- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt de la Cour d’appel de Reims, chambre sociale, du 3 septembre 2025, la juridiction statue sur un ensemble de prétentions liées à l’exécution du contrat de travail et à la rupture. Le litige porte d’abord sur la portée d’un écrit du 8 mars 2021 invoqué comme transaction, puis sur le statut de la salariée au regard du temps de travail, la preuve et l’évaluation d’heures supplémentaires, ainsi que sur des demandes accessoires relatives au repos compensateur, au travail dissimulé, et à la validité d’un licenciement pour inaptitude. Le Conseil de prud’hommes de Reims, le 3 juillet 2024, avait retenu l’existence d’un statut de cadre dirigeant, rejeté les demandes d’heures supplémentaires et confirmé la validité du licenciement, tout en allouant un solde d’indemnité compensatrice de préavis. L’appel a été formé contre ces chefs, notamment pour voir écarter la transaction et reconnaître des heures supplémentaires.
Les faits tiennent en quelques points utiles. Le contrat a évolué vers un forfait annuel en heures en 2015, sur la base de 1 607 heures. Un écrit du 8 mars 2021 a alloué une somme forfaitaire au titre de congés non pris. Un accident du travail a été reconnu le 23 juillet 2021, suivi d’un avis d’inaptitude en mai 2023 et d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement en juin 2023. Devant les premiers juges, la salariée sollicitait des rappels d’heures supplémentaires, l’indemnité pour travail dissimulé, des dommages-intérêts pour manquement à la sécurité et harcèlement, la nullité à titre principal de la rupture, ou subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse.
La question de droit centrale se dédouble. La cour devait, en premier lieu, délimiter l’objet et les effets juridiques de l’écrit du 8 mars 2021 quant à la recevabilité des demandes salariales postérieures, et fixer le régime probatoire applicable aux heures supplémentaires. En second lieu, elle devait déterminer si le statut de cadre dirigeant était applicable malgré un forfait annuel en heures, préciser les conséquences qui en découlent sur les accessoires (repos compensateur, travail dissimulé), et apprécier la validité du licenciement pour inaptitude au regard d’allégations de harcèlement, ainsi que l’assiette de l’indemnité compensatrice régie par l’article L.1226-14 du code du travail.
I – La transaction du 8 mars 2021 et la preuve des heures supplémentaires
A – Nature et portée restrictives de l’écrit du 8 mars 2021
La cour qualifie l’écrit du 8 mars 2021 de transaction au sens de l’article 2044 du code civil, mais en circonscrit strictement l’objet. Elle énonce, d’abord, une prémisse décisive sur l’acte lui-même: « Si un tel écrit correspond bien à une transaction, au sens de l’article 2044 du code civil, en ce qu’il existait une contestation relative aux congés payés et qu’il y a des concessions réciproques, sa portée est limitée. » La motivation se focalise ensuite sur l’élément matériel de la renonciation, qui ne visait que des « indemnités ou compensation » liées à des congés non pris, laissant hors champ les créances de nature salariale.
La solution en découle logiquement. L’exception d’irrecevabilité opposée par l’employeur est écartée, la cour affirmant sans ambiguïté: « Le moyen d’irrecevabilité tiré de l’écrit en date du 8 mars 2021 doit donc être rejeté. » Cette affirmation repose sur une distinction classique entre la nature indemnitaire visée par l’écrit et la nature salariale des heures supplémentaires, distinction déterminante en droit du travail. La démarche s’inscrit dans une lecture restrictive des transactions, conforme à l’exigence d’une cause et d’un objet précisément caractérisés, et à la prohibition de renonciations générales anticipées à des droits salariaux.
L’argument subsidiaire relatif à la nullité de l’acte est aussi écarté, faute de moyens déterminés. La cour constate l’absence de griefs de droit propres à affecter l’acte, et refuse d’en tirer un quelconque effet résolutoire ou restitutoire. La stabilité de l’acte, ainsi neutralisé quant à son extension, ne fait pas obstacle aux réclamations salariales distinctes et postérieures.
B – Méthode probatoire, aveu extra-judiciaire et évaluation des rappels
La cour rappelle le schéma légal gouvernant la preuve des heures supplémentaires. Elle vérifie l’existence d’éléments suffisamment précis versés par la salariée et relève, en outre, l’absence de tout contrôle patronal de la durée du travail. Sur ce point, l’affirmation est nette et pédagogique: « Au vu de l’ensemble de ces éléments, la réalité des heures supplémentaires est donc établie en leur principe. » La clé réside dans la charge de l’employeur d’apporter des éléments de réponse, selon l’article L.3171-4 du code du travail, ce qui n’a pas été fait.
La question incidente de l’aveu reçoit un traitement nuancé. L’aveu judiciaire est écarté en raison d’une instance distincte et antérieure, la cour retenant que « les conditions d’application de l’article 1383-2 du code civil ne sont pas réunies, dès lors que l’aveu n’a pas été fait lors de la même instance, mais lors d’une instance précédente en référé. » En revanche, l’aveu extra-judiciaire est pris en compte, ce qui infléchit la quantification, notamment pour les années récentes où les heures au-delà de la trente-neuvième ne sont pas corroborées.
La cour fixe in fine le quantum par une appréciation souveraine des pièces et des aveux utiles, dans une formulation mesurée: « Dans ces conditions, la cour évalue le rappel de salaires à la somme de 9330 euros, outre les congés payés y afférents. » Elle rejette, corrélativement, la demande de dommages-intérêts distincts pour non-paiement, faute de préjudice autonome, limitant la réparation au rappel moratoire. La prétention au repos compensateur est écartée par une règle claire, que la cour rappelle en ces termes: « en application de l’article D.3121-24 du code du travail, les salariés en forfait annuel en heures sont exclus de la réglementation du contingent. » Enfin, l’allégation de travail dissimulé est rejetée, l’élément intentionnel étant jugé défaillant; la cour souligne que « La seule petite taille de l’exploitation ne suffit pas à caractériser le caractère intentionnel de la dissimulation, requis pour pouvoir prétendre à l’indemnité de travail dissimulé prévue à l’article L.8223-1 du code du travail ».
Cette première série de solutions, centrée sur la portée de la transaction et le régime probatoire, rétablit l’exigence d’une preuve ordonnée et proportionnée, tout en rappelant la séparation des régimes salariaux et indemnitaires.
II – Statut du temps de travail, validité de la rupture et effets pécuniaires
A – Cadre dirigeant écarté, effets sur les accessoires et frontières du forfait
La cour refuse la qualification de cadre dirigeant. Le contrat ayant institué un forfait annuel en heures, la salariée demeure soumise à la durée légale hebdomadaire, et ne peut être exclue de la législation sur la durée du travail. La qualification prétorienne de cadre dirigeant suppose, selon le droit positif, une autonomie et des responsabilités d’un tout autre ordre, introuvables dans une relation encadrée par un forfait en heures.
Cette appréciation se reflète dans les accessoires. Le rejet du cadre dirigeant rend opérantes les règles ordinaires de la preuve des heures, mais, symétriquement, le mécanisme du contingent d’heures supplémentaires demeure inapplicable. La cour le rappelle expressément, s’agissant du forfait annuel en heures: « les salariés en forfait annuel en heures sont exclus de la réglementation du contingent. » La conséquence directe est l’exclusion de la contrepartie obligatoire en repos, faute de dépassement d’un contingent pertinent. La demande de dommages-intérêts autonome pour non-paiement des heures est rejetée pour absence de préjudice spécifique, la réparation étant absorbée par les intérêts de retard. L’économie générale de la décision articule ainsi, avec cohérence, le rejet du statut de cadre dirigeant, la recevabilité et l’évaluation contenue des heures, et la neutralisation des prétentions accessoires inadaptées au forfait.
B – Harcèlement, inaptitude d’origine professionnelle et assiette de l’indemnité de rupture
La cour examine d’abord les allégations de harcèlement moral, déterminantes pour la nullité de la rupture. Elle rappelle la nécessité d’agissements répétés et retient que, dans l’espèce, « S’agissant d’un fait unique, le harcèlement moral n’est donc pas établi. » Les pièces médicales sont prises en considération pour la présomption, mais ne suffisent pas sans pluralité d’agissements matériellement constatés. La nullité est dès lors écartée.
Sur l’inaptitude, la cour énonce un principe général d’une grande clarté: « Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée. » Encore faut-il établir le lien causal. Or, la cour constate que l’inaptitude intervient à la suite d’un accident du travail, sans preuve d’un manquement imputable à l’employeur de nature à en constituer l’origine déterminante. Le licenciement est donc confirmé comme fondé, l’exception tirée d’un manquement préalable demeurant non démontrée.
Reste l’assiette de l’indemnité compensatrice due en cas d’inaptitude d’origine professionnelle. La cour adopte une lecture stricte des textes. Elle retient que « qu’il résulte de l’article L.1226-14 du code du travail que l’indemnité compensatrice à laquelle la salariée licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle peut prétendre, est d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L.1234-5 du code du travail. » La durée conventionnelle plus longue est donc inopérante. La cour ajoute, dans la même logique, que « cette indemnité, qui n’a pas la nature d’une indemnité de préavis, n’ouvre pas droit à congés payés. » Le chef accordant un solde sur une base conventionnelle est infirmé, et les congés afférents sont refusés.
Les mesures accessoires suivent. L’injonction de délivrer des documents de fin de contrat est prononcée, l’astreinte étant jugée superflue: « Il n’est pas nécessaire d’ordonner une astreinte. » Les intérêts au taux légal courent à compter de la convocation prud’homale sur la créance salariale, et la capitalisation est ordonnée, la formulation étant explicite: « Il y a lieu en outre de faire droit à la demande de l’appelante formée en application de l’article 1343-2 du code civil. » Les dépens sont mis à la charge de l’employeur, une indemnité de procédure étant allouée à la salariée.
L’arrêt fixe ainsi une ligne claire. La transaction ne fait pas obstacle à des créances salariales hors de son objet; la preuve des heures s’opère dans le cadre légal aménagé; la qualification de cadre dirigeant est écartée face à un forfait annuel en heures; les accessoires sont calibrés au plus juste; la nullité de la rupture est refusée faute de harcèlement établi et de lien causal avec l’inaptitude; l’indemnité d’inaptitude est strictement arrimée aux articles L.1226-14 et L.1234-5. L’ensemble compose une décision cohérente, mesurée dans ses évaluations et rigoureuse dans ses qualifications.