Cour d’appel de Reims, le 10 septembre 2025, n°24/00273

Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 10 septembre 2025, la chambre sociale tranche une prise d’acte pour salaires impayés et ses conséquences. L’espèce interroge le contrôle de la gravité du manquement invoqué et l’office du juge dans l’évaluation des suites indemnitaires en contexte de procédure collective.

Un salarié, embauché en 2019 en contrat à durée indéterminée comme cuisinier, a pris acte de la rupture le 4 mai 2023 pour non‑paiement de salaires. Saisi en juin 2023, le conseil de prud’hommes a requalifié la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué divers rappels et indemnités. L’employeur a interjeté appel, puis a été placé en liquidation, le mandataire et l’organisme de garantie intervenant à la procédure.

En appel, le mandataire soutenait la démission, contestait toute dette salariale depuis août 2022, et réclamait une indemnité pour préavis non exécuté. Le salarié demandait confirmation, sollicitait des rappels jusqu’au 6 mai 2023, et des dommages‑intérêts au titre de l’article L.1235‑3 du code du travail. L’organisme de garantie concluait à la limitation de sa garantie aux plafonds légaux et à l’exclusion des astreintes et frais irrépétibles.

La cour devait d’abord apprécier la charge de la preuve et la gravité du non‑paiement réitéré des salaires au regard de la prise d’acte. Elle devait ensuite fixer les conséquences indemnitaires dans le cadre du barème légal, et trancher les effets collectifs liés à la procédure. La Cour d’appel de Reims confirme la requalification, fixe un rappel net arrêté au 16 avril 2023, et maintient les indemnités de rupture après rectification matérielle. Elle liquide le préjudice selon l’article L.1235‑3 à 2 000 euros, applique l’article L.1235‑4, et limite les mesures accessoires.

I. La prise d’acte fondée sur des salaires impayés: preuve et gravité du manquement

A. La preuve du paiement des salaires et l’étendue du rappel

La cour retient que la charge de prouver le règlement des salaires pèse sur l’employeur, lequel ne produit aucun justificatif de paiement probant. Elle écarte la valeur démonstrative d’un avis d’imposition pour établir des versements précis, faute d’identification de la provenance des sommes déclarées. Ce contrôle probatoire protège la créance de salaire tout en imposant une rigueur documentaire minimale au débiteur.

Au terme de cette appréciation, la cour énonce sans détour que « Le manquement de l’employeur tiré du non-paiement des salaires est établi, au vu de ce qui vient d’être précédemment retenu. » L’affirmation, ferme et concise, s’inscrit dans une orthodoxie classique: lorsque l’employeur ne justifie pas des paiements, l’obligation salariale demeure impayée.

S’agissant de la période retenue, la cour circonscrit cependant le rappel au temps effectivement travaillé. Elle considère que le défaut de travail allégué au‑delà du 16 avril 2023 réduit l’assiette sans effacer la dette antérieure. Elle arrête ainsi le rappel net d’août 2022 au 16 avril 2023 et ajoute les congés payés y afférents.

Le rappel est fixé à 13 020,09 euros nets, outre 1 302 euros au titre des congés payés. La décision consacre la fixation au passif et précise, pour sécuriser l’exécution, les bases nettes et les modalités de déduction des charges salariales.

B. La qualification de la prise d’acte au regard de la gravité du manquement

La cour rappelle la grille de lecture prétorienne de la prise d’acte: « Si les griefs invoqués par le salarié, qu’il lui appartient de prouver, sont réels et suffisamment graves, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut la prise d’acte produit les effets d’une démission. » Ce rappel, classique, oriente l’examen vers la gravité intrinsèque du manquement et son impact sur la poursuite du contrat.

Appliquant cette méthode, la cour constate ensuite que « Un tel manquement de l’employeur à l’une de ses obligations principales, qui a duré pendant plusieurs mois, est suffisamment grave pour avoir empêché la poursuite du contrat de travail. » L’absence de paiement, persistant sur plusieurs mois, atteint directement l’obligation essentielle de rémunération et empêche la continuation loyale de la relation.

La lettre de prise d’acte, adressée au siège, a produit effet à la date du 4 mai 2023. La requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse s’impose donc, entraînant mécaniquement les indemnités de rupture, sous réserve de l’ajustement matériel des congés payés sur préavis. Cette consolidation du principe éclaire les suites indemnitaires et collectives.

II. Les conséquences indemnitaires et collectives de la requalification

A. L’application du barème légal et l’évaluation du préjudice

La cour retient une ancienneté complète de trois années et l’absence de preuve d’un effectif inférieur à onze salariés. Elle applique en conséquence la fourchette légale de l’article L.1235‑3 et fonde son évaluation sur un salaire de référence d’environ 1 533 euros.

Au regard des éléments produits, notamment la déclaration de revenus de l’année suivante, la réparation est évaluée à 2 000 euros. Le quantum, inférieur au montant alloué en première instance, reflète une appréciation individualisée du préjudice dans les bornes contraignantes du barème.

Ce calibrage indemnitaire manifeste une ligne constante: le juge conserve un pouvoir d’appréciation contextualisé, mais demeure tenu par l’intervalle légal. Le contrôle de proportion et de cohérence, ici assumé, participe d’une sécurité normative recherchée.

B. Les effets de la procédure collective, des garanties et des mesures accessoires

La cour précise d’abord que « Les conditions d’application de l’article L.1235-4 du code du travail sont réunies. » Cette affirmation commande le remboursement, par le mandataire, des allocations de chômage dans la limite légale, à compter du licenciement jusqu’à la décision judiciaire.

La décision est déclarée opposable à l’organisme de garantie, dans les limites de son champ légal et des plafonds réglementaires. Le schéma indemnitaire demeure ainsi sécurisé pour le salarié, tout en respectant le régime impératif de garantie des créances salariales.

S’agissant des modalités d’exécution, la cour rappelle que « Dit que les fixations de créances sont faites sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables, à l’exception de la créance de rappel de salaire fixée ci-dessus en net. » Cette précision technique évite les ambiguïtés d’assiette et stabilise la liquidation des droits.

La remise des documents de fin de contrat est ordonnée sans contrainte pécuniaire, la cour indiquant sobrement: « Dit n’y avoir lieu à astreinte de ce chef. » La mesure, suffisante au regard du contexte collectif, préserve l’exécution sans alourdir la charge de la procédure.

Enfin, la rectification d’office d’une erreur matérielle est opérée sur les congés payés afférents au préavis, ramenés à 339,01 euros. Aucune indemnité de procédure n’est allouée en appel, les dépens étant employés en frais privilégiés de la procédure collective.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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