Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01814

Par un arrêt du 27 août 2025, la cour d’appel de Reims, chambre sociale, se prononce sur la régularité d’un licenciement économique, la portée de l’obligation de reclassement au sein d’un groupe et l’incidence d’un congé de reclassement sur l’indemnité de préavis. Saisi après un jugement du 19 novembre 2024 du conseil de prud’hommes de Charleville-Mézières ayant retenu l’absence de cause réelle et sérieuse et alloué des dommages et intérêts, l’appelant contestait notamment l’appréciation du reclassement et l’indemnité de préavis. L’intimé opposait, in limine litis, une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée au regard du dispositif des conclusions d’appel.

Les faits tiennent à la rupture pour motif économique d’un salarié, engagé en 1981, dans le cadre d’un projet de réorganisation. Le conseil avait jugé la cause économique établie mais constaté un défaut de reclassement, requalifiant la rupture et fixant une indemnisation, outre une indemnité de préavis. En appel, l’employeur soutenait avoir organisé une recherche effective au sein des entités du groupe, y compris en France et à l’étranger, et invoquait le bénéfice d’un congé de reclassement excluant l’indemnité de préavis. Le salarié sollicitait confirmation sur le licenciement sans cause, et des dommages-intérêts additionnels fondés sur la sécurité et la formation.

Deux questions commandaient la solution. La première portait sur la recevabilité des prétentions d’appel au prisme de l’article 954 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret de 2023, et la distinction d’avec l’autorité de la chose jugée. La seconde concernait l’étendue probatoire de l’obligation de reclassement intragroupe, au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail, et la conséquence du congé de reclassement sur l’indemnité de préavis.

La cour écarte d’abord la fin de non-recevoir, en retenant que la critique des chefs du jugement ressortait suffisamment du dispositif des conclusions au sens de l’article 954, et refuse un formalisme excessif. Elle confirme ensuite le jugement quant à l’absence de reclassement préalable, faute de preuve de démarches auprès de chaque entité du groupe, tout en infirmant le chef relatif au préavis en raison de l’acceptation d’un congé de reclassement. Elle ordonne le remboursement des allocations au titre de l’article L. 1235-4 du code du travail, rejette les demandes fondées sur l’obligation de sécurité et l’obligation de formation, et maintient une indemnisation de 50 000 euros.

I. L’effet dévolutif d’appel et l’encadrement de l’article 954 du code de procédure civile

A. L’autorité de la chose jugée écartée au profit du contrôle des chefs critiqués

La cour replace d’emblée le débat sur son terrain propre, refusant de le cantonner à l’autorité de la chose jugée. Elle affirme, dans une formule claire et décisive : « En second lieu, concernant le chef du dispositif du jugement ayant requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour relève que la référence faite par le salarié à l’article 1355 du code civil est inopérante. » La question est donc celle de l’effet dévolutif et des exigences formelles pesant sur l’appelant dans la délimitation des chefs critiqués.

La décision cite le nouvel alinéa 2 de l’article 954 du code de procédure civile, fixant le standard attendu du dispositif des conclusions : « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ». La déclaration d’appel visait le chef relatif à la requalification, et le dispositif d’appel le visait par reformulation, ce que la cour juge suffisant.

Cette lecture, fidèle à la lettre et à la finalité de l’article 954, clarifie la méthode de délimitation du litige en cause d’appel. Elle invite les praticiens à articuler un dispositif précis, sans ériger la reprise littérale des chefs en condition d’applicabilité de l’effet dévolutif. Elle souligne aussi l’importance de la déclaration d’appel, dont le périmètre irrigue l’interprétation du dispositif des écritures ultérieures.

