Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01819

Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 27 août 2025, la chambre sociale tranche à la fois une question de recevabilité des prétentions d’appel au regard de l’article 954 du code de procédure civile et le contrôle du licenciement économique quant à l’obligation de reclassement et aux critères d’ordre. L’espèce oppose un salarié embauché en 2001 et licencié en 2022 pour motif économique au sein d’une entreprise intégrée à un groupe comprenant plusieurs entités en France et à l’étranger. À la suite d’un jugement prud’homal requalifiant la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur interjette appel, tandis que le salarié forme notamment une fin de non-recevoir et sollicite une réparation accrue, y compris au titre de l’inobservation des critères d’ordre.

La cour rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée et admet que les conclusions d’appel, sans reprendre littéralement le chef critiqué du dispositif, en visent suffisamment la portée. Sur le fond, elle confirme la défaillance de l’employeur quant au reclassement intra‑groupe, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, tout en rappelant que «La cour ne peut donc pas lui allouer d’office des dommages et intérêts, qui ne sont pas demandés, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse». Elle répare en revanche un préjudice distinct pour inobservation des critères d’ordre, à hauteur de 36 000 euros, ordonne le remboursement des allocations à l’opérateur public de l’emploi dans la limite légale, et confirme le rejet des demandes liées à la sécurité et à la formation.

I – L’encadrement procédural de l’appel et la portée de l’article 954 du code de procédure civile

A – Autorité de la chose jugée et effet dévolutif de l’appel
Le moyen d’irrecevabilité fondé sur l’article 1355 du code civil se heurte à la nature du débat. La cour relève que «La discussion relative à l’irrecevabilité alléguée ne porte pas en effet sur la problématique de l’autorité de la chose jugée mais en réalité sur la portée de l’effet dévolutif de l’appel». Le rappel du texte civil était inopérant, dès lors que la critique visait le respect des prescriptions formelles des conclusions d’appel et non la stabilité d’un chef non frappé d’appel.

La solution retient que le chef «requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse» a été explicitement visé par la déclaration d’appel et, surtout, que le dispositif des conclusions demandait l’infirmation en ce qu’elles avaient condamné l’employeur pour ce motif, en se référant au manquement à l’obligation de reclassement. La motivation souligne la suffisance de cette référence sans équivoque, laquelle éclaire l’objet du litige dévolu à la cour et préserve les droits de la défense.

B – Référence suffisante au chef critiqué et rejet du formalisme excessif
La juridiction d’appel adopte une lecture pragmatique du décret du 29 décembre 2023. Elle affirme que «l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence», ajoutant qu’«Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme». Elle constate, en outre, que le dispositif «se réfère sans doute possible, et sans dénaturation, au chef considéré du dispositif du jugement».

La portée de cette solution est double. D’une part, elle précise le standard de lisibilité exigé par l’article 954, alinéa 2, en privilégiant la finalité informative sur la lettre formaliste. D’autre part, elle articule ce standard avec le droit au procès équitable. La référence claire au chef critiqué suffit, dès lors qu’elle permet d’identifier l’objet de l’infirmation sollicitée et d’organiser utilement le débat contradictoire.

II – Le contrôle du licenciement économique: reclassement intra‑groupe et critères d’ordre

A – L’obligation de reclassement et la charge de la preuve
La cour rappelle, conformément à la lettre de l’article L. 1233‑4, que «un manquement à l’obligation préalable de reclassement qui pèse sur l’employeur prive le licenciement économique ensuite prononcé de cause réelle et sérieuse». Elle vérifie concrètement l’effectivité des démarches intra‑groupe et sanctionne l’insuffisance probatoire. L’employeur soutenait avoir porté à la connaissance des salariés des postes disponibles en France et à l’étranger, mais ne justifiait pas d’une sollicitation systématique de chaque entité. Il est relevé qu’«il ne justifie pas avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement», les lettres au salarié ne suppléant pas l’absence de justificatifs adressés aux sociétés du groupe.

Cette exigence probatoire, désormais constante, proscrit les démarches générales et non vérifiables. Elle impose un travail documenté, traçable et ciblé par entité, à raison de l’obligation de moyens renforcée en matière de reclassement. Elle confirme aussi la cohérence du contrôle: l’examen porte sur la réalité des recherches, leurs supports, leurs destinataires et le périmètre du groupe assurant la permutation du personnel. À défaut, la sanction est automatique sur la cause, sans qu’une appréciation d’opportunité ne vienne tempérer la règle.

B – Les critères d’ordre: données vérifiables, préjudice distinct et interdiction du cumul
La cour s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle précise. D’abord, elle reprend la formulation selon laquelle «il appartient à l’employeur, en cas de contestation sur l’application des critères d’ordre, de communiquer au juge les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s’est appuyé pour arrêter, selon les critères définis, son choix quant aux personnes licenciées (soc. 18 juin 2025, n° 24‑17.097)». Or le tableau produit n’était pas vérifiable, faute d’éléments externes corroborant des données établies par l’employeur lui‑même.

Ensuite, la cour applique le principe selon lequel «l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais constitue une illégalité qui entraîne pour le salarié un préjudice, pouvant aller jusqu’à la perte de son emploi, lequel doit être intégralement réparé, selon son étendue, par les juges du fond sans cumul possible avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soc. 6 avril 2016, n° 14‑29.820)». Elle en déduit l’octroi de 36 000 euros en réparation du préjudice né de l’irrégularité d’ordre, distinct du défaut de cause.

La motivation est enfin rigoureuse sur l’office du juge. Ayant constaté que l’intimé n’avait pas, en cause d’appel, sollicité une somme au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour rappelle que «La cour ne peut donc pas lui allouer d’office des dommages et intérêts, qui ne sont pas demandés, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse». Cette réserve illustre la discipline du dispositif, tout en ménageant un équilibre réparateur par la voie du préjudice d’ordre et le remboursement légal dû à l’opérateur public de l’emploi.

Cet arrêt précise l’exigence de clarté des prétentions en appel sans rigidité formaliste et confirme un contrôle substantiel des diligences de reclassement et des critères d’ordre. Il exige des preuves vérifiables et articulées, responsabilise les parties sur la structuration de leurs demandes, et s’inscrit dans une jurisprudence stabilisée quant aux chefs de préjudice et à leur articulation.

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Hassan KOHEN
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