Cour d’appel de Reims, le 3 septembre 2025, n°24/01013

Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 3 septembre 2025, la chambre sociale tranche des prétentions mêlant heures supplémentaires et rupture du contrat. Engagé puis promu à des fonctions d’encadrement, le salarié a été mis à pied, puis licencié pour faute grave, après la sortie non facturée de matériels. Il invoquait des heures supplémentaires, le droit à repos compensateur, le travail dissimulé, et contestait la qualification de la faute, l’employeur sollicitant confirmation.

Le conseil de prud’hommes de Charleville-Mézières, le 11 juin 2024, avait retenu une cause réelle et sérieuse, rejetant toutes demandes accessoires. Devant la Cour d’appel de Reims, l’appelant sollicitait l’infirmation, notamment un rappel d’heures, des indemnités de rupture, et des dommages-intérêts de diverses natures. Les débats portaient sur la preuve des heures, la contrepartie en repos, l’intentionnalité d’une dissimulation, et la proportion de la sanction disciplinaire prononcée.

La décision délimite d’abord le régime probatoire des heures et constate un défaut de contrôle par l’employeur, tout en circonscrivant strictement l’évaluation. Elle confirme ensuite la cause réelle et sérieuse, écarte la faute grave, et répare corrélativement les droits accessoires, tout en réservant une modeste indemnisation du préjudice moral.

I. Le régime probatoire des heures supplémentaires et ses effets limités

A. Les exigences probatoires et la défaillance de contrôle

La cour rappelle la répartition probatoire en ces termes généraux, constants et décisifs. Elle énonce que « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis (…) afin de permettre à l’employeur (…) d’y répondre utilement ». L’arrêt ajoute, dans la droite ligne des textes, que « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments (…) ». Cette grille, qui aménage la preuve, exclut toute exigence de certitude initiale du décompte par le salarié.

La juridiction souligne, dans la continuité, la latitude d’appréciation du juge du fond sur le quantum. Elle affirme que « Après analyse des pièces (…) dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci ». Le raisonnement lie ainsi l’insuffisance des documents de contrôle à l’obligation de répondre utilement, puis à une évaluation mesurée du rappel.

Le salarié a fourni un schéma horaire hebdomadaire précis, assorti de variantes limitées dans le temps, ce que la cour estime suffisant. L’employeur n’a, pour sa part, produit aucun décompte individuel opposable, alors même que le contrôle des horaires lui incombe. Il est, de surcroît, indifférent que le salarié n’ait pas sollicité en cours d’exécution l’autorisation d’effectuer les heures litigieuses. La clause contractuelle d’« enveloppe » ne peut absorber des dépassements non rémunérés dans la durée hebdomadaire convenue, hors régime de forfait valablement stipulé.

Cette articulation méthodique conduit à reconnaître l’existence d’heures supplémentaires, tout en corrigeant l’assiette alléguée. La cour tient compte des circonstances particulières, notamment de la baisse d’activité pendant la crise sanitaire, pour réduire le volume retenu. Le rappel est ainsi limité, suivant une méthode pragmatique et conforme à la souveraineté d’appréciation, ce qui manifeste une volonté de concilier sécurité et équité dans la fixation des créances.

B. L’absence de dépassement du contingent et le rejet des griefs afférents

La reconnaissance d’heures supplémentaires n’ouvre pas mécaniquement droit à la contrepartie en repos. La cour confirme le rejet, « dès lors que le contingent annuel de 220 heures supplémentaires n’a pas été dépassé en 2019, 2020, 2021 et 2022 ». Cette motivation substituée rappelle l’économie du dispositif légal, qui conditionne la contrepartie obligatoire au franchissement d’un seuil collectif.

Le grief de travail dissimulé est pareillement écarté, faute d’élément intentionnel. L’arrêt affirme avec netteté que « Le caractère intentionnel de la dissimulation n’est pas établi ». La solution s’inscrit dans la jurisprudence exigeant un dessein de dissimulation de l’activité ou des heures, et non la seule inexactitude ponctuelle. La régularisation partielle intervenue durant la relation de travail renforce, ici, l’absence d’élément moral requis par le texte.

Ce double rejet illustre une cohérence d’ensemble. La cour protège la rémunération due pour le travail effectivement accompli, mais réserve les mécanismes à finalité sanctionnatrice ou réparatrice à leurs conditions strictes. Elle évite ainsi de transformer le constat probatoire en cascade indemnitaire, limitant la portée aux sommes corrélatives aux heures reconnues.

II. La qualification de la rupture et ses conséquences indemnitaires

A. Matérialité fautive et exclusion de la faute grave

S’agissant de la rupture, l’arrêt rappelle un principe probatoire d’égalité procédurale. Il énonce que « La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties ». Cette formule, classique, invite le juge à former sa conviction à partir de l’ensemble des éléments versés au débat, sans inverser artificiellement le fardeau.

La matérialité reprochée tient à la sortie de matériels non réglés, à deux dates successives, depuis le lieu de travail. La justification avancée, relative à un usage externe présumé, n’est pas corroborée. Des éléments extérieurs, dont une attestation contradictoire, et le comportement postérieur de régularisation partielle, affaiblissent la thèse dispensant de paiement immédiat. La cour retient des manquements au règlement intérieur et à l’obligation de loyauté.

Pour autant, l’impossibilité de maintien immédiat dans l’entreprise n’est pas déduite. L’arrêt caractérise la faute comme réelle et sérieuse, sans atteindre l’intensité de la faute grave. Il conclut que « Ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement ». Le raisonnement met en balance la gravité objective des faits et les éléments ultérieurs de restitution ou de paiement, qui atténuent la rupture de confiance immédiate.

Ce positionnement concorde avec une conception exigeante de la faute grave, laquelle suppose la désorganisation ou l’atteinte telle que la poursuite du contrat est impossible. La modulation opérée par la cour, au regard des circonstances et des réactions intervenues, s’inscrit dans une appréciation proportionnée de la sanction disciplinaire.

B. Les droits accessoires du salarié et les dommages pour vexation

La qualification retenue produit des effets pécuniaires immédiats. L’absence de faute grave rouvre droit à l’indemnité compensatrice de préavis, à l’indemnité légale de licenciement, et au rappel du salaire suspendu durant la mise à pied conservatoire. La réserve est classique, car une mise à pied conservatoire n’a pas de fondement autonome lorsque la gravité extrême est écartée. La cohérence du dispositif se lit dans l’infirmation ciblée des chefs relatifs aux accessoires de la rupture.

La cour alloue, en outre, une somme modeste au titre du préjudice moral né de circonstances vexatoires. La motivation souligne le caractère inutilement appuyé des notifications et la disproportion de la mesure conservatoire au regard de la gravité finalement retenue. La réparation demeure symbolique, ce qui reflète une juste appréciation de l’atteinte sans obérer la logique disciplinaire de la décision.

L’arrêt procède enfin à un réagencement mesuré des dépens et frais irrépétibles. La partie principalement succombante en appel supporte les dépens, tandis qu’une indemnité procédurale est accordée au salarié en équité. Cette issue, équilibrée, consacre l’économie générale de la solution, partiellement réformée mais strictement encadrée quant à sa portée.

Ainsi, la Cour d’appel de Reims articule fermement la preuve aménagée des heures et la rigueur des conditions attachées aux mécanismes correctifs, tout en ajustant la sanction au bon niveau de gravité. Les extraits cités rappellent la méthode retenue, la souveraineté d’évaluation et l’exigence d’intention pour les sanctions aggravées, dans un ensemble cohérent et fidèle au droit positif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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