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La preuve des heures supplémentaires et l’obligation de sécurité de l’employeur constituent deux piliers du contentieux prud’homal. La cour d’appel de Reims, dans un arrêt du 18 juin 2025, apporte des précisions utiles sur ces questions.
Un salarié avait été engagé en qualité de serveur à temps partiel, puis à temps plein, par une société exploitant une brasserie. Placé en arrêt de travail à compter de décembre 2019, il avait saisi la juridiction prud’homale de demandes de rappel d’heures supplémentaires et de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations. En cours d’instance, il avait fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude. Le conseil de prud’hommes avait fait droit à ses demandes. L’employeur avait interjeté appel, contestant la pertinence des éléments de preuve produits par le salarié et sollicitant la production en original du récapitulatif des heures supplémentaires établi par celui-ci.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait de savoir si le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour étayer sa demande d’heures supplémentaires et si l’employeur avait manqué à ses obligations de paiement des salaires et de sécurité.
La cour d’appel infirme partiellement le jugement. Elle rappelle que « le salarié peut donc présenter un décompte qu’il a établi lui-même et a posteriori » et que « il n’est pas nécessaire que le décompte ait été établi au fil du temps ». Elle retient la réalité des heures supplémentaires mais réduit sensiblement les montants alloués. Elle condamne également l’employeur pour manquement à ses obligations, tout en diminuant le quantum des dommages-intérêts.
L’arrêt mérite examen tant au regard du régime probatoire des heures supplémentaires, que la cour applique avec souplesse en faveur du salarié (I), qu’au regard de la sanction des manquements de l’employeur, dont elle opère une appréciation mesurée (II).
I. Une application souple du régime probatoire des heures supplémentaires
La cour rappelle les principes gouvernant la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires (A), avant d’en tirer les conséquences sur la recevabilité des éléments produits par le salarié (B).
A. Le rappel du caractère partagé de la charge de la preuve
La cour d’appel de Reims reprend la formulation classique issue des articles L.3171-2, L.3171-3 et L.3171-4 du code du travail. Elle énonce que « la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ». Cette règle, posée par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt du 25 février 2004, rompt avec le droit commun de la preuve. Le salarié n’a pas à démontrer la réalité des heures accomplies mais seulement à présenter des éléments permettant à l’employeur de répondre.
La cour précise utilement la nature de ces éléments. Elle indique que « parce que le préalable pèse sur le salarié et que la charge de la preuve n’incombe spécialement à aucune des parties, le salarié n’a pas à apporter des éléments de preuve mais seulement des éléments factuels ». Cette distinction entre preuve et éléments factuels revêt une importance pratique considérable. Elle signifie que le salarié n’a pas à convaincre le juge de la véracité de ses affirmations mais simplement à fournir des données suffisamment précises pour que l’employeur puisse y répondre.
L’employeur, de son côté, doit « fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ». Cette obligation pèse sur lui en raison de son obligation légale de contrôle du temps de travail. Il dispose en effet des documents de pointage, des plannings et de tous les éléments permettant de retracer les horaires effectifs de ses salariés.
B. L’admission du décompte établi a posteriori par le salarié
La cour rejette la demande de l’employeur tendant à la production en original du récapitulatif des heures supplémentaires. Elle affirme avec netteté que « le salarié peut donc présenter un décompte qu’il a établi lui-même et a posteriori » et que « il n’est pas nécessaire que le décompte ait été établi au fil du temps ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Un arrêt de la chambre sociale du 24 novembre 2010 avait déjà admis qu’un décompte établi au crayon par le salarié pouvait constituer un élément suffisamment précis.
La portée de cette solution est considérable. L’employeur soutenait qu’il était « indispensable de s’assurer que ce document n’a pas été rédigé d’un seul tenant mais qu’il correspond bien à des notes journalières ». La cour écarte cet argument en rappelant la logique du régime probatoire. Si le salarié devait prouver avoir tenu un décompte au jour le jour, la charge de la preuve pèserait intégralement sur lui, ce qui contredirait le principe du partage.
La cour retient que les éléments produits par le salarié, à savoir « un relevé de ses horaires quotidiens de travail ainsi qu’un récapitulatif du nombre d’heures hebdomadaires de travail », sont « suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre avec ses propres éléments ». La précision requise s’apprécie donc au regard de la possibilité pour l’employeur de contredire utilement les affirmations du salarié.
