Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01840

Cour d’appel de Reims, 27 août 2025. La chambre sociale est saisie d’un licenciement économique, avec deux enjeux majeurs. Le premier tient à la recevabilité des prétentions d’appel au regard de l’article 954 du code de procédure civile. Le second concerne l’étendue de l’obligation de reclassement au sein d’un groupe et la preuve de sa réalisation effective.

Le salarié, embauché en 2019 et licencié en 2022 pour motif économique, a vu la rupture requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse par les premiers juges, qui ont alloué des dommages et intérêts et l’indemnité de préavis. L’employeur a relevé appel sur ces chefs. Le salarié a opposé une fin de non‑recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, reprochant à l’employeur de ne pas avoir visé littéralement, au dispositif, le chef critiqué. La juridiction du second degré écarte cette analyse en recentrant le débat sur l’effet dévolutif de l’appel et la portée de l’article 954. Sur le fond, la cour juge la recherche de reclassement insuffisante, confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, ajuste l’indemnisation et écarte l’indemnité de préavis en raison d’un congé de reclassement accepté. Elle ordonne le remboursement des allocations de chômage dans la limite légale et rejette les autres prétentions.

La décision tranche ainsi, d’abord, la question de la forme et du périmètre de l’appel après la réforme de 2023, ensuite, la question de la preuve du reclassement intragroupe et de ses conséquences indemnitaires.

I – Le contrôle de la recevabilité au regard de l’article 954 du code de procédure civile

A – La qualification du débat et l’écartement de l’autorité de la chose jugée
La juridiction d’appel refuse de placer le débat sur le terrain de l’article 1355 du code civil. Elle énonce que «la référence à cet article 1355 du code civil est inopérante. La discussion relative à l’irrecevabilité alléguée ne porte pas en effet sur la problématique de l’autorité de la chose jugée mais en réalité sur la portée de l’effet dévolutif de l’appel». La précision est utile. Elle dissocie l’intangibilité de ce qui a été jugé du seul respect des exigences formelles propres aux conclusions d’appel. Elle rappelle que la contestation du chef de dispositif se joue dans le cadre contraignant de l’article 954, non dans celui du triple identité.

Cette qualification est convaincante. Elle ramène la fin de non‑recevoir à ce qu’elle est en réalité, une critique de forme, et non une exception de fond. Elle éclaire la méthode: identifier les chefs critiqués, apprécier leur visée au dispositif, puis déterminer l’étendue de la dévolution. Le contentieux des irrecevabilités formalistes se trouve ainsi recadré, sans empiéter sur l’autorité de la chose jugée.

B – L’exigence de référence au chef critiqué, hors formalisme excessif
La cour consacre une lecture fonctionnelle de l’article 954. Elle affirme: «En troisième lieu, l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence. Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme». Cette motivation, ferme, articule droit processuel interne et accès effectif au juge.

Cette solution est opportune. Elle garantit la sécurité juridique en exigeant un renvoi clair aux chefs critiqués, tout en évitant une ritualisation incompatible avec l’article 6. La prise en compte conjointe de la déclaration d’appel et du dispositif des écritures permet une identification loyale de l’objet du litige. Le risque d’incertitude est limité par l’exigence d’une référence sans équivoque aux chefs contestés, telle qu’énoncée ici.

II – L’obligation de reclassement intragroupe: intensité probatoire et effets

A – La nécessité de démarches avérées auprès de chaque entité du groupe
La cour rappelle la lettre de l’article L. 1233‑4 et la charge de la preuve. Elle juge insuffisante la seule mention, dans les courriers au salarié, de postes disponibles au sein de quelques entités. Elle énonce: «En conséquence, la cour retient que l’employeur ne justifie pas avoir respecté ses obligations en matière de reclassement, faute de justifier avoir demandé à chaque entité du groupe s’il y avait des postes de reclassement envisageables». La motivation sanctionne l’absence de justificatifs concrets attestant d’une sollicitation systématique.

L’enseignement est clair. L’inventaire transmis au salarié ne se substitue pas aux démarches probatoires vers chaque entité répondant au critère de permutation. La preuve attendue demeure documentaire, circonstanciée et exhaustive à l’échelle du groupe pertinent. À défaut, le licenciement économique se trouve privé de cause réelle et sérieuse, indépendamment des autres paramètres du projet de réorganisation.

B – Les conséquences: requalification, indemnisation modulée et préavis écarté
La juridiction d’appel consacre la sanction classique: «Le jugement est dès lors confirmé, pour ce seul motif, en ce qu’il a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse». Elle module toutefois l’indemnité allouée à 7 800 euros, au regard de l’ancienneté et de la situation du salarié, et ordonne le remboursement des allocations de chômage dans la limite de six mois. Elle rejette la demande relative au préavis en raison du congé de reclassement accepté, en relevant que «Dès lors, l’indemnité de préavis n’est pas due, dans la mesure où le salarié qui accepte un congé de reclassement bénéficie d’un préavis qu’il est dispensé d’exécuter et perçoit pendant sa durée le montant de sa rémunération (soc., 17 décembre 2013, n° 12-27.202)».

L’équilibre retenu est cohérent. La requalification découle du seul manquement probatoire au reclassement. L’indemnisation est mesurée, sans méconnaître la protection due. L’accessoire du préavis s’efface logiquement devant le mécanisme spécifique du congé de reclassement. Les demandes annexes sont écartées, soit par défaut de manquement démontré en matière de formation, soit par défaut de saisine utile, la cour ne statuant que sur les prétentions et moyens régulièrement articulés. L’ensemble dessine une jurisprudence exigeante sur la preuve du reclassement et pragmatique sur les effets, fidèle au droit positif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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