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Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 10 septembre 2025, n° RG 24/00930. L’arrêt tranche plusieurs questions relatives à la durée du travail, au harcèlement moral, ainsi qu’à la rupture pour inaptitude avec obligation de reclassement. Une salariée, recrutée en décembre 2020 en qualité de responsable comptable puis transférée conventionnellement au sein d’une autre entité à compter du 1er janvier 2021, a connu un arrêt maladie dès janvier 2022. Un avis d’inaptitude a été émis le 20 février 2023, suivi d’une notification d’impossibilité de reclassement et d’un licenciement notifié le 23 mars 2023.
Saisie de demandes indemnitaires et salariales, la formation prud’homale a débouté la salariée de ses prétentions essentielles, retenant un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse. En appel, la salariée sollicitait des rappels d’heures supplémentaires, l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, des congés payés restants, la nullité ou à tout le moins l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. L’employeur sollicitait la confirmation des rejets, hors frais irrépétibles, et la limitation d’éventuelles condamnations.
La cour retient, d’une part, l’accomplissement d’heures supplémentaires sur la base d’éléments suffisamment précis, sans dépasser le contingent ouvrant droit à contrepartie obligatoire en repos. Elle juge, d’autre part, caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé au regard de l’écart entre durée contractuelle et paie mensuelle, et des alertes adressées. Les allégations de harcèlement moral sont écartées, faute d’agissements répétés. Enfin, l’avis d’inaptitude ne dispensait pas l’employeur de toute recherche, la cour sanctionnant l’absence d’investigations internes et prononçant l’absence de cause réelle et sérieuse, avec rappel de préavis et octroi de dommages-intérêts dans la fourchette légale.
I. La durée du travail et le travail dissimulé: une articulation rigoureuse des preuves et des effets
A. La charge de la preuve des heures supplémentaires et l’office du juge
La cour applique avec méthode le régime probatoire aménagé de l’article L.3171-4 du code du travail. Elle rappelle que « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Ce rappel du standard probatoire, désormais classique, met en lumière l’exigence de précision suffisante plutôt que de preuve parfaite.
En l’espèce, la salariée produit un tableau journalier détaillant ses horaires sur une année et un courriel récapitulant des amplitudes sur deux semaines. Ces éléments, jugés « suffisamment précis », appelaient une réponse probatoire de l’employeur, lequel ne verse aucun dispositif de contrôle horaire. En conséquence, la cour retient l’existence d’heures supplémentaires, tout en ajustant souverainement leur quantum. Elle motive ce calibrage par une discordance constatée entre les plages horaires revendiquées et celles reconnues par le courriel d’octobre, et par la prise en compte de jours de RTT déjà octroyés. La formulation est nette: « Au vu de l’ensemble de ces éléments, la réalité des heures supplémentaires est établie, toutefois pas dans la proportion réclamée, laquelle apparaît excessive. » L’appréciation concrète et proportionnée rejoint la jurisprudence bien établie sur l’évaluation souveraine des heures et des rappels corrélatifs.
La décision rappelle aussi, incidemment, l’économie de la contrepartie obligatoire en repos. La demande est écartée faute de dépassement du contingent annuel de 220 heures, seuil décisif pour l’ouverture d’un droit autonome à repos compensateur. Cette solution, stricte, s’inscrit dans la logique textuelle du dispositif qui distingue rémunération des heures et droit à repos.
B. L’élément intentionnel du travail dissimulé: indices convergents et connaissance employeur
La reconnaissance du travail dissimulé repose sur la preuve d’une intention de dissimuler tout ou partie de l’emploi salarié. La cour l’admet au regard d’indices cohérents: durée contractuelle fixée à 37,5 heures hebdomadaires avec paie limitée à 151,67 heures mensuelles, nombre de jours de RTT insuffisants pour compenser l’écart, et signalements explicites des dépassements par la salariée. La motivation souligne un fait déterminant: « En outre, la salariée avait informé la secrétaire générale le 29 octobre 2021 des heures supplémentaires réalisées les 2 semaines précédentes à hauteur de 41,75 heures et de 41 heures. Celle-ci avait alors accusé réception du récapitulatif des tâches et indiquait qu’elle prendrait le temps à son retour de congés de l’étudier ensemble. » La connaissance de l’employeur, révélée par cet échange, emporte ici la qualification d’intention.
