Cour d’appel de Reims, le 3 septembre 2025, n°24/00963

Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 3 septembre 2025, la juridiction retient un harcèlement moral, prononce en conséquence la nullité d’un licenciement pour inaptitude, réduit l’indemnisation allouée et refuse l’indemnité spéciale attachée au régime des accidents du travail. L’affaire prend naissance dans un contexte de relances restées sans réponse, d’erreurs de planification, d’une affectation brutale loin du site habituel, et d’un complément de salaire tardivement versé durant des arrêts. Le conseil de prud’hommes de Charleville-Mézières, le 31 mai 2024, avait annulé le licenciement, indemnisé le harcèlement moral et la violation de l’obligation de sécurité, et accordé diverses sommes accessoires. La cour confirme l’existence d’un harcèlement moral, maintient le manquement à l’obligation de sécurité, mais ajuste certains montants et rejette l’indemnité spéciale de licenciement, faute de caractère professionnel de l’inaptitude.

La question tranchée porte sur la méthode probatoire du harcèlement moral, sur le lien causal avec l’inaptitude, puis sur les effets indemnitaires, y compris l’articulation avec l’accident de trajet et le régime AT/MP. La solution se structure autour de la mise en œuvre des articles L. 1152-1, L. 1154-1 et L. 1235-3-1 du code du travail, d’une part, et de l’exclusion, bien établie, de la protection spéciale pour l’accident de trajet, d’autre part.

I. La caractérisation du harcèlement moral

A. Les éléments factuels retenus et la dégradation des conditions de travail

La cour reconstitue un faisceau d’indices concordants, attaché au défaut de réponse aux alertes, à une déprogrammation suivie d’une affectation lointaine au cœur de l’été, à une retenue salariale corrigée tardivement, et à un complément de salaire versé de manière partielle et tardive. Elle insiste sur la matérialité d’une absence injustifiée imputée puis régularisée, sur la charge familiale exposée, et sur la durée des carences de communication. Les pièces médicales complètent l’ensemble. La motivation retient qu’« il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral ». La juridiction relève en outre que « dans la rubrique “constatations” les arrêts de travail font le lien entre la crise d’angoisse et la souffrance par rapport aux conditions de travail », renforçant l’atteinte à la santé.

La branche professionnelle est mobilisée au titre de l’équilibre des temps. Le texte conventionnel cité impose un traitement diligent des demandes écrites et une réponse formalisée, la cour rappelant que « “Afin d’améliorer l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, les entreprises de la branche prévention sécurité s’engagent à une application stricte des textes […] Une réponse écrite sera dans tous les cas adressée au salarié” ». Ce renfort normatif éclaire une exigence de loyauté dialogique, ici défaillante, et soutient l’analyse globale de la dégradation des conditions de travail.

B. La règle probatoire et le contrôle du juge

La cour applique l’article L. 1154-1 et opère le contrôle en deux temps, d’abord au regard des éléments « suffisamment précis » présentés par le salarié, ensuite à l’aune des justifications adverses. Elle écarte les griefs non établis ou neutres (paiement des heures au regard de la modulation, respect du délai de prévenance, inutilité des frais liés à des formations non requises). Elle retient, en revanche, l’absence de réponse aux alertes, la déprogrammation inexpliquée, l’affectation lointaine sans prise en compte de la situation familiale, et l’information tardive sur les IJSS conditionnant le complément employeur.

La motivation souligne que « il n’en demeure pas moins que les modalités de cette affectation ont été brutales et irrespectueuses de la vie familiale du salarié », et constate l’insuffisance des explications sur la nécessité opérationnelle alléguée. La conclusion s’impose alors, dans une formule claire et décisive : « Au vu de ces éléments, le harcèlement moral est caractérisé. » Ce contrôle de proportion et de cohérence, centré sur les réponses attendues de l’employeur, confirme une jurisprudence exigeant une justification objective et circonstanciée.

II. Les effets de la qualification sur la rupture et les accessoires

A. Nullité du licenciement pour inaptitude et indemnisation

Le lien causal entre harcèlement et inaptitude est explicitement retenu. La cour affirme que « Il résulte des développements précédents que l’inaptitude […] est la conséquence du harcèlement moral […], de sorte que le licenciement est nul par application des dispositions de l’article L1152-3 du code du travail. » Elle applique ensuite l’article L. 1235-3-1, rappelant le plancher de six mois, et module l’indemnité en fonction de l’âge, de l’ancienneté et des éléments relatifs à l’indemnisation chômage. Le montant est fixé à un niveau proche du plancher légal, ce qui marque une volonté de calibrage proportionné et cohérent avec le dossier.

Les demandes accessoires sont traitées avec mesure. Le complément de salaire pendant les arrêts est ajusté, la cour retenant que « Compte tenu des règles susvisées et des indemnités journalières versées par la sécurité sociale […] avait droit à un complément de salaire […] Il n’a perçu que 1 047,20 euros », d’où une condamnation résiduelle. Le remboursement de frais médicaux ponctuels est confirmé, tandis que les autres prétentions pécuniaires, liées à la modulation, restent rejetées faute de preuve.

B. Exclusion de l’indemnité spéciale AT/MP et confirmation du manquement à l’obligation de sécurité

L’accident du 14 août est qualifié de trajet et non d’accident du travail, ce qui borne la protection spéciale. La cour rappelle, dans une formule de principe, que « La cour de cassation juge toutefois de manière constante qu’un salarié victime d’un accident de trajet ne peut bénéficier de la protection spéciale accordée au salarié victime d’un accident du travail prévue par les articles L1226-10 et suivants du code du travail ». La dépression ultérieure, bien que reliée aux conditions de travail, « ne peut être qualifiée d’accident du travail ou de maladie professionnelle », excluant l’indemnité spéciale. Ce faisant, la décision clarifie l’articulation entre la prise en charge sociale et le régime protecteur du licenciement.

Le manquement à l’obligation de sécurité est confirmé, avec une appréciation mesurée du préjudice. Les carences de prévention et de réaction, spécialement l’absence de réponse aux alertes et l’information tardive sur le complément de salaire, consacrent la défaillance. La solution retient une responsabilité autonome, sans double indemnisation, en distinguant nettement les chefs de dommage. L’ensemble préserve la cohérence du droit positif et trace une ligne directrice sur la gestion des alertes, la planification et le respect de la vie personnelle au sein des organisations de sécurité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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