- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 27 août 2025 (n° RG 24/01860), la cour tranche un contentieux de licenciement économique. Elle examine aussi une fin de non‑recevoir fondée sur l’article 954 du code de procédure civile.
Un salarié, engagé en 2001, a été licencié économiquement en 2022 dans un contexte de réorganisation au sein d’un groupe implanté en France et à l’étranger. Le Conseil de prud’hommes de Charleville‑Mézières, 19 novembre 2024, a «requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse» et alloué des dommages‑intérêts. En appel, l’employeur conteste cette requalification ainsi que plusieurs demandes accessoires du salarié. Celui‑ci oppose l’irrecevabilité des critiques, soutenant que le dispositif des conclusions adverses ne visait pas littéralement le chef «requalification».
La cour est saisie de deux questions principales. D’une part, l’exigence de précision du dispositif des conclusions au regard de l’article 954 du code de procédure civile et la différence avec l’autorité de la chose jugée. D’autre part, l’étendue et la preuve de l’obligation de reclassement intragroupe, conditionnant la cause réelle et sérieuse du licenciement économique.
La cour rejette la fin de non‑recevoir, retient qu’«imposer une reproduction littérale du chef critiqué […] constituerait […] un formalisme excessif», puis confirme la requalification pour manquement à l’obligation de reclassement. Elle refuse l’indemnité de préavis en présence d’un congé de reclassement, confirme le rejet du grief de formation, cadre les prétentions par l’article 954, alinéa 3, et ordonne le remboursement des allocations de chômage dans la limite légale.
I. L’article 954 du code de procédure civile, entre exigence de clarté et refus du formalisme excessif
A. La critique des chefs du jugement et la portée du dispositif des conclusions
La cour écarte d’abord la référence à l’autorité de la chose jugée, invoquée à tort pour clore le débat. Le rappel de l’article 1355 du code civil, «L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité», est déclaré inopérant. Le cœur du litige relève du seul effet dévolutif de l’appel et des exigences de l’article 954.
La cour cite alors le texte décisif: «Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions». Elle constate que la déclaration d’appel visait expressément la requalification, et que le dispositif des conclusions sollicitait l’infirmation «en ce qu’il a condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non‑respect de l’obligation de reclassement», référence suffisante au chef critiqué.
Il en résulte une lecture finaliste et raisonnable du formalisme du dispositif. La cour retient que l’énonciation des chefs critiqués n’exige pas la reproduction à l’identique des termes du jugement. Elle admet une référence non littérale, à condition qu’elle désigne sans ambiguïté le chef visé et qu’elle éclaire le périmètre de l’effet dévolutif.
B. Le refus d’un excès de formalisme et la garantie d’accès au juge d’appel
La solution est nettement adossée au droit au procès équitable. La cour affirme: «Imposer une reproduction littérale du chef critiqué du dispositif du jugement constituerait en effet un formalisme excessif au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme». Cette motivation consacre un contrôle de proportionnalité entre la clarté nécessaire du dispositif et l’accès effectif au juge d’appel.
La portée est double. Elle sécurise d’abord les pratiques rédactionnelles postérieures au décret du 29 décembre 2023, en refusant que l’exigence d’«énoncer […] les chefs […] critiqués» devienne une trappe formaliste. Elle rappelle ensuite que la dévolution est gouvernée par la cohérence d’ensemble: déclaration d’appel, dispositif, et discussion doivent converger. En ce sens, la solution impose rigueur sans rigidité, en privilégiant l’intelligibilité des prétentions sur la copie conforme des termes du jugement.
II. L’obligation de reclassement intragroupe, condition substantielle de la cause réelle et sérieuse
A. L’étendue des recherches et la charge de la preuve au regard de l’article L 1233‑4
La cour rappelle le principe normatif: «l’article L 1233‑4 du code du travail dispose que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel». La charge de la preuve du respect de cette obligation préalable incombe à l’employeur.
Or, la cour constate que des listes de postes ont été communiquées au salarié, en France et à l’étranger, mais que les justificatifs de la recherche effective auprès de chaque entité du groupe font défaut. Elle énonce clairement: «la cour retient que l’employeur ne justifie pas avoir respecté ses obligations en matière de reclassement, faute de justifier avoir demandé à chaque entité du groupe s’il y avait des postes de reclassement envisageables».
La portée est importante. L’information descendante au salarié ne supplée pas l’investigation montante auprès des entités du groupe. La preuve attendue concerne des démarches actives, tracées, et exhaustives à l’échelle du groupe pertinent. À défaut, le licenciement économique est privé de cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres griefs.
B. Les conséquences sur les demandes accessoires et la délimitation des prétentions
La requalification entraîne l’allocation de dommages‑intérêts sur la base d’un salaire de référence fixé, ainsi que le remboursement des allocations de chômage à l’opérateur public de l’emploi dans la limite légale. La cohérence du dispositif confirme une sanction proportionnée au manquement préalable, et un rappel utile des effets attachés par le code du travail.
S’agissant du préavis, la cour retient l’articulation avec le congé de reclassement en reprenant la formule de principe: «le salarié qui accepte un congé de reclassement bénéficie d’un préavis qu’il est dispensé d’exécuter et perçoit pendant sa durée la montant de sa rémunération» (soc., 17 décembre 2013, n° 12‑27.202). L’indemnité de préavis n’est donc pas due. La solution, classique, illustre l’équilibre entre accompagnement et indemnisation, et évite un cumul indu.
Sur l’obligation de formation, la cour apprécie concrètement les actions menées, au regard de l’ancienneté et des heures réalisées. Elle confirme l’absence de manquement, rappelant que la critique supposerait de démontrer un déficit caractérisé, non une simple divergence d’appréciation.
Enfin, la cour encadre fermement les prétentions à l’aune de l’article 954, alinéa 3: «La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion». L’écart entre un dispositif visant un préjudice moral et des motifs discutant un préjudice financier conduit à constater l’absence de saisine régulière. Cette rigueur assure la lisibilité du débat, tout en évitant des décisions ultra petita ou des confusions quant à l’objet de la demande.
Ainsi, l’arrêt combine un rappel ferme des exigences probatoires en matière de reclassement intragroupe et une interprétation mesurée du nouveau formalisme des conclusions d’appel. Il protège l’accès au juge, tout en garantissant la sécurité procédurale et la loyauté de la preuve dans le licenciement économique.