Cour d’appel de Reims, le 17 juin 2025, n°24/01522

Par un arrêt du 17 juin 2025, la cour d’appel de Reims statue sur la recevabilité d’un appel formé contre un jugement ayant prononcé une interdiction de gérer à l’encontre du dirigeant d’une société en liquidation judiciaire. Cette décision illustre avec netteté les exigences procédurales strictes qui gouvernent l’appel en matière de procédures collectives.

Un tribunal de commerce avait ouvert, le 21 septembre 2023, une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre d’une société par actions simplifiée. Un mandataire avait été désigné en qualité de liquidateur judiciaire. Sur requête du ministère public, le même tribunal prononça, par jugement du 19 septembre 2024, une interdiction de gérer d’une durée de cinq années à l’encontre du dirigeant de cette société. Ce dernier interjeta appel le 8 octobre 2024. Le ministère public, intimé, déposa ses conclusions le 11 avril 2025. La cour invita les parties à présenter leurs observations sur la recevabilité de l’appel, le liquidateur judiciaire n’ayant pas été intimé.

L’appelant soutenait que son appel était recevable dès lors que l’article R. 661-6 du code de commerce n’imposait d’intimer les mandataires de justice que lorsqu’ils avaient été parties en première instance. Il faisait valoir que le liquidateur n’était pas partie au jugement entrepris. Il soulevait par ailleurs l’irrecevabilité des conclusions du ministère public pour tardiveté. Sur le fond, il contestait la caractérisation des fautes retenues à son encontre.

Le ministère public demandait que l’appel fût déclaré irrecevable. La question posée à la cour était celle de savoir si l’obligation d’intimer les mandataires de justice prévue à l’article R. 661-6 du code de commerce s’applique même lorsque ces derniers n’étaient pas parties au jugement de première instance.

La cour d’appel de Reims déclare l’appel irrecevable. Elle retient qu’« il résulte de ce texte que, même lorsqu’ils ne sont pas partie au jugement ayant prononcé une mesure d’interdiction de gérer à l’encontre du dirigeant d’une société qui a fait l’objet d’une procédure collective, les mandataires de justice doivent être intimés en cas d’appel contre ce jugement ». Elle constate que le dirigeant « n’a cependant pas intimé » le liquidateur judiciaire, « ne l’ayant pas fait assigner devant cette cour ». Elle déclare également irrecevables les conclusions tardives du ministère public.

L’examen de cet arrêt conduit à analyser d’abord l’interprétation extensive de l’obligation d’intimer les mandataires de justice (I), puis la sanction procédurale rigoureuse attachée à son inobservation (II).

I. L’interprétation extensive de l’obligation d’intimer les mandataires de justice

L’article R. 661-6 du code de commerce fait l’objet d’une lecture large par la cour (A), ce qui traduit une conception fonctionnelle du rôle des mandataires dans le contentieux des procédures collectives (B).

A. Une lecture littérale dépassée par l’esprit du texte

L’article R. 661-6, 1° du code de commerce prévoit que « les mandataires de justice qui ne sont pas appelants doivent être intimés ». Le texte ne distingue pas selon que le mandataire était ou non partie en première instance. L’appelant invoquait une interprétation restrictive en soutenant que cette obligation ne concernerait que les mandataires déjà parties au jugement. La cour rejette cette analyse en affirmant clairement que l’obligation existe « même lorsqu’ils ne sont pas partie au jugement ».

Cette interprétation s’inscrit dans la logique propre au droit des procédures collectives. Le mandataire judiciaire représente les intérêts collectifs des créanciers tandis que le liquidateur administre le patrimoine du débiteur dessaisi. Leur présence au stade de l’appel garantit que toutes les parties intéressées puissent faire valoir leurs observations. La jurisprudence de la Cour de cassation avait déjà retenu cette solution. L’arrêt commenté en fait une application fidèle.

B. La justification fonctionnelle de cette exigence

Le mandataire de justice occupe une position singulière dans les procédures collectives. Il n’agit pas pour son propre compte mais dans l’intérêt de la procédure. L’interdiction de gérer prononcée contre un dirigeant concerne directement la conduite de la société en liquidation. Le liquidateur doit donc pouvoir intervenir à l’instance d’appel pour éclairer la cour sur les circonstances ayant justifié cette sanction.

Cette exigence procédurale assure la cohérence du traitement judiciaire de la procédure collective. Elle évite qu’un appel soit jugé sans que le représentant de la procédure collective puisse s’exprimer. Le texte réglementaire organise ainsi une forme de mise en cause nécessaire distincte de la qualité de partie en première instance.

II. La rigueur de la sanction procédurale

L’irrecevabilité de l’appel constitue une sanction sévère mais conforme aux textes (A), tandis que le sort des conclusions tardives du ministère public révèle l’application stricte des délais de procédure (B).

A. L’irrecevabilité comme sanction de l’inobservation des formes

La cour constate que l’appelant « n’a cependant pas intimé » le liquidateur judiciaire et « ne l’ayant pas fait assigner devant cette cour ». Cette double formulation souligne l’absence totale de diligence pour régulariser la situation. L’irrecevabilité s’impose comme conséquence automatique de ce manquement. Le dirigeant perd ainsi toute possibilité de contester au fond la mesure d’interdiction de gérer prononcée pour cinq années.

Cette rigueur peut paraître sévère au regard des conséquences patrimoniales et professionnelles d’une interdiction de gérer. Le dirigeant avait contesté sur le fond les griefs retenus contre lui, invoquant l’absence de preuve du maintien abusif de l’exploitation et de l’usage des biens sociaux à des fins personnelles. Ces arguments ne seront jamais examinés. La procédure fait ainsi écran au débat de fond. Cette solution s’explique par la nécessité de garantir le respect des règles du procès équitable dont l’intimation des mandataires constitue un élément.

B. Le parallélisme avec le sort des conclusions tardives

La cour déclare également irrecevables les conclusions du ministère public déposées le 11 avril 2025. L’article 906-2 du code de procédure civile impose à l’intimé de conclure dans un délai de deux mois suivant la notification des conclusions de l’appelant. L’appelant avait déposé ses conclusions le 17 janvier 2025. Le délai expirait donc à la mi-mars 2025. Les conclusions du ministère public, notifiées près d’un mois après cette échéance, étaient tardives.

Cette irrecevabilité crée une situation paradoxale. Le ministère public, qui avait pris l’initiative de la procédure de sanction en première instance, se trouve privé de la possibilité de conclure en appel. L’irrecevabilité de l’appel rend toutefois cette situation sans conséquence pratique sur l’issue du litige. Le jugement de première instance devient définitif. La décision illustre ainsi l’application cumulative et rigoureuse des règles de procédure, tant du code de commerce que du code de procédure civile.

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Hassan KOHEN
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