- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Reims, chambre sociale, le 27 août 2025, illustre les exigences procédurales contemporaines de l’appel civil tout en rappelant les obligations substantielles pesant sur l’employeur en matière de licenciement économique.
Un salarié embauché le 14 février 2000 a été licencié pour motif économique le 29 août 2022 par une société appartenant à un groupe comportant plusieurs entités en France et en Italie. Il a saisi le conseil de prud’hommes de Charleville-Mézières, qui, par jugement du 19 novembre 2024, a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur à diverses sommes. L’employeur a interjeté appel. Le salarié intimé a soulevé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, estimant que certains chefs du dispositif du jugement n’avaient pas été valablement critiqués dans les conclusions de l’appelant. Sur le fond, le salarié contestait le respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
La question principale était double. Sur le plan procédural, il s’agissait de déterminer si l’absence de reproduction littérale d’un chef du dispositif du jugement dans les conclusions d’appel entraînait l’irrecevabilité de la demande d’infirmation. Sur le fond, la cour devait apprécier si l’employeur avait satisfait à son obligation de recherche de reclassement au sein du groupe.
La cour rejette la fin de non-recevoir. Elle retient que «l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence» et que «imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme». Sur l’obligation de reclassement, la cour confirme le caractère infondé du licenciement, l’employeur ne justifiant pas «avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement».
L’arrêt mérite examen tant au regard de l’interprétation mesurée des formalités de l’appel (I) que de l’exigence probatoire imposée en matière de reclassement (II).
I. Une lecture équilibrée des exigences formelles de l’appel
La cour procède à une qualification rigoureuse du fondement juridique de la fin de non-recevoir (A) avant d’en définir les contours au regard des droits fondamentaux (B).
A. La rectification du fondement juridique de la fin de non-recevoir
Le salarié invoquait l’article 1355 du code civil relatif à l’autorité de la chose jugée pour soutenir l’irrecevabilité des demandes de l’appelant. La cour écarte ce fondement en relevant que «la référence à cet article 1355 du code civil est inopérante» puisque «la discussion relative à l’irrecevabilité alléguée ne porte pas en effet sur la problématique de l’autorité de la chose jugée mais en réalité sur la portée de l’effet dévolutif de l’appel». Cette distinction est essentielle. L’autorité de la chose jugée suppose une décision définitive, ce qui n’est pas le cas lorsqu’un appel a été régulièrement formé. Le débat relevait donc exclusivement de l’article 954 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 2023.
Cette requalification d’office du fondement juridique témoigne du pouvoir du juge d’appel de rétablir les catégories procédurales pertinentes. La confusion entre autorité de la chose jugée et effet dévolutif n’est pas rare en pratique. Elle procède d’une assimilation erronée entre le caractère irrévocable d’une décision et l’étendue de la saisine de la juridiction d’appel. La cour rappelle ainsi que ces deux notions obéissent à des régimes distincts.
B. Le refus d’un formalisme excessif au nom du procès équitable
L’article 954, alinéa 2, du code de procédure civile exige que l’appelant «énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués». La cour devait déterminer si cette exigence imposait une reproduction mot pour mot du chef critiqué. Elle répond par la négative. Trois arguments fondent cette solution. La déclaration d’appel visait expressément le chef litigieux. Le dispositif des conclusions s’y référait «sans doute possible, et sans dénaturation». Enfin, exiger une reproduction littérale «constituerait un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme».
Cette référence à la Convention européenne inscrit le contentieux procédural dans une perspective téléologique. Le formalisme des actes de procédure ne saurait devenir un obstacle disproportionné à l’accès au juge. La Cour de cassation avait déjà tempéré les rigueurs de la procédure d’appel en censurant des interprétations excessivement strictes. La cour d’appel de Reims s’inscrit dans ce mouvement jurisprudentiel. La clarté de la saisine prime sur le respect scrupuleux de la lettre.
II. L’exigence d’une recherche effective de reclassement au sein du groupe
La cour rappelle l’étendue de l’obligation de reclassement (A) et en tire les conséquences sur la charge probatoire (B).
A. Le périmètre de l’obligation de reclassement dans un groupe de sociétés
L’article L. 1233-4 du code du travail impose à l’employeur de rechercher un reclassement «sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel». En l’espèce, l’employeur appartenait à un groupe comportant plusieurs entités en France et en Italie. Le salarié contestait la réalité des démarches entreprises auprès de ces entités.
L’employeur soutenait avoir satisfait à son obligation en adressant au salarié des propositions de reclassement émanant de différentes sociétés du groupe. La cour écarte cette argumentation. Elle distingue l’information donnée au salarié de la démarche préalable auprès des entités du groupe. La simple mention de postes disponibles dans certaines sociétés «ne permet pas de pallier cette absence de justificatifs» relatifs aux sollicitations adressées à l’ensemble des entités. Cette analyse est conforme à une jurisprudence constante. L’employeur doit démontrer avoir interrogé chaque société du groupe susceptible d’offrir un poste compatible.
B. La sanction du défaut de preuve de la recherche de reclassement
La cour rappelle que «la charge de la preuve du respect de cette obligation de reclassement incombe à l’employeur». Cette règle est d’ordre public. Elle procède de l’idée que le salarié ne dispose pas des moyens de vérifier les démarches effectuées au sein d’un groupe dont il ignore la structure exacte. L’employeur doit donc produire les éléments attestant de ses diligences. En l’espèce, l’absence de justificatifs des demandes adressées aux entités du groupe a suffi à caractériser le manquement.
La cour confirme en conséquence la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle réduit toutefois le montant des dommages et intérêts alloués en première instance, de 44 210 euros à 39 300 euros, au regard de «l’ancienneté et de la situation du salarié». Cette modulation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. L’arrêt ordonne également le remboursement à France Travail des indemnités de chômage versées, dans la limite de six mois, conformément à l’article L. 1235-4 du code du travail.