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L’article 462 du code de procédure civile permet à toute juridiction de réparer les erreurs matérielles affectant ses décisions. La cour d’appel de Reims, par un arrêt du 16 juin 2025, fait application de ce texte en rectifiant une erreur de prénom dans une décision antérieure du 22 avril 2025. Cette procédure de rectification, apparemment anodine, soulève des questions fondamentales relatives à l’autorité de la chose jugée et aux limites du pouvoir juridictionnel après dessaisissement.
En l’espèce, la cour d’appel de Reims avait rendu le 22 avril 2025 un arrêt condamnant un entrepreneur à verser diverses sommes à deux particuliers au titre de dépassements de prix, malfaçons et préjudices liés à des travaux de construction. Le dispositif de cette décision mentionnait par erreur le prénom du demandeur comme étant « [N] » alors que son véritable prénom était « [T] ». Cette erreur apparaissait en page 2 dans l’exposé du litige ainsi qu’aux pages 12 et 13 dans le dispositif.
Les bénéficiaires de la condamnation ont saisi la cour d’appel de Reims le 9 mai 2025 aux fins de rectification de cette erreur matérielle. Le défendeur à la requête était l’entrepreneur condamné.
La question posée à la cour était de déterminer si l’erreur de prénom affectant l’arrêt du 22 avril 2025 constituait une erreur matérielle susceptible de rectification au sens de l’article 462 du code de procédure civile.
La cour d’appel de Reims accueille la requête. Elle constate que l’arrêt mentionnait par erreur un prénom erroné et ordonne la rectification dans les pages concernées. Elle précise que la décision rectificative doit être mentionnée sur la minute et les expéditions de l’arrêt, les dépens étant mis à la charge du Trésor Public.
Cette décision invite à examiner le régime de la rectification des erreurs matérielles (I) avant d’envisager les effets de cette procédure sur la décision rectifiée (II).
I. Le régime de la rectification des erreurs matérielles
La rectification d’erreur matérielle obéit à des conditions précises (A) et relève d’une compétence juridictionnelle particulière (B).
A. Les conditions de mise en œuvre de la rectification
L’article 462 du code de procédure civile dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ». Le texte précise que cette réparation s’effectue « selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ». La cour reproduit cette disposition dans ses motifs, rappelant ainsi le fondement textuel de sa compétence.
La notion d’erreur matérielle se distingue de l’erreur de droit ou de l’omission de statuer. Elle suppose une inadvertance manifeste, une discordance entre ce que le juge a voulu écrire et ce qu’il a effectivement écrit. L’erreur de prénom constitue l’exemple typique de l’erreur matérielle. Elle résulte d’une simple faute de frappe ou d’inattention et ne traduit aucune hésitation du juge sur l’identité de la partie concernée.
En l’espèce, l’erreur était flagrante. Les éléments du dossier permettaient d’établir sans ambiguïté que le demandeur se prénommait « [T] » et non « [N] ». La cour constate « qu’il ressort en effet que la cour a mentionné, par erreur » le prénom inexact. Cette formulation traduit le caractère évident de l’erreur qui ne nécessitait aucune interprétation particulière.
B. La compétence de la juridiction ayant rendu la décision
La procédure de rectification présente cette particularité de permettre à une juridiction d’intervenir sur sa propre décision après dessaisissement. Le principe du dessaisissement, selon lequel le juge épuise son pouvoir juridictionnel en rendant sa décision, connaît ici une exception justifiée par la nature purement formelle de l’erreur à corriger.
La cour d’appel de Reims était seule compétente pour rectifier son propre arrêt. L’article 462 attribue cette compétence à « la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré ». La requête a été enregistrée sous un nouveau numéro de rôle, distinct de celui de l’affaire initiale, marquant ainsi l’autonomie procédurale de cette instance en rectification.
La procédure s’est déroulée « hors débats », ce qui signifie que la cour a statué sans audience publique. Cette modalité procédurale, adaptée au caractère non contentieux de la rectification, préserve néanmoins le contradictoire puisque le défendeur était représenté par avocat.
II. Les effets de la rectification sur la décision initiale
La rectification opère une correction rétroactive de l’erreur (A) tout en préservant l’autorité de la chose jugée (B).
A. La portée de la correction apportée
La cour ordonne que « dans les pages 2, 12 et 13, au lieu de lire ‘[N]’, il faut lire ‘[T]’ ». Cette formulation impérative traduit le caractère déclaratif de la rectification. Le juge ne modifie pas sa décision antérieure mais révèle ce qu’elle aurait toujours dû mentionner.
La décision précise que « cette décision rectificative doit être mentionnée sur la minute et sur les expéditions de l’arrêt ». Cette publicité de la rectification assure la concordance entre le texte officiel de la décision et sa version corrigée. Les tiers consultant l’arrêt initial seront ainsi informés de l’existence de la rectification et pourront se reporter à la version exacte.
Les dépens de l’instance en rectification sont mis à la charge du Trésor Public. Cette solution se justifie par l’origine de l’erreur, imputable à la juridiction elle-même et non aux parties. Il serait inéquitable de faire supporter aux plaideurs le coût d’une procédure rendue nécessaire par une défaillance du service public de la justice.
B. La préservation de l’autorité de la chose jugée
La rectification d’erreur matérielle n’affecte pas l’autorité de chose jugée attachée à la décision rectifiée. L’article 462 précise expressément que les erreurs peuvent être réparées « même » lorsque le jugement est « passé en force de chose jugée ». Cette formulation indique que la rectification ne rouvre pas les débats sur le fond du litige.
L’arrêt du 22 avril 2025 conserve toute son efficacité juridique. Les condamnations prononcées demeurent exécutoires dans les mêmes termes. Seule l’identification du créancier est corrigée pour correspondre à la réalité. Le débiteur ne saurait prétendre que l’erreur de prénom affectait la validité ou l’opposabilité de la condamnation.
Cette préservation de l’autorité de chose jugée distingue la rectification d’erreur matérielle des voies de recours ordinaires ou extraordinaires. Contrairement à l’appel ou au pourvoi en cassation, la rectification n’autorise aucune remise en cause de la solution adoptée au fond. Elle se borne à corriger une imperfection formelle sans toucher à la substance de la décision.