L’arrêt illustre cependant les limites de cette souplesse. La cour constate que la comparaison entre le décompte du salarié et le document de contrôle de décembre 2018 révèle une majoration des heures déclarées. Le salarié prétendait avoir effectué 47 heures supplémentaires alors que le document signé n’en mentionnait que 16. La cour en déduit que « la réalité des heures supplémentaires est donc établie » mais « pas dans la proportion établie ». Elle procède alors à une évaluation forfaitaire, réduisant considérablement les sommes allouées.
II. Une appréciation mesurée des manquements de l’employeur
La cour retient l’existence de manquements de l’employeur tant au titre du paiement des salaires (A) que de l’obligation de sécurité (B), tout en modérant l’évaluation du préjudice.
A. Le retard de paiement des salaires caractérisé par la carence probatoire de l’employeur
La cour retient que l’employeur a manqué à son obligation de payer le salaire selon la périodicité contractuelle. Elle rappelle que « l’employeur n’a pas la faculté de différer le paiement des salaires au-delà du délai mensuel prévu » et qu’« il lui appartient de prouver le paiement du salaire défini au contrat ».
La solution repose sur un renversement de la charge de la preuve. Le salarié produisait un courrier daté de novembre 2019 faisant état de retards de paiement. L’employeur contestait en avoir été destinataire. La cour constate que la preuve de l’envoi n’est pas établie. Elle ajoute cependant que « la Sasu Nouvelle Brasserie Ducale, à laquelle incombe la charge de la preuve, ne produit aucun élément permettant d’établir les dates auxquelles ont été payés les salaires ». C’est donc la carence de l’employeur qui emporte conviction.
Cette solution s’explique par la nature de l’obligation en cause. Le paiement du salaire est une obligation de l’employeur dont l’exécution doit être prouvée par celui-ci. L’article 1353 du code civil dispose que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement. L’employeur, qui dispose des moyens de preuve du paiement (virements bancaires, bordereaux de remise de chèques), supporte donc la charge de la preuve.
La cour caractérise ensuite le préjudice subi par le salarié. Elle relève que celui-ci « justifie de l’existence de difficultés financières nées du retard répété de paiement de ses salaires ». Le courrier produit faisait état d’une situation « très inconfortable » avec « des agios et autres frais de retard ». L’attestation de l’ex-compagne du salarié corroborait ces difficultés en mentionnant l’irrégularité du paiement de la pension alimentaire.
B. Le manquement à l’obligation de sécurité établi par défaut de justification
La cour retient également un manquement à l’obligation de sécurité. Elle rappelle que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Elle ajoute qu’il ne méconnaît pas cette obligation « s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ».
Le salarié invoquait plusieurs manquements : l’absence de document unique d’évaluation des risques, une organisation du travail pathogène, l’absence de formation à la sécurité et le dépassement des amplitudes maximales de travail. La cour constate que « la Sasu Nouvelle Brasserie Ducale n’établit pas avoir satisfait à son obligation de sécurité, puisqu’elle critique tout au plus la pertinence des pièces produites ».
La formulation révèle le mécanisme probatoire à l’œuvre. Depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, la Cour de cassation a abandonné l’obligation de sécurité de résultat au profit d’une obligation de moyens renforcée. L’employeur peut s’exonérer en démontrant avoir pris toutes les mesures nécessaires. La cour d’appel de Reims applique cette jurisprudence en relevant que l’employeur « critique tout au plus la pertinence des pièces produites » sans justifier des mesures adoptées.
La cour relie ensuite la charge de travail aux heures supplémentaires constatées. Elle retient que « la charge de travail importante résultant des heures supplémentaires effectuées, dans les conditions de travail décrites par M. [V] [C], associées à des dépassements des amplitudes maximales de travail, sont à l’origine d’un état de fatigue important ». Le lien de causalité entre les manquements et le préjudice est ainsi caractérisé.
La cour réduit cependant les dommages-intérêts de 10 000 à 2 000 euros, estimant que « les premiers juges avaient surévalué le préjudice subi ». Cette réduction substantielle traduit une appréciation stricte du préjudice réparable. Le salarié ne produisait aucune pièce médicale attestant d’une dégradation de son état de santé. Les seuls éléments probants étaient les attestations de ses ex-compagnes faisant état d’un état de fatigue. La cour sanctionne donc le manquement mais en limite les conséquences indemnitaires à la mesure du préjudice effectivement démontré.