B. La suffisance d’une référence non littérale et le refus d’un formalisme excessif

La cour retient une exigence mesurée, privilégiant la substance sur la lettre. Elle énonce que « l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence. » Elle ajoute, dans une perspective conventionnelle, que « Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. »

La portée est nette. L’office de la cour d’appel demeure circonscrit par les chefs critiqués, mais la preuve de cette critique peut résulter d’une référence claire, même non textuelle, dès lors qu’aucune ambiguïté n’entoure le périmètre de l’infirmation sollicitée. La solution est équilibrée. Elle renforce l’accessibilité du juge d’appel en neutralisant les risques d’irrecevabilité formaliste, sans relâcher l’exigence de lisibilité du dispositif. Elle s’inscrit, enfin, dans la lignée d’une jurisprudence attentive à la proportionnalité des contraintes procédurales au regard du droit à un procès équitable.

II. L’obligation de reclassement intragroupe et ses conséquences indemnitaires

A. Une preuve exigeante des démarches auprès de chaque entité du groupe

La cour rappelle d’abord le cadre légal, tenant à l’article L. 1233-4 du code du travail et à la charge probatoire pesant sur l’employeur. Elle confronte ensuite les pièces produites à ce standard, en relevant l’insuffisance d’une simple liste de postes jointe aux courriers adressés au salarié. Elle juge en effet que « il ne justifie pas avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement », la mention de postes disponibles dans certaines entités ne suppléant pas l’absence de justificatifs.

La formule qui gouverne la solution est sans équivoque et rigoureuse : « En conséquence, la cour retient que l’employeur ne justifie pas avoir respecté ses obligations en matière de reclassement, faute de justifier avoir demandé à chaque entité du groupe s’il y avait des postes de reclassement envisageables. » La décision fait ainsi prévaloir la matérialité des démarches sur l’affirmation d’une recherche globale, et refuse d’assimiler l’information du salarié à la preuve d’investigations auprès des entités concernées.

La valeur de la solution est solide au regard du droit positif. Elle renforce l’exigence de traçabilité des recherches intragroupe, lesquelles doivent couvrir l’ensemble des entités pertinentes situées sur le territoire national, et, surtout, être documentées par des sollicitations ciblées. La portée pratique est notable. Les employeurs devront formaliser, pour chaque entité, les demandes de postes disponibles, et conserver les réponses, afin de satisfaire à l’examen juridictionnel de l’antériorité du reclassement.

B. L’articulation des effets du congé de reclassement avec l’indemnité de préavis et les autres chefs

La confirmation de l’absence de reclassement emporte les conséquences habituelles. La cour maintient l’indemnisation prud’homale de 50 000 euros, appréciée au regard de l’ancienneté et de la situation du salarié, et ordonne, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement des indemnités de chômage versées par l’organisme public compétent, dans la limite légale de six mois. Les demandes supplémentaires relatives à l’obligation de sécurité et à l’obligation de formation sont rejetées, faute d’éléments probants pour la première, et en raison de l’existence de plus de deux cents heures de formation pour la seconde.

Surtout, la cour infirme le chef relatif au préavis, en raison de l’acceptation d’un congé de reclassement. Elle consacre la solution de principe en ces termes : « Dès lors, l’indemnité de préavis n’est pas due, dans la mesure où le salarié qui accepte un congé de reclassement bénéficie d’un préavis qu’il est dispensé d’exécuter et perçoit pendant sa durée la montant de sa rémunération (soc., 17 décembre 2013, n° 12-27.202), étant relevé qu’aucune des parties ne demande la nullité du congé de reclassement en l’espèce et ne se prévaut des effets d’une telle nullité. » L’articulation est claire. Le préavis existe juridiquement mais son exécution est aménagée, la rémunération étant servie durant le congé de reclassement, ce qui exclut le cumul avec une indemnité distincte.

La cohérence de l’ensemble renforce l’équilibre de la solution. D’un côté, la sanction du défaut de reclassement effectif demeure, avec ses effets indemnitaires et restitutoires. De l’autre, l’existence d’un congé de reclassement accepté neutralise l’indemnité de préavis, sans priver le salarié de la protection financière attachée à la période correspondante. L’arrêt trace ainsi une voie claire pour les praticiens, en conjuguant exigence probatoire en amont et sécurité juridique en aval.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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