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Le testament olographe constitue, parmi les formes testamentaires, celle qui préserve au mieux le secret des dernières volontés du disposant. Cette simplicité formelle se double toutefois d’une exigence rigoureuse, puisque l’article 970 du code civil subordonne sa validité à ce que l’acte soit « écrit en entier, daté et signé de la main du testateur ». La cour d’appel de Reims, dans un arrêt rendu le 30 juillet 2025, a eu à connaître d’un contentieux relatif à l’application de ces conditions de forme.
Un homme né en 1955 décède en 2022, laissant pour seul héritier ab intestat son frère. Un testament olographe en date du 10 mai 2022, déposé auprès d’un notaire, instituait une tierce personne légataire universelle. Le frère du défunt a assigné la légataire désignée en nullité de ce testament, invoquant que celui-ci n’avait pas été rédigé de la main du testateur. Le demandeur à l’action décède peu après l’introduction de l’instance. Ses deux filles, venant aux droits de leur père, reprennent la procédure.
Par jugement du 6 septembre 2024, le tribunal judiciaire de Reims prononce la nullité du testament olographe. Le premier juge relève des discordances graphiques entre ce testament et un précédent testament daté du 1er avril 2022, notamment dans l’écriture des chiffres. Il constate que si la signature paraît authentique, le corps du texte présente une graphie différente et que la légataire ne rapporte pas la preuve que le testateur a bien écrit l’intégralité de l’acte. La légataire désignée interjette appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelante soutient avoir accompagné le testateur dans la rédaction de son testament en lui préparant un modèle en lettres majuscules qu’il aurait ensuite recopié. Elle fait valoir que le défunt, souffrant de difficultés d’écriture, avait sollicité un notaire pour s’informer sur les formalités testamentaires. À titre subsidiaire, elle demande à se voir reconnaître légataire sur le fondement du testament du 1er avril 2022. À titre infiniment subsidiaire, elle sollicite une expertise graphologique. Les intimées concluent à la confirmation du jugement et, subsidiairement, invoquent l’insanité d’esprit du testateur.
La question posée à la cour était de déterminer si la légataire universelle rapportait la preuve suffisante de ce que le testament olographe du 10 mai 2022 avait été « écrit en entier » de la main du testateur, conformément aux prescriptions de l’article 970 du code civil.
La cour d’appel de Reims confirme le jugement de première instance en toutes ses dispositions. Elle retient que les documents produits attestant de la consultation d’un notaire « ne renseignent en aucune façon sur l’identité du rédacteur de l’acte ». Elle relève que « la graphie des chiffres est différente sur l’acte du 1er avril 2022 et sur celui du 10 mai 2022 » et que « la signature, qui constitue certes un acte plus courant pour une personne ayant du mal à écrire, est toutefois d’une toute autre graphie que le corps du testament ». Elle juge que « l’argument principal d’une écriture basée sur un modèle pré-établi (…) en lettres bâtons, ne vient pas utilement contre-carrer le constat des discordances susvisées ». La cour déclare irrecevable comme nouvelle la demande fondée sur le testament du 1er avril 2022 et rejette la demande d’expertise au motif qu’aucune mesure d’instruction ne peut « suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve ».
Cet arrêt illustre la rigueur du contrôle judiciaire exercé sur l’authenticité des testaments olographes. Il convient d’examiner successivement la charge de la preuve pesant sur le légataire contestant l’authenticité (I), puis les limites de la vérification d’écriture en l’absence d’éléments de comparaison suffisants (II).
I. La charge probatoire incombant au légataire en cas de contestation de l’écriture testamentaire
L’attribution de la charge de la preuve au légataire qui se prévaut du testament (A) emporte des conséquences rigoureuses sur l’issue du litige (B).
A. Le principe de l’attribution de la preuve au bénéficiaire du testament
La cour d’appel de Reims applique une règle jurisprudentielle constante selon laquelle « il incombe au légataire qui se prévaut d’un testament olographe d’établir la sincérité de l’acte et de rapporter la preuve de son authenticité lorsqu’un héritier en conteste l’écriture et la signature ». Cette solution, consacrée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 mars 1999, renverse la logique habituelle en matière d’actes sous seing privé. En principe, celui qui conteste un acte doit prouver son caractère apocryphe. En matière testamentaire, la spécificité tient à l’impossibilité d’interroger le testateur décédé sur la paternité de l’écrit.
Cette attribution de la charge probatoire au légataire se justifie par la nature même du testament olographe. Dépourvu de tout contrôle institutionnel lors de son établissement, contrairement au testament authentique reçu par notaire, il ne bénéficie d’aucune présomption d’authenticité. La contestation par un héritier légitime suffit à faire naître un doute que le bénéficiaire doit dissiper. La cour relève que les pièces produites attestant de la consultation notariale préalable « ne renseignent en aucune façon sur l’identité du rédacteur de l’acte » dès lors que le testament « n’a pas été établi par devant le notaire ».
