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La cour d’appel de Reims, chambre de la famille et des contentieux de la protection, a rendu le 5 septembre 2025 un arrêt relatif aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession d’un homme décédé le 24 octobre 2013.
Le défunt, né en 1932, laissait pour lui succéder son épouse survivante, épousée en secondes noces en 1987, ainsi que cinq enfants issus d’un premier mariage. Il avait rédigé un testament olographe confirmant une donation entre époux et léguant une somme de 100 000 euros hors part successorale à l’une de ses filles. L’épouse survivante avait opté pour l’usufruit de la totalité des biens successoraux.
Des désaccords étant apparus entre les héritiers, l’épouse survivante avait fait assigner les enfants du défunt aux fins d’ouverture des opérations de partage. Un notaire fut commis et établit un projet de partage le 25 mai 2020. En l’absence de solution amiable, un procès-verbal de difficulté fut dressé.
Par jugement du 19 juin 2024, le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne statua sur les différentes contestations, retenant notamment que l’appartement acquis par l’épouse constituait un bien propre, rejetant les demandes de récompenses formulées par les enfants et intégrant au passif de la communauté des fermages dus à la première épouse du défunt.
Les enfants interjetèrent appel. Ils soutenaient que l’appartement acquis par leur belle-mère était un bien de communauté, que leur père disposait de fonds propres avant son remariage justifiant une récompense de 700 596 euros, que les assurances-vie souscrites à leur profit devaient donner lieu à récompense et qu’un contrat souscrit au profit de l’épouse devait être requalifié en donation.
L’épouse survivante concluait à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concernait la valeur du véhicule et les fermages, dont elle contestait l’inscription au passif.
La question posée à la cour était de déterminer si les différentes contestations relatives à la qualification des biens et aux récompenses étaient fondées.
La cour d’appel de Reims confirma pour l’essentiel le jugement entrepris, l’infirmant uniquement sur la question des fermages. Elle jugea notamment que « l’intervention de M. [E] [CH] qui prend acte du remploi de fonds propres par son épouse pour l’achat de l’appartement et sa reconnaissance de l’exactitude de l’origine des fonds renforce le caractère probatoire des mentions portées dans l’acte authentique ».
L’arrêt mérite examen tant au regard du mécanisme de la preuve du remploi en régime de communauté (I) que de l’étendue de la charge probatoire pesant sur les héritiers contestant les opérations liquidatives (II).
I. La consolidation du mécanisme probatoire du remploi immobilier
Le remploi constitue une technique permettant à un époux marié sous un régime communautaire de conserver le caractère propre d’un bien acquis pendant le mariage. La cour rappelle les conditions de sa validité (A) avant d’en tirer les conséquences sur la qualification du bien litigieux (B).
A. L’exigence d’une double déclaration formalisée dans l’acte authentique
L’article 1434 du code civil subordonne la validité du remploi à une double déclaration dans l’acte d’acquisition : l’époux acquéreur doit indiquer que les deniers employés sont propