Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01849

Rendue par la Cour d’appel de Reims le 27 août 2025, la décision tranche un contentieux de licenciement économique. Le salarié, engagé depuis 1982, contestait la rupture en invoquant des manquements au reclassement. En première instance, la juridiction prud’homale avait jugé la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse.

En appel, l’employeur sollicitait l’infirmation sur le chef de la requalification, tandis que le salarié soulevait une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée. Les demandes accessoires concernaient notamment l’indemnité de préavis, l’obligation de formation, ainsi qu’un poste de préjudice distinct. Le débat procédural portait, en réalité, sur la discipline du dispositif en application de l’article 954 du code de procédure civile.

La cour écarte l’argument d’irrecevabilité fondé sur l’article 1355 du code civil et retient l’applicabilité du nouveau formalisme de l’appel. Elle constate ensuite l’insuffisance des justifications de reclassement au sein du groupe, confirmant l’absence de cause réelle et sérieuse. D’abord, la motivation précise la portée de l’article 954 du code de procédure civile; puis, l’analyse du reclassement économique fait jouer la charge probatoire à la faveur du salarié.

I. Le contrôle de la recevabilité des prétentions en appel

A. L’autorité de la chose jugée écartée

La cour refuse de cantonner le débat à l’article 1355 du code civil, relevant que «la référence à cet article 1355 du code civil est inopérante.» Le cœur du litige procédural réside dans l’effet dévolutif de l’appel et la structuration des conclusions. Le texte pertinent est ainsi rappelé, s’agissant des exigences du dispositif: «Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions».

La juridiction d’appel souligne que la déclaration d’appel visait le chef pertinent du jugement et que le dispositif des conclusions de l’employeur se référait, sans ambiguïté, au même objet. L’opposition développée in limine litis se heurte ainsi à l’office du juge d’appel, lequel contrôle la cohérence entre l’objet du recours et son expression dans le dispositif. Cette approche recentre la discussion sur l’identification des chefs critiqués, non sur une querelle de mots.

B. Une lecture non formaliste de l’article 954

La cour adopte une interprétation mesurée des exigences nouvelles du dispositif. Elle énonce que «En troisième lieu, l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence.» Elle ajoute encore que «Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.»

Cette motivation concilie discipline rédactionnelle et effectivité du droit au recours. Elle limite les sanctions d’irrecevabilité aux manquements réellement préjudiciables à la lisibilité du litige. La solution s’accorde avec la finalité de l’article 954, sans en faire un piège procédural. Elle rappelle, par ailleurs, que «La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion», ce qui structure l’office du juge et la loyauté de la contradiction.

II. L’obligation de reclassement dans le licenciement économique

A. Périmètre du groupe et charge probatoire

Sur le fond, la cour rappelle la règle cardinale: «un manquement à l’obligation préalable de reclassement qui pèse sur l’employeur prive le licenciement économique ensuite prononcé de cause réelle et sérieuse.» L’article L. 1233-4 du code du travail impose une recherche effective des emplois disponibles, au sein de l’entreprise et des entités du groupe situées sur le territoire national, lorsque la permutation du personnel est possible.

La motivation retient que l’employeur n’établit pas la réalité de démarches ciblées auprès de chaque entité du groupe. Elle note précisément que «il ne justifie pas avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement», la seule mention de postes dans certaines sociétés ne suffisant pas. Cette exigence probatoire, classique, privilégie la traçabilité des sollicitations sur la simple diffusion de listes standardisées. Elle protège la finalité d’adaptation et de reclassement, avant la rupture.

B. Conséquences indemnitaires et demandes accessoires

La sanction s’ensuit naturellement. La cour indique que «Le jugement est dès lors confirmé, pour ce seul motif, en ce qu’il a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.» L’évaluation du préjudice tient compte de l’ancienneté et de la rémunération de référence, dans les bornes du droit positif. La restitution des allocations de chômage dans la limite légale complète le dispositif, conformément à l’article L. 1235-4 du code du travail.

La demande d’indemnité de préavis est rejetée, en raison de l’option pour le congé de reclassement. La cour rappelle que «Dès lors, l’indemnité de préavis n’est pas due, dans la mesure où le salarié qui accepte un congé de reclassement bénéficie d’un préavis qu’il est dispensé d’exécuter et perçoit pendant sa durée la montant de sa rémunération (soc., 17 décembre 2013, n° 12-27.202).» L’obligation de formation est également jugée satisfaite au regard des actions réalisées, et les demandes relatives à un préjudice distinct sont filtrées par l’article 954, alinéa 3. La juridiction d’appel n’examine que ce qui est correctement articulé au dispositif, les moyens n’étant appréciés qu’à proportion de cette articulation.

Cette décision articule utilement rigueur procédurale et effectivité du contrôle de fond. Elle conforte un standard probatoire exigeant en matière de reclassement, sans sacrifier l’accès au juge d’appel sur l’autel d’un formalisme excessif. Elle précise, enfin, l’économie des demandes accessoires, dans un cadre cohérent avec la jurisprudence de la chambre sociale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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