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Rendue par la cour d’appel de Reims, chambre sociale, le 10 septembre 2025, la décision tranche un licenciement disciplinaire contesté. La salariée, cadre, avait été congédiée après la découverte d’enregistrements illicites commis par son conjoint dans les sanitaires de l’entreprise. L’employeur lui imputait une participation, un manquement à la décence, une atteinte à l’image et un acte d’insubordination. Le conseil de prud’hommes avait admis la cause réelle et sérieuse. La cour infirme, dénie la cause, refuse un préjudice moral distinct, maintient le calcul de l’indemnité légale, alloue des dommages en application de l’article L. 1235-3 et ordonne la remise des documents, avec remboursement à l’organisme d’assurance chômage au titre de l’article L. 1235-4.
Au regard de la procédure, la lettre de licenciement a fixé des griefs disciplinaires précis. L’employeur invoquait la participation alléguée aux faits du conjoint, la non‑dénonciation d’une première découverte de téléphone, la dégradation du climat interne et l’atteinte à l’image, ainsi qu’une présence dans l’établissement pendant la mise à pied. La cour rappelle le régime de la preuve et de la prescription disciplinaire, puis apprécie, grief par grief, la matérialité des manquements et leur imputabilité. Elle retient l’absence de participation prouvée, la neutralité juridique d’images prises dans un lieu d’intimité et non diffusées, l’origine externe du trouble collectif, enfin l’absence d’insubordination.
I) Le cadre du contrôle des griefs disciplinaires
A) Prescription et connaissance exacte des faits
La cour situe d’abord le débat sur le terrain disciplinaire et la temporalité de l’action. Elle vise l’article L. 1332-4 et rappelle la règle prétorienne gouvernant le point de départ du délai. Elle énonce ainsi: « Selon la jurisprudence constante de la chambre sociale de la cour de cassation, le délai de deux mois, imparti à l’employeur pour engager la procédure disciplinaire, court à compter du jour où il a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié. » Elle ajoute, dans le même mouvement, la possibilité de reviviscence en présence de faits nouveaux: « L’employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, dès lors que les deux fautes procèdent d’un même comportement. »
Cette articulation emporte deux conséquences. D’une part, l’information déterminante a été datée des auditions policières, de sorte que le délai n’était pas expiré. D’autre part, l’antériorité d’un premier épisode de découverte de téléphone pouvait être reliée, par communauté de comportement, sans se heurter à la prescription. L’analyse est classique et cohérente avec la fonction de la prescription disciplinaire, qui vise la sécurité juridique sans entraver l’établissement loyal des faits.
B) Fixité des griefs et portée de la lettre
La cour tient ensuite la lettre de licenciement pour borne du litige. Elle relève qu’en défense, l’employeur tendait à déplacer le centre de gravité, en substituant à la participation alléguée une critique d’attitude postérieure et d’absence de dénonciation. Le rappel du principe d’intangibilité des griefs s’impose: la lettre circonscrit l’objet du débat, et l’employeur ne peut, en plaidoirie, en remodeler la substance. Cette rigueur garantit l’équilibre contradictoire et protège le salarié contre une variabilité opportuniste des imputations.
Le contrôle exercé reste pédagogique. La cour recale la discussion sur les seuls griefs initialement articulés, puis applique, à chacun, l’exigence probatoire d’une matérialité établie et d’un lien imputable. La méthode, sobre, éclaire la suite: l’absence de preuve de connaissance des agissements, l’espace protégé des sanitaires, le rôle causal des propos extérieurs au contrat, enfin la présence encadrée auprès d’un représentant du personnel.
II) L’appréciation des griefs et les effets de la solution
A) Participation alléguée, décence et obligation de sécurité
Le premier grief tenait à une participation prétendue, illustrée par des photographies intimes prises dans les sanitaires et adressées au conjoint. La cour distingue nettement. Elle refuse d’en déduire une complicité dans des enregistrements clandestins commis à l’insu de tiers. La preuve de la connaissance des actes illicites fait défaut. Surtout, elle souligne la spécificité du lieu et l’absence de diffusion des images. La formule est nette et appelle commentaire: « Les toilettes constituent un lieu clos et non soumis à la vue du public. » L’atteinte à la décence ne saurait être caractérisée par des prises de vues privées, non publiques, réalisées dans un espace d’intimité au travail.
Le second grief concernait la dégradation du climat et l’atteinte à la dignité des collègues. La cour relève que le trouble procédait de propos tenus par des enquêteurs, et non d’un comportement fautif propre de la salariée. L’obligation de sécurité n’autorise pas une sanction détachée d’une faute personnelle. Le rappel négatif est explicite: « Le deuxième grief n’est donc pas fondé. » La solution est équilibrée. Elle préserve la protection de la santé au travail, tout en exigeant l’imputabilité du trouble à un manquement avéré du salarié visé par la sanction.
B) Insubordination, mise à pied conservatoire et conséquences indemnitaires
Le dernier grief visait une présence dans l’établissement durant la mise à pied. La cour retient que la salariée se rendait à un entretien de préparation avec un représentant du personnel, dans un local dédié, et qu’elle a quitté les lieux sur conseil. La conclusion s’impose, ferme et brève: « Dans ces conditions, l’acte d’insubordination n’est pas caractérisé. » La mise à pied conservatoire, mesure non punitive et rémunérée, ne pouvait, par ailleurs, être annulée; la cour confirme à bon droit ce chef.
L’absence de cause réelle et sérieuse déclenche alors le régime de l’article L. 1235-3. La cour apprécie l’ancienneté, l’âge, la rémunération de référence et la situation de reclassement rapide. Elle alloue une indemnité calibrée au barème, d’environ trois mois, et ordonne la remise des documents de fin de contrat. Elle refuse des dommages pour préjudice moral distinct, faute de lien probant avec un comportement de l’employeur. Enfin, application est faite de l’article L. 1235-4 par le remboursement, dans la limite légale, des prestations d’assurance chômage à l’organisme compétent.
La décision offre une grille claire. Elle réaffirme l’exigence probatoire sur la participation alléguée, précise la portée de la décence au travail dans un lieu d’intimité, borne l’usage de l’obligation de sécurité, et réinstalle la lettre de licenciement au cœur du procès disciplinaire.