La cour applique ensuite l’article L.8223-1 et alloue l’indemnité forfaitaire, calculée sur la base d’un salaire réajusté par l’intégration des heures retenues. La solution marque une vigilance particulière lorsque la structure de rémunération ne reflète pas la durée convenue, alors même que des alertes documentées existent. Elle s’inscrit dans un mouvement prétorien conscient des pratiques d’aménagement non déclaré des horaires et de la tentation de compenser par un faible volant de RTT sans régularisation salariale adéquate. Si l’exigence d’intention demeure élevée, la décision illustre qu’elle peut résulter d’un faisceau d’indices dont la cohérence prime l’absence d’aveu.
II. L’inaptitude et le reclassement: portée de l’avis médical et sanction du manquement
A. L’avis d’inaptitude: articulation entre dispense cochée et indications de reclassement
Le médecin du travail a coché la dispense selon laquelle « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Toutefois, le même avis comporte des indications limitant l’inaptitude au poste occupé, décrivant un périmètre professionnel précis. La cour en déduit que l’employeur n’était pas intégralement dispensé de rechercher un reclassement. L’analyse insiste sur l’ambivalence de l’avis et sur la nécessité, pour l’employeur, de solliciter des précisions lorsque la case de dispense générale coexiste avec une indication ciblée. Ce raisonnement concorde avec la finalité protectrice du reclassement, lequel ne se réduit pas à la seule référence formelle à la dispense, mais suppose une lecture cohérente de l’ensemble des rubriques de l’avis.
Dans le même mouvement, la cour distingue clairement les sphères de recherche. Elle écarte l’obligation de reclassement au niveau d’un groupe faute de démonstration d’une organisation permettant la permutation de personnel. Cette exigence probatoire, axée sur la réalité des liens fonctionnels, demeure constante. Elle évite d’ériger la pluralité d’entités en groupe pertinent sans éléments structurels et opérationnels probants.
B. L’obligation de reclassement interne et la sanction de l’insuffisance de recherches
La cour constate l’absence de démarches sérieuses de reclassement au sein même de l’entreprise, en dehors du poste initialement occupé. Aucun poste adapté n’a été recherché ni proposé, alors que l’ambivalence de l’avis imposait une investigation. La sanction est immédiatement rappelée: « Un tel manquement prive de cause réelle et sérieuse le licenciement. » La solution s’inscrit dans la ligne selon laquelle la carence de recherches suffit à défaire la cause, indépendamment de l’issue incertaine des investigations qui auraient dû être menées.
En cohérence, la nullité est écartée, l’inaptitude n’étant pas d’origine professionnelle et le harcèlement non établi. S’agissant des conséquences, la cour accorde l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ce qui rappelle la solution classique en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement. Elle fixe ensuite les dommages-intérêts dans la borne prévue par l’article L.1235-3, en retenant l’assiette d’une entreprise de moins de onze salariés, et des circonstances personnelles non aggravantes. La motivation demeure sobre et conforme à l’économie du barème, dont elle applique la grille sans s’en écarter.
La décision aborde enfin les demandes périphériques avec la même rigueur. L’absence de harcèlement moral est confirmée, la cour rappelant le cadre probatoire: « En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par la salariée […] et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. » À défaut d’agissements répétés et convergents, la présomption n’est pas activée. Enfin, la contrepartie obligatoire en repos est refusée, puisque le contingent n’était pas dépassé, tandis que des congés payés acquis postérieurement sont alloués sur un fondement légal précisément motivé.
Cette décision, didactique, articule avec finesse les régimes de preuve en matière de durée du travail et la logique protectrice du reclassement. Elle invite les employeurs à maintenir des dispositifs fiables de suivi horaire et à documenter leurs recherches de reclassement dès qu’un avis d’inaptitude présente une portée ambiguë. Elle rappelle, surtout, qu’en présence d’alertes explicites et d’un décalage entre durée convenue et paie, l’élément intentionnel du travail dissimulé peut être retenu, avec les effets particulièrement incisifs qui s’y attachent.