Cour d’appel de Reims, le 10 septembre 2025, n°24/01957

Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 10 septembre 2025 (n° RG 24/01957). La juridiction tranche la validité d’un avenant de repositionnement conclu par un salarié reconnu travailleur handicapé.

Engagé comme ouvrier paysagiste puis chef d’équipe, l’intéressé a fait l’objet de restrictions médicales constantes depuis 2019, excluant la conduite d’engins, le travail en hauteur et les tâches complexes.

Après deux projets d’avenant présentés en 2022, un avenant signé le 17 novembre 2023 l’a repositionné au niveau 4, avec maintien de la rémunération attachée au niveau 6. Le conseil de prud’hommes de Reims a débouté l’ensemble des demandes de nullité, réintégration et dommages et intérêts par jugement du 2 décembre 2024.

En appel, le salarié invoque des pressions et son état psychique pour caractériser un vice du consentement. L’employeur oppose l’absence de preuve et le respect des préconisations du médecin du travail. La question porte sur l’existence d’un vice du consentement lors de la signature et, subsidiairement, sur une faute génératrice d’un préjudice moral. La cour confirme, retenant notamment: « Aucune menace, intimidation ou pression n’est caractérisée » et « La nullité de l’avenant ne peut dès lors être encourue sur ce motif ».

I. Le sens de la décision

A. Les critères du vice du consentement retenus

La cour rappelle fermement le cadre normatif. Elle énonce: « Selon l’article 1130 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Elle ajoute: « L’article 1131 du code civil énonce que les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

Elle précise encore les modalités d’appréciation: « La preuve d’un vice du consentement incombe à celui qui l’allègue et le vice du consentement s’apprécie au jour où il a été donné ». Le rappel jurisprudentiel est complet: « Le vice du consentement peut résulter de violences morales (Cass., Soc., 30 janvier 2013, n°11-22.332), de pressions et de menaces par l’employeur (Cass., Soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865), de manoeuvres dolosives (Cass., Soc., 9 juin 2015, n°14-10.192) ou d’une altération des facultés mentales du salarié (Cass., Soc., 16 mai 2018, n° 16-25.852) ». Le raisonnement articule donc la charge de la preuve, l’instant décisif du consentement et la typologie des vices reconnus.

B. L’application aux éléments de l’espèce

La cour contrôle ensuite la preuve alléguée, soulignant: « Aucun élément n’est versé aux débats concernant les pressions invoquées ». L’attestation rapportant des propos indirects est écartée comme insuffisante, la décision estimant que « cette attestation est dès lors dépourvue de force probante ».

L’appréciation de la volonté contractuelle s’appuie sur des faits antérieurs éclairants. Le salarié avait écrit: « je fais suite à l’avenant de mon contrat de travail daté du 21 avril 2022 qui m’a été remis en main propre. Cet avenant doit prendre effet à compter du 1er juin 2022.

Par la présente je vous notifie mon désaccord concernant la mise en place de cet avenant qui vise à réduire mon salaire alors que je suis employé au sein de votre entreprise depuis novembre 2003 ». La cour en déduit une capacité à refuser, rétrospectivement cohérente avec l’absence de contrainte lors de la signature ultérieure.

La vulnérabilité est reconnue mais relativisée au moment décisif: « Toutefois cet état de santé n’a pas empêché le salarié de refuser les conditions mentionnées dans le premier avenant ». Elle observe enfin la conformité de la mesure aux exigences médicales: « La cour relève par ailleurs que la modification des fonctions du salarié était conforme aux préconisations et réserves du médecin du travail ». L’ensemble conduit à constater l’absence de vice, donc l’impossibilité d’annuler l’avenant.

Cette lecture du consentement, centrée sur la preuve et la cohérence médicale, structure l’appréciation de la valeur et de la portée de l’arrêt.

II. Valeur et portée de la solution

A. Vulnérabilité, capacité et contrôle du juge

La décision prend acte d’une situation de fragilité soutenue par des pièces médicales et la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Elle refuse pourtant d’ériger cette vulnérabilité en présomption de vice, retenant que « la preuve d’un vice du consentement incombe à celui qui l’allègue ». Le contrôle se concentre sur l’instant de la signature et les indices concrets de pression, non sur un état général.

Cette approche présente une cohérence avec la logique des vices du consentement, attachée à l’altération déterminante de la volonté au moment contractuel. Elle évite l’assimilation trop rapide entre santé dégradée et consentement vicié, surtout lorsque des éléments objectifs attestent l’aptitude à exprimer un refus éclairé. Elle admet ainsi une vulnérabilité contextualisée, mais exige une démonstration précise de violences, manoeuvres ou menaces.

B. Conséquences pour l’aménagement du poste et le contentieux

Sur le terrain de l’exécution du contrat, la solution confirme la possibilité d’un repositionnement fonctionnel par avenant, lorsque la mesure « était conforme aux préconisations et réserves du médecin du travail ». Le maintien de la rémunération joue ici un rôle important d’équilibre, en neutralisant l’atteinte pécuniaire dans une logique d’adaptation plutôt que de sanction.

L’arrêt indique aussi que le dialogue avec la médecine du travail peut justifier un aménagement préventif, même en l’absence d’inaptitude formelle, dès lors que la mesure respecte strictement les réserves et ne procède pas de pressions. La relation causale entre restriction médicale et contenu de l’avenant demeure alors déterminante: « Il est constant qu’il a été soumis […] à la suite des restrictions médicales émises à plusieurs reprises par le médecin du travail ».

À défaut de faute caractérisée, la demande indemnitaire est logiquement rejetée, la cour énonçant: « Ce dernier sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts ». Ce faisant, la solution incite les employeurs à privilégier l’ajustement des fonctions sur la base d’avis médicaux circonstanciés, tout en rappelant aux salariés que la contestation d’un avenant suppose la preuve circonstanciée d’un vice au moment de la signature.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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