Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01827

La cour d’appel de Reims, par un arrêt du 27 août 2025, s’est prononcée sur la validité d’un licenciement économique et sur les exigences procédurales de l’appel en matière sociale. Cette décision illustre les tensions entre formalisme processuel et accès effectif au juge, tout en rappelant les obligations substantielles pesant sur l’employeur lors d’une rupture pour motif économique.

Un salarié avait été embauché le 5 février 2020 par une société industrielle. Il fut licencié pour motif économique le 29 août 2022. Le conseil de prud’hommes de Charleville-Mézières, par jugement du 19 novembre 2024, requalifa la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur au paiement de diverses sommes. La société forma appel. Le salarié souleva in limine litis une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, arguant que l’appelante n’avait pas reproduit littéralement dans ses conclusions les chefs du dispositif du jugement critiqués.

La question de droit principale consistait à déterminer si l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 2023, impose à l’appelant de reproduire mot pour mot les chefs du jugement critiqués dans le dispositif de ses conclusions, sous peine d’irrecevabilité.

La cour d’appel rejeta la fin de non-recevoir et confirma pour l’essentiel le jugement, retenant que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement. Elle infirma toutefois les condamnations relatives à l’indemnité de préavis et aux dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en allouant au salarié une indemnité pour inobservation des critères d’ordre.

L’arrêt mérite examen tant sur le plan procédural, où la cour adopte une interprétation souple des exigences formelles de l’appel (I), que sur le plan substantiel, où elle rappelle avec fermeté les obligations de l’employeur en matière de licenciement économique (II).

I. Une interprétation mesurée des exigences formelles de l’acte d’appel

La cour procède d’abord à une clarification salutaire des fondements juridiques invoqués (A), avant de consacrer une conception fonctionnelle de l’exigence de désignation des chefs critiqués (B).

A. La distinction entre autorité de la chose jugée et effet dévolutif de l’appel

Le salarié invoquait l’article 1355 du code civil pour soutenir que les chefs du jugement non expressément visés dans les conclusions de l’appelante auraient acquis l’autorité de la chose jugée. La cour relève que « la référence faite par le salarié à l’article 1355 du code civil est inopérante ». La discussion ne porte pas sur l’identité de parties, d’objet ou de cause au sens de ce texte, mais sur la détermination du périmètre de la dévolution opérée par l’appel.

Cette rectification doctrinale est bienvenue. L’autorité de la chose jugée suppose une décision définitive, ce qui n’est pas le cas d’un jugement frappé d’appel dans les délais. Le mécanisme en cause relève de l’article 562 du code de procédure civile, selon lequel l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement expressément critiqués. La confusion entre ces deux institutions, fréquente en pratique, obscurcit l’analyse contentieuse.

La cour recentre ainsi le débat sur le terrain procédural approprié : celui des prescriptions de l’article 954 alinéa 2, qui impose à l’appelant d’énoncer dans le dispositif de ses conclusions les chefs du jugement critiqués. Cette exigence, renforcée par le décret du 29 décembre 2023, vise à circonscrire avec précision l’objet du litige en appel.

B. Le refus d’un formalisme excessif au nom du droit au procès équitable

La société appelante n’avait pas reproduit textuellement le chef du jugement ayant « requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Elle avait demandé l’infirmation du jugement « en ce qu’il l’a condamnée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non-respect de l’obligation de reclassement ».

La cour retient que « ce faisant, la société Tréfimétaux se réfère sans doute possible, et sans dénaturation, au chef considéré du dispositif du jugement ». Elle ajoute que « l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence ».

Cette interprétation téléologique mérite approbation. L’article 954 poursuit une finalité de clarification du débat, non de piège procédural. Exiger une reproduction mot pour mot constituerait, selon la cour, « un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ».

La référence à l’article 6 de la Convention n’est pas ornementale. La Cour européenne des droits de l’homme sanctionne régulièrement les interprétations procédurales qui entravent de manière disproportionnée l’accès au juge. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle protectrice du droit au recours effectif. La substance doit primer sur la forme lorsque l’identification du chef critiqué ne souffre aucune ambiguïté.

II. Le rappel rigoureux des obligations patronales en matière de licenciement économique

La cour confirme avec fermeté l’exigence probatoire pesant sur l’employeur quant au reclassement (A), tout en précisant le régime de la sanction en cas de méconnaissance des critères d’ordre (B).

A. L’insuffisance d’une justification indirecte de l’obligation de reclassement

L’article L. 1233-4 du code du travail subordonne le licenciement économique à l’impossibilité de reclasser le salarié sur un emploi disponible dans l’entreprise ou le groupe. La charge de la preuve incombe à l’employeur.

La société soutenait avoir respecté cette obligation, arguant qu’« une simple lecture des deux courriers de proposition de reclassement permet de constater que les postes proposés provenaient de l’ensemble des sociétés du groupe ». La cour écarte cette argumentation : l’employeur « ne justifie pas avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement ».

La distinction opérée est essentielle. Proposer des postes au salarié ne suffit pas à établir que l’ensemble des possibilités de reclassement a été exploré. L’employeur doit démontrer avoir interrogé chaque entité du groupe susceptible d’offrir un emploi. La simple production de lettres de proposition, fussent-elles étoffées, ne pallie pas l’absence de justificatifs des démarches préalables auprès des filiales ou sociétés sœurs.

Cette exigence probatoire est constante en jurisprudence. Elle traduit la nature impérative de l’obligation de reclassement, conçue comme un préalable nécessaire à la rupture et non comme une simple formalité. L’arrêt confirme ainsi que « la mention dans les lettres, adressées au salarié, de propositions de reclassement de l’existence de postes disponibles dans certaines seulement de ces entités ne permet pas de pallier cette absence de justificatifs ».

B. La sanction autonome de l’inobservation des critères d’ordre

Le salarié contestait également l’application des critères d’ordre des licenciements. L’employeur produisait un accord collectif définissant ces critères ainsi qu’un tableau récapitulatif de leur application. La cour retient que ces données sont « objectives et précises en ce qui concerne la définition des critères d’ordre » mais « ne sont pas vérifiables en ce qui concerne la détermination des personnes licenciées ».

L’arrêt rappelle le principe selon lequel « l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais constitue une illégalité qui entraîne pour le salarié un préjudice ». Cette illégalité ouvre droit à réparation intégrale, sans cumul possible avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour alloue 2 500 euros de dommages-intérêts, somme modeste au regard des 50 000 euros demandés. Cette évaluation souveraine tient compte de l’ancienneté limitée du salarié, embauché en 2020 et licencié en 2022. L’arrêt souligne néanmoins que le manquement « est à l’origine de la perte de son emploi », reconnaissant ainsi un lien causal entre l’irrégularité et le préjudice.

Cette solution confirme que l’employeur ne peut se contenter de documents auto-établis pour justifier l’application des critères d’ordre. Il lui appartient de communiquer « les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s’est appuyé », selon la formule d’un arrêt récent de la chambre sociale du 18 juin 2025. Le contrôle juridictionnel suppose une possibilité de vérification que la seule production d’un tableau interne ne satisfait pas.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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