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Par un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 4 septembre 2025, la chambre sociale statue sur la validité d’un licenciement disciplinaire prononcé pour faute grave à l’encontre d’un dessinateur ETAM, après mise à pied conservatoire. Le contrat à durée indéterminée avait débuté le 14 septembre 2020. Une convocation à entretien préalable assortie d’une mise à pied conservatoire a été notifiée le 28 juillet 2021. Le licenciement est intervenu par lettre recommandée du 9 septembre 2021, motivée par la répétition d’erreurs techniques et un comportement qualifié d’insubordonné.
Saisi par le salarié, le conseil de prud’hommes de Rochefort-sur-Mer, le 12 juillet 2022, a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, accordant les indemnités de rupture, des dommages-intérêts et une astreinte pour la remise des documents de fin de contrat. L’employeur a interjeté appel, soutenant l’existence d’une pluralité de négligences graves et d’une attitude arrogante. Le salarié a conclu à la confirmation, invoquant l’imprécision des griefs, la prescription disciplinaire, l’absence de preuve d’avertissements et l’origine externe de certaines erreurs de cotes.
La question posée à la Cour était double. D’une part, déterminer si des erreurs professionnelles réitérées, non précédées de rappels formalisés, et un échange verbal isolé, caractérisent une faute grave rendant impossible le maintien du salarié. D’autre part, en tirer les conséquences indemnitaires et apprécier le grief autonome de brutalité et de vexation. La Cour confirme l’absence de manquement disciplinaire, retient l’insuffisance professionnelle, accorde les indemnités de rupture, maintient l’indemnisation au titre de l’article L.1235-3, rectifie le montant de l’indemnité légale de licenciement et rejette le caractère vexatoire de la rupture.
I – Le cadre juridique de la faute grave et le contrôle exercé
A – L’exigence d’impossibilité de maintien et la charge de la preuve
La Cour rappelle avec netteté la définition opérationnelle de la faute grave. Elle énonce que « La faute grave qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il appartient à l’employeur qui l’invoque, de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave. » La formulation est classique et recentre le débat sur l’intensité du manquement et son effet immédiat sur la relation de travail.
Le standard probatoire est en outre rigoureusement posé. La Cour cite le principe selon lequel « Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié. » Le doute ne joue cependant qu’après examen des éléments produits. Le contrôle porte sur la matérialité, l’imputabilité et l’intention fautive alléguée, appréciées au regard des pièces contemporaines et des éventuels rappels hiérarchiques.
L’exigence d’une démonstration positive de l’insubordination est corrélative au caractère excluant de la faute grave. Le recours à une mise à pied conservatoire ne préjuge pas, à lui seul, de la qualification retenue. La Cour vérifie donc que l’employeur établit une abstention volontaire d’exécuter les consignes, distincte d’une simple défaillance technique.
B – La portée de la lettre de licenciement et le régime de prescription disciplinaire
La motivation de la lettre détermine le périmètre du litige probatoire. La Cour rappelle que « La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. C’est au regard des motifs énoncés dans la lettre de licenciement que s’apprécie son bien fondé. » La précision attendue concerne la description des faits, leur datation, et la possibilité d’en vérifier la consistance documentaire.
Le rappel du délai de l’article L.1332-4 structure aussi l’analyse temporelle. La Cour énonce que « Si aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en compte d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai. » La réitération permet donc de contextualiser des faits plus anciens, sans dispenser l’employeur d’établir leur nature fautive et leur persistance dans la période utile.
En l’espèce, la lettre référait à une pluralité d’erreurs « depuis quelques mois » et à un entretien préalable, mais la Cour recherche des mises en garde tangibles. Elle observe l’absence d’écrits hiérarchiques adressés au salarié et la rectification rapide de certains points signalés en amont de la fabrication. À défaut de rappels circonstanciés et de consignes ignorées, la lettre, même circonstanciée par chantiers, ne suffit pas à établir une insubordination.
II – L’application au cas d’espèce et ses effets
A – L’insuffisance professionnelle consacrée et l’absence d’insubordination caractérisée
Les erreurs techniques invoquées étaient datées et identifiées. Toutefois, plusieurs avaient été signalées par maîtrise d’œuvre avant la fabrication et corrigées. La Cour souligne que l’employeur n’apporte pas la preuve de rappels clairs et antérieurs, adressés au salarié, restés sans effet. Dans ces conditions, la défectuosité de l’exécution ne révèle pas, par elle‑même, une volonté délibérée de méconnaître les instructions.
La motivation est explicite. La Cour retient que « Il s’ensuit que l’employeur ne démontre pas que l’exécution défectueuse du contrat de travail procède d’une mauvaise volonté délibérée du salarié. » Elle ajoute que « Les faits imputés au salarié relèveraient d’une insuffisance professionnelle, qui correspond à une mauvaise exécution des tâches ou à des erreurs commises dans cette exécution, et ne constituent pas une faute mais un motif personnel non disciplinaire de licenciement en l’absence de démonstration que les faits procèdent d’une abstention volontaire de respecter les consignes. » La distinction, décisive, neutralise la qualification disciplinaire et exclut la faute grave.
S’agissant des échanges verbaux et de la prétendue arrogance, la Cour retient l’absence de violence verbale constitutive de faute grave. Les attestations faisaient état de dates discordantes et de ressentis davantage que de propos outrageants ou de refus d’obtempérer. La posture décrite, même inappropriée, ne franchissait pas le seuil d’une indiscipline notoire et réitérée. L’élément intentionnel de défiance, opérant, n’était pas établi.
B – Les conséquences indemnitaires et le rejet du grief de brutalité et de vexation
La qualification retenue commande les suites financières. Dépourvu de cause réelle et sérieuse, le licenciement ouvre droit à l’indemnité compensatrice de préavis et aux congés afférents, selon la convention collective applicable et la rémunération moyenne. La Cour confirme l’indemnité de préavis d’un mois et ses congés. Elle applique ensuite l’article L.1234‑9 et ses décrets d’application pour l’indemnité légale de licenciement, avec calcul proportionnel à l’ancienneté incomplète. Le salaire de référence moyen a conduit au montant de 477,53 euros, substitué au chiffrage retenu en première instance.
Au titre de l’article L.1235‑3, l’ancienneté de onze mois et dix‑huit jours borne l’indemnité entre zéro et un mois. Prenant en compte la rémunération, l’âge au moment de la rupture, et les circonstances, la Cour alloue une somme équivalente à un mois. La cohérence de la réparation avec l’encadrement légal témoigne d’un contrôle concret et sobre des paramètres utiles.
Le grief autonome de brutalité et vexation appelle une définition préalable. La Cour rappelle que « Les circonstances vexatoires d’un licenciement correspondent à un comportement de l’employeur qui n’est pas justifié par l’intérêt de l’entreprise mais qui vise à humilier, discréditer ou atteindre le salarié dans sa dignité. » Elle constate l’absence d’intention d’atteinte personnelle, retient la fermeture de l’entreprise pour congés durant la mise à pied conservatoire et la prise en charge par la caisse de congés. Le procédé n’apparaît ni humiliant ni déloyal. La demande est en conséquence rejetée.
Enfin, les intérêts au taux légal sont accordés avec capitalisation selon l’article 1343‑2 du code civil, en distinguant créances indemnitaires et salariales, conformément aux règles classiques de point de départ. Les dépens sont mis à la charge de l’employeur, partie perdante, et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile est accordée au salarié en appel, dans une mesure mesurée par l’équité.
Ainsi, la Cour d’appel de Poitiers réaffirme, avec constance, que la gravité disciplinaire suppose des éléments précis, vérifiables et imputables, révélant une volonté de transgression et non de simples imperfections techniques. La lettre de licenciement borne le débat et ne dispense pas de la preuve d’une insubordination caractérisée. L’arrêt consolide une frontière jurisprudentielle utile entre faute grave et insuffisance professionnelle, tout en ordonnant des conséquences indemnitaires alignées sur le droit positif.