Cour d’appel de Reims, le 27 août 2025, n°24/01858

Rendue par la cour d’appel de Reims, chambre sociale, le 27 août 2025, la décision soumise tranche deux séries de questions. D’abord, la portée de l’article 954 du code de procédure civile sur l’effet dévolutif de l’appel et la rigueur exigée du dispositif des conclusions. Ensuite, le contrôle du respect de l’obligation de reclassement préalable au licenciement économique, son régime probatoire et ses conséquences indemnitaires.

Les faits sont simples. Un salarié engagé depuis 2008 a été licencié pour motif économique en 2022 au sein d’un groupe industriel opérant en France et à l’étranger. En première instance, la rupture a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts ont été alloués. L’employeur a interjeté appel en critiquant le manquement à l’obligation de reclassement, tandis que le salarié sollicitait la confirmation de l’illégitimité du licenciement, l’indemnité de préavis, et des dommages complémentaires, notamment au titre de la formation et d’un préjudice moral.

Sur le terrain procédural, le salarié opposait une fin de non-recevoir, estimant que l’employeur n’avait pas, dans le dispositif de ses conclusions, repris littéralement le chef du jugement critiqué. La cour écarte la référence à l’autorité de la chose jugée et recentre l’analyse sur l’article 954, en rappelant que «Les conclusions comprennent distinctement […] un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués». Elle juge qu’une référence non littérale mais non équivoque suffit, le formalisme excessif étant proscrit.

Au fond, la cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse pour défaut de preuve d’une recherche effective de reclassement au sein de toutes les entités pertinentes du groupe. Elle réduit toutefois l’indemnisation, refuse l’indemnité de préavis en présence d’un congé de reclassement, rejette le grief relatif à la formation, et constate, sur le préjudice moral, l’articulation impérative entre dispositif et discussion au sens de l’article 954, alinéa 3.

I. Les exigences de l’article 954 du code de procédure civile en appel

A. La référence suffisante aux chefs critiqués, sans formalisme excessif
La cour déplace utilement le débat du terrain de l’autorité de la chose jugée vers celui de l’effet dévolutif et des exigences rédactionnelles du dispositif des conclusions. Elle retient que la déclaration d’appel visait expressément le chef critiqué et que le dispositif concluait clairement à l’infirmation sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Surtout, elle affirme que «l’exigence posée par l’article 954 n’implique pas la reproduction littérale du chef du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions mais uniquement qu’il y soit fait référence». Elle ajoute, de manière principielle, qu’«Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme». La solution s’inscrit dans une logique d’accès effectif au juge d’appel, sans sacrifier la lisibilité des prétentions.

B. La stricte articulation dispositif/discussion et ses effets contentieux
La décision souligne la règle cardinale selon laquelle «La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion». En tirant toutes les conséquences d’un décalage entre une demande mentionnée au dispositif et des moyens développés sur un autre chef (préjudice moral versus financier), la cour constate l’absence de saisine utile et s’abstient de statuer. Cette rigueur, prévisible depuis la réforme, sécurise le périmètre du litige et responsabilise la rédaction des écritures, tout en prévenant les glissements entre motifs et dispositif qui brouilleraient l’objet du débat en appel.

II. Le contrôle du reclassement préalable au licenciement économique

A. L’étendue du reclassement et la charge de la preuve
La cour rappelle la lettre de l’article L. 1233-4 du code du travail et précise le régime probatoire. Elle énonce que «la charge de la preuve du respect de cette obligation de reclassement incombe à l’employeur». Elle souligne également que «un manquement à l’obligation préalable de reclassement qui pèse sur l’employeur prive le licenciement économique ensuite prononcé de cause réelle et sérieuse». En présence d’un groupe, le périmètre de la recherche couvre les emplois disponibles situés sur le territoire national dans l’entreprise et les autres entreprises du groupe assurant la permutation du personnel. La cour attend des justificatifs positifs, adressés à chaque entité concernée, et ne se satisfait pas d’une liste de postes portée au salarié sans traçabilité des démarches amont.

B. Les conséquences sur la qualification de la rupture et les accessoires
Constatant l’insuffisance des preuves, la cour retient que «l’employeur ne justifie pas avoir adressé à chacune de ces entités du groupe une demande relative à des possibilités de reclassement». La sanction s’impose alors, «Le jugement est dès lors confirmé, pour ce seul motif, en ce qu’il a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse». L’indemnisation est calibrée en lien avec la situation personnelle, «cette somme permettant de réparer le préjudice subi, compte tenu de l’ancienneté et de la situation du salarié». S’agissant du préavis, la solution est classique en cas de congé de reclassement accepté, «Dès lors, l’indemnité de préavis n’est pas due», conformément à Soc., 17 décembre 2013, n° 12-27.202. Enfin, le grief de formation est rejeté, l’employeur justifiant d’un volume significatif d’actions au regard de l’ancienneté, ce qui satisfait l’obligation d’adaptation. L’ensemble dessine une grille de contrôle exigeante sur le reclassement et cohérente sur les accessoires, dans un cadre procédural clarifié par l’article 954.

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Hassan KOHEN
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