en cause de la mission de remplacement dûment justifiée en amont.
II. Les conséquences indemnitaires et procédurales dégagées par la cour
A. L’indemnité de requalification: principe légal et débiteur désigné
Sur le terrain indemnitaire, la cour applique l’alinéa 2 de l’article L.1251‑41 du code du travail, qu’elle cite expressément: « Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. » La solution confirme le quantum minimal et la désignation exclusive du débiteur, conformément à la lettre du texte et à la fonction réparatrice autonome de cette indemnité. La fixation d’un mois de salaire, déjà retenue en première instance, est reconduite, sans débat sérieux sur une modulation possible. La cohérence interne de l’arrêt se lit dans l’articulation entre la date d’effet de la requalification et l’assiette salariale retenue, la cour s’en tenant à une stricte application du cadre légal.
Ce chef consolide une jurisprudence constante relative à la charge pesant sur l’entreprise utilisatrice, en dissociant clairement l’office de l’entreprise de travail temporaire, étrangère à cette indemnité de requalification, de celui du véritable employeur au sens du droit du travail.
B. L’indemnité de fin de mission: l’articulation avec la requalification à la lumière d’une jurisprudence récente
La cour replace, avec méthode, l’indemnité de fin de mission dans son double ancrage jurisprudentiel. Elle rappelle d’abord la règle relative au passage en contrat à durée indéterminée au terme des missions: « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable » (Soc., 8 décembre 2004, n° 01‑46.877). Elle rappelle également l’énoncé classique selon lequel « L’indemnité de fin de mission, qui est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire, lui reste acquise nonobstant la requalification » (Soc., 13 avril 2005, n° 03‑41.967). Ces formules, longtemps directrices, ne suffisent cependant plus à emporter la solution lorsque l’indemnité n’a pas été versée à l’échéance des missions.
L’arrêt opère ici une mise à jour décisive en citant le recentrage opéré par la Cour de cassation: « En revanche, l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée » (Soc., 25 octobre 2023, n° 22‑13.686). Appliquée au cas d’espèce, la requalification à compter du 13 mars 2017 prive de fondement la demande au titre de la précarité, faute de versement antérieur et en raison de l’effet substitutif du contrat à durée indéterminée reconstitué. La discussion sur le caractère raisonnable du délai séparant la fin de mission et l’entrée en fonction en contrat à durée indéterminée devient dès lors inopérante.
Enfin, la cour tire les conséquences procédurales et accessoires cohérentes: l’entreprise utilisatrice supporte seule les dépens et une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tandis que l’entreprise de travail temporaire est déchargée des condamnations prononcées en première instance. L’intervention volontaire du syndicat est déclarée irrecevable, faute de pouvoir régulier de représentation, ce qui conduit à l’infirmation des condamnations prononcées à son profit, sans qu’il soit besoin d’entrer dans une discussion sur l’intérêt collectif. Cette solution, conforme aux articles 117 et 121 du code de procédure civile, rappelle avec netteté l’exigence d’un mandat statutaire ou spécial pour agir.