Cour d’appel de Reims, le 10 septembre 2025, n°24/01750

La Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 10 septembre 2025, statue sur les suites d’une rupture conventionnelle intervenue en juillet 2023, en présence ultérieure d’une liquidation judiciaire. La salariée avait saisi le Conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne, le 22 avril 2024, pour obtenir notamment une indemnité compensatrice de congés payés, des dommages-intérêts et des documents rectifiés. Par jugement du 22 novembre 2024, les juges prud’homaux avaient fixé au passif les sommes demandées, ordonné la remise de bulletins rectifiés et admis l’opposabilité à l’organisme de garantie des salaires.

L’appel, limité, émanait du mandataire liquidateur qui contestait l’indemnité de congés payés, les dommages-intérêts et la rectification des bulletins. L’intimée sollicitait la confirmation, une indemnité de procédure et l’opposabilité de l’arrêt. Le litige posait d’abord la question de la preuve de la prise effective des congés payés au sens des articles L.3141-1 et L.3141-28 du code du travail, et de la portée probatoire des mentions portées sur les bulletins. Il invitait ensuite à déterminer les conditions et l’étendue d’une réparation distincte du droit à l’indemnité de congés payés, lorsque l’effectivité du repos n’a pas été assurée.

I. L’exigence d’une preuve positive de la prise de congés

A. La charge probatoire et l’indemnité compensatrice

La cour fonde son analyse sur le texte de référence. Elle rappelle que « L’article L.3141-28 du code du travail dispose que : ‘ Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d’après les articles L.3141-24 à L. 3141-27.’ ». L’accès à l’indemnité suppose donc que les jours acquis n’aient pas été effectivement pris avant la rupture, ce qui renvoie à une question probatoire centrale.

La cour énonce clairement la règle de preuve en jugeant que « La charge de la preuve de la prise de congés payés par le salarié incombe à l’employeur. ». Cette affirmation recentre le débat sur l’initiative patronale d’organisation et de traçabilité des congés, et non sur la seule abstention du salarié. À défaut de démonstration de périodes de repos effectif, l’indemnité compensatrice s’impose, ce qui conduit à la confirmation du chef relatif aux 25,5 jours restés non pris à la date de la rupture.

B. La valeur des mentions salariales et des clauses de rupture

La cour écarte l’argument tiré des bulletins mentionnant des congés sur la période litigieuse, après avoir relevé des erreurs antérieures non corrigées. La fragilité interne de la pièce prive la mention de sa portée probatoire, au regard de l’exactitude matérielle exigée de tels documents. En conséquence, elle valide la solution de première instance ordonnant la correction, en retenant que « Dès lors, c’est à raison que les premiers juges ont ordonné la remise de ces bulletins de paie rectifiés. ».

S’agissant du protocole de rupture, la cour refuse toute automaticité d’une prise de congés durant les délais légaux. Elle souligne qu’aucune stipulation ne permettait de déduire que les congés seraient nécessairement posés entre l’entretien et l’homologation, en relevant qu’il « ne résulte nullement du protocole de rupture conventionnelle » une telle obligation, et en rappelant seulement qu’il y est écrit qu’« il ‘est rappelé que tous les congés payés pris durant le délai de réflexion et le délai d’homologation seront décomptés du solde de congés payés du salarié, et ce même en cas de rétractation de l’une ou l’autre des parties, ou à défaut d’homologation’. ». Ce cantonnement textuel protège l’indemnité compensatrice dès lors que la prise effective n’est pas établie.

II. L’indemnisation du défaut d’effectivité du droit au repos

A. La caractérisation du préjudice autonome

Au-delà de l’indemnité légale, la cour admet un préjudice autonome né de l’absence de repos effectif pendant une période significative de la relation. Elle encadre toutefois l’office du juge par un rappel méthodologique ferme : « Il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits. ». Ce rappel distingue nettement l’indemnité de congés, de nature compensatoire objective, et les dommages-intérêts, qui supposent un préjudice caractérisé.

Le fondement substantiel réside dans l’effectivité du droit au repos, garanti par l’article L.3141-1 du code du travail, dont le cœur normatif est rappelé par la cour : « tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur ». En constatant l’octroi très tardif des premiers congés, la décision retient une atteinte à la finalité réparatrice et préventive du repos annuel, ouvrant droit à une réparation spécifique, sous réserve d’écarter les autres griefs non prouvés.

B. La modulation du quantum et l’office du juge

La cour exerce un contrôle de proportion sur le montant alloué. Après avoir écarté les postes non démontrés, elle réduit la somme réparant la privation de repos à un niveau jugé suffisant, en décidant que « La fixation d’une créance de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts répare entièrement le préjudice subi. ». L’évaluation retient la réalité du trouble, mais limite le quantum à l’intensité objectivement caractérisée par le dossier.

Cette approche graduée se prolonge par des mesures accessoires cohérentes. Les bulletins sont rectifiés, l’arrêt est déclaré opposable à l’organisme de garantie des salaires dans les limites légales, et une indemnité de procédure d’appel est fixée au passif. L’ensemble consacre une articulation équilibrée entre indemnité légale de congés non pris, réparation du manquement à l’effectivité du repos et sécurité probatoire des documents salariaux.

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Hassan KOHEN
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