Cour d’appel de Poitiers, le 4 septembre 2025, n°21/01249

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Poitiers, chambre sociale, tranche un litige relatif au travail temporaire, à la requalification en contrat à durée indéterminée et à l’indemnité de fin de mission. Un salarié a enchaîné plusieurs missions de septembre à décembre 2017 au sein d’une entreprise utilisatrice, en qualité de monteur, au motif de remplacement d’un salarié absent. Un contrat à durée indéterminée a débuté le 2 janvier 2018 dans l’entreprise utilisatrice, après l’interruption de fin d’année.

Saisi antérieurement, le conseil de prud’hommes de La Rochelle a, le 11 mars 2021, rejeté la requalification, accordé l’indemnité de fin de mission et alloué des dommages-intérêts pour rétention. L’entreprise de travail temporaire a interjeté appel; l’entreprise utilisatrice et le salarié ont conclu incidemment; un syndicat a tenté d’intervenir volontairement. La cour déclare l’appel recevable, juge irrecevable l’intervention du syndicat, confirme le rejet de la requalification, mais accorde l’indemnité de fin de mission recalculée et refuse les dommages-intérêts. L’arrêt conduit d’abord à préciser le contrôle du motif de remplacement et la charge probatoire; il invite ensuite à délimiter l’exigence d’immédiateté excluant l’indemnité de fin de mission.

I. Le recours au remplacement et la charge de la preuve

A. L’exigence d’une mission temporaire et la prohibition du besoin durable
Le cadre légal rappelle que le travail temporaire ne peut couvrir un besoin structurel. La cour cite expressément que « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». Le recours est admis, notamment, pour le remplacement d’un salarié absent, mais il doit rester circonscrit à une tâche précise et temporaire. La charge probatoire s’en déduit clairement: « Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission. »

Cette distribution de la preuve évite d’exiger du salarié une démonstration négative, souvent délicate. Elle ordonne le contrôle autour d’éléments objectifs, tels que les pièces de paie ou les attestations internes, aptes à établir l’absence du salarié remplacé pendant la période visée, et à cantonner la mission à l’événement temporaire.

B. Une application centrée sur la réalité d’une absence, non sur l’activité
La cour relève que toutes les missions visaient le remplacement d’un salarié en arrêt maladie durant la période litigieuse. L’entreprise utilisatrice produit des bulletins de paie établissant l’absence sur l’essentiel de la période, quand le salarié arguait d’un accroissement d’activité, argument heurtant directement le motif contractuel et les pièces produites. Le juge du fond en déduit que les conditions de l’article L.1251-40 ne sont pas réunies et confirme le rejet de la requalification.

La solution s’inscrit dans une ligne constante: dès lors que la réalité du motif nominatif de remplacement est prouvée, la requalification cède. Elle souligne toutefois l’utilité d’une documentation complète couvrant toutes les prorogations, afin de prévenir toute incertitude temporelle. À titre incident, la cour rappelle, au soutien de l’irrecevabilité de l’intervention syndicale, que « l’irrégularité de fond tirée du défaut de pouvoir du représentant d’une partie en justice peut être couverte jusqu’au moment où le juge statue ». Faute de statuts ou de mandat produits, l’intervention est écartée.

II. L’indemnité de fin de mission et l’immédiateté de l’embauche en CDI

A. Le principe de l’indemnité et la mesure du délai
L’indemnité de fin de mission compense la précarité en fin d’intérim, sauf embauche immédiate par l’utilisateur. La cour rappelle un jalon ancien: « Lorsque la prise d’effet du contrat n’est pas concomitante avec sa signature, cette prise d’effet doit intervenir dans un délai raisonnable (Soc., 8 décembre 2004, pourvoi n° 01-46.877, Bull. 2004, V, n° 330). » Elle précise encore deux règles utiles: « L’indemnité de fin de mission, qui est destinée à compenser la précarité de la situation du salarié intérimaire, lui reste acquise nonobstant la requalification du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée (Soc., 13 avril 2005, pourvoi n° 03-41.967, Bull. 2005, V, n° 139). » « En revanche, l’indemnité de fin de mission, lorsqu’elle n’a pas été versée au salarié au terme du dernier contrat de mission, ne lui est pas due dans l’hypothèse d’une requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée (Soc., 25 octobre 2023, pourvoi n° 22-13.686). »

La base de calcul est rappelée avec précision: taux de 10 % de la rémunération totale brute due au salarié, hors indemnité compensatrice de congés payés. Le débiteur est exclusivement l’entreprise de travail temporaire, l’indemnité étant versée avec le dernier salaire de la mission.

B. L’absence d’embauche immédiate et ses effets quantifiés
La cour constate l’absence de promesse d’embauche acceptée avant le terme de la mission et fixe la date d’effet du CDI au 2 janvier 2018. Elle souligne en conséquence l’écart temporel significatif: « L’acceptation du salarié étant intervenue onze jours après le terme du contrat de mission, il ne peut être considéré que le salarié a été immédiatement embauché par l’entreprise utilisatrice au sens de l’article L.1251-32 du code du travail. » Les congés de fin d’année et la fermeture de l’atelier ne suffisent pas à caractériser l’immédiateté requise sans contrat conclu à l’issue de la mission.

La conséquence indemnitaire est directement tirée du texte, puis chiffrée selon l’assiette adéquate: « Il s’ensuit que l’indemnité de fin de mission s’établit à la somme de 775,71 euros. » Le débiteur est l’entreprise de travail temporaire, seule tenue au versement, l’action dirigée contre l’utilisateur étant rejetée. La demande de dommages-intérêts pour rétention est écartée, faute de préjudice distinct de l’indemnité de précarité, ce qui recentre la réparation sur l’outil légal sans surcompensation.

Par cette double motivation, l’arrêt articule fermement la preuve du motif de remplacement avec la protection pécuniaire de fin de mission. Il précise les contours de l’immédiateté exigée pour priver l’intérimaire de l’indemnité, en liant la solution à l’établissement d’un véritable enchaînement contractuel, et non à la seule perspective d’embauche.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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