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La preuve du fait générateur de responsabilité civile délictuelle constitue l’un des enjeux majeurs du contentieux indemnitaire. Lorsque deux versions contradictoires s’affrontent sans élément objectif permettant de départager les parties, le demandeur supporte les conséquences de l’incertitude probatoire. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Reims le 1er juillet 2025 illustre cette difficulté.
Le 1er mars 2017, une altercation oppose deux personnes devant une agence bancaire au sujet d’un stationnement. La demanderesse dépose plainte le jour même pour violences volontaires, affirmant avoir été poussée par son interlocuteur et être tombée, se blessant au poignet. Le défendeur conteste toute violence physique et dépose plainte pour injure. Les deux plaintes sont classées sans suite.
La demanderesse engage une procédure civile. Elle obtient en référé la désignation d’un expert médical qui dépose son rapport le 31 janvier 2022. Elle assigne ensuite le défendeur devant le tribunal judiciaire pour obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Par jugement du 7 mars 2024, le tribunal judiciaire de Reims la déboute de toutes ses demandes, considérant que la preuve d’une faute imputable au défendeur n’est pas rapportée. La demanderesse interjette appel.
Elle soutient que le défendeur l’a violemment poussée, causant sa chute et sa fracture du poignet. Elle invoque ses déclarations constantes et les conclusions expertales établissant la réalité de ses blessures. Le défendeur conteste avoir commis un quelconque geste violent et affirme que la demanderesse a perdu l’équilibre de son propre fait.
La Cour d’appel de Reims devait déterminer si la preuve d’une faute du défendeur, directement à l’origine de la chute de la demanderesse, était rapportée.
Par arrêt du 1er juillet 2025, la cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que si l’existence d’un conflit verbal est établie, « il n’est en revanche produit aucun élément permettant de rapporter la preuve d’une quelconque faute commise par ce dernier directement à l’origine de la chute ». Elle ajoute que « le simple fait pour [la demanderesse] d’avoir, avec constance, indiqué avoir chuté par la faute [du défendeur] ne peut suffire à prouver que ce dernier est effectivement responsable de sa chute ».
Cet arrêt mérite examen tant au regard de l’exigence probatoire pesant sur la victime (I) que des limites de la constance déclarative comme mode de preuve (II).
I. L’exigence d’une preuve positive du fait générateur de responsabilité
La cour rappelle les conditions classiques de la responsabilité délictuelle avant de constater l’insuffisance des éléments probatoires produits.
A. Le rappel du triptyque traditionnel de l’article 1240 du code civil
La cour vise l’article 1240 du code civil et énonce que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Elle rappelle ensuite qu’il appartient à la demanderesse « de prouver l’existence d’une faute de ce dernier, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice ».
Cette formulation reprend la structure classique de la responsabilité pour faute. La jurisprudence impose au demandeur d’établir cumulativement ces trois éléments. La charge de la preuve pèse intégralement sur la victime conformément à l’article 1353 du code civil.
L’arrêt n’innove pas sur ce point mais réaffirme avec netteté le principe. En matière délictuelle, contrairement à certains régimes de responsabilité objective, aucune présomption ne vient alléger le fardeau probatoire. La victime doit démontrer le comportement fautif du défendeur par des éléments tangibles.
B. L’absence d’élément objectif corroborant les allégations
La cour examine méthodiquement les pièces produites. Elle relève que le dossier de l’enquête de gendarmerie révèle que « le personnel de la banque n’a pas été témoin des faits et la vidéosurveillance n’a pas permis d’établir les faits de violence ». Le défendeur a pour sa part « nié avoir violenté la plaignante ».
Les pièces médicales attestent des blessures subies mais la cour précise qu’elles « ne peuvent valoir preuve de l’agression ». Cette distinction est essentielle. L’existence d’un dommage corporel objectivement constaté ne préjuge pas de son origine. L’expert médical peut certifier une fracture du poignet compatible avec une chute sans pouvoir établir la cause de cette chute.
La cour distingue ainsi le fait incontestable, l’altercation verbale que le défendeur « ne conteste d’ailleurs pas », du fait contesté, le geste de violence physique. Seul le premier est établi. Le second demeure dans l’incertitude faute d’élément probant.
II. Le rejet de la constance déclarative comme mode de preuve suffisant
La cour écarte la valeur probatoire des déclarations réitérées de la demanderesse et tire les conséquences de l’échec probatoire.
A. L’insuffisance des affirmations unilatérales fussent-elles constantes
La cour énonce que « le simple fait pour [la demanderesse] d’avoir, avec constance, indiqué avoir chuté par la faute [du défendeur] ne peut suffire à prouver que ce dernier est effectivement responsable de sa chute, celui-ci ayant, tout comme elle, affirmé avec force ne pas l’avoir touchée ».
Cette formulation revêt un intérêt particulier. La constance d’une affirmation pourrait être perçue comme un indice de sincérité. La cour refuse d’y voir un élément probatoire suffisant. Elle met en parallèle les déclarations contradictoires des deux parties qui présentent une égale fermeté. Nul ne peut être juge de sa propre cause.
Le principe se justifie par la logique même du procès civil. Admettre qu’une partie puisse établir un fait par la seule réitération de ses dires reviendrait à priver l’autre partie de la possibilité de se défendre utilement. La parole de l’un ne saurait prévaloir sur celle de l’autre en l’absence d’élément extérieur.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante. Les juridictions civiles exigent des preuves objectives et refusent de trancher sur la base de la crédibilité comparée des déclarations.
B. Les conséquences de l’incertitude probatoire
La cour confirme le rejet de toutes les demandes indemnitaires. La demanderesse réclamait une somme totale de 22 837 euros au titre de divers préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Ces demandes ne peuvent prospérer faute de preuve du fait générateur.
L’arrêt illustre la rigueur du régime probatoire en matière délictuelle. La victime d’un dommage corporel peut se trouver privée de toute indemnisation si elle ne parvient pas à identifier et à prouver le comportement fautif d’un tiers. La seule certitude du dommage ne suffit pas.
Cette solution peut paraître sévère pour la demanderesse qui a effectivement subi une fracture du poignet. Le droit positif assume cette rigueur au nom de la sécurité juridique. Condamner un défendeur sur la base d’allégations non établies porterait atteinte à ses droits.
La cour condamne en outre la demanderesse au paiement de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Cette condamnation sanctionne l’échec d’un recours mal fondé en preuve. Elle rappelle que l’exercice d’une voie de recours comporte un risque financier pour le plaideur qui succombe.