B. Les conséquences de l’échec probatoire
L’appelante soutenait avoir assisté le testateur en lui préparant un modèle en lettres majuscules qu’il aurait recopié. La cour constate toutefois des « discordances » entre les différents écrits produits. Elle relève que « la graphie des chiffres est différente » entre les deux testaments et que la signature présente « une toute autre graphie que le corps du testament ». Ces éléments « jettent un trouble » sur l’authenticité de l’acte.
La cour juge que l’explication avancée par la légataire, à savoir que le testateur aurait recopié un modèle préétabli en lettres bâtons en raison de ses difficultés d’écriture, « ne vient pas utilement contre-carrer le constat des discordances susvisées ». L’échec probatoire conduit à la nullité du testament. Cette rigueur s’explique par le caractère d’ordre public des formes testamentaires. L’article 970 du code civil exige que le testament soit « écrit en entier » de la main du testateur. Une aide matérielle consistant à fournir un modèle à recopier n’est pas prohibée en soi, mais le juge doit pouvoir s’assurer que la main qui a tracé les caractères est bien celle du disposant.
II. Les limites de la vérification d’écriture en présence d’éléments de comparaison insuffisants
Le pouvoir souverain d’appréciation du juge en matière de vérification d’écriture (A) trouve sa limite dans l’impossibilité de suppléer la carence probatoire par une mesure d’instruction (B).
A. L’appréciation souveraine des éléments de comparaison disponibles
La cour rappelle qu’en application des articles 1373 du code civil et 287 et suivants du code de procédure civile, « il appartient au juge de procéder lui-même à l’examen de l’écrit litigieux au vu des éléments dont il dispose, sans être tenu d’ordonner une expertise s’il y trouve les éléments de conviction suffisants ». Le juge n’est donc pas lié par les conclusions d’un expert et peut trancher lui-même la question de l’authenticité.
En l’espèce, la cour procède à une comparaison des éléments produits. Elle constate que la signature apposée sur un chèque de 2019 et sur une carte de membre de 2013 « semble correspondre » à celle du testament, tout en relevant que « ces deux pièces sont largement antérieures à la date de rédaction du testament litigieux ». Cette observation souligne la difficulté inhérente à toute vérification d’écriture post mortem. L’écoulement du temps peut altérer la graphie d’une personne, particulièrement lorsque celle-ci souffre de troubles affectant sa motricité fine.
La cour relève également une différence notable entre la graphie de la signature, en lettres minuscules cursives, et celle du corps du testament, en lettres majuscules d’imprimerie. Ce constat fragilise la thèse selon laquelle le testateur aurait lui-même rédigé l’intégralité de l’acte, même en recopiant un modèle. Une personne conserve généralement une certaine cohérence graphique entre sa signature et son écriture courante.
B. Le rejet de la demande d’expertise pour carence dans l’administration de la preuve
À titre infiniment subsidiaire, l’appelante sollicitait une expertise graphologique. La cour rejette cette demande en rappelant qu’« en aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve », conformément à l’article 146 du code de procédure civile. Elle ajoute une motivation pragmatique tenant aux circonstances de l’espèce. Dès lors que le testateur aurait écrit en recopiant un modèle en lettres bâtons et qu’« aucun autre écrit en lettres bâtons n’est susceptible d’être produit pour comparaison », il est « illusoire de penser qu’une expertise graphologique serait de nature à apporter des éléments plus probants ».
Cette solution présente une cohérence certaine. L’expertise graphologique repose sur la comparaison entre l’écrit contesté et des documents de référence dont l’authenticité est établie. En l’absence de tels documents dans une graphie comparable, l’expert ne disposerait d’aucune base de travail fiable. La cour refuse ainsi de transformer la mesure d’instruction en une quête exploratoire qui n’aurait d’autre objet que de pallier l’insuffisance des preuves réunies par la partie défaillante.
Par ailleurs, la cour déclare irrecevable la demande subsidiaire fondée sur le testament du 1er avril 2022, qualifiant celle-ci de demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile. Cette rigueur procédurale parachève la défaite de l’appelante. La portée de cet arrêt réside dans le rappel de ce que la simplicité formelle du testament olographe ne dispense pas celui qui s’en prévaut de pouvoir en établir l’authenticité devant le juge. L’exigence manuscrite de l’article 970 du code civil demeure une condition substantielle dont le contrôle relève du pouvoir souverain des juges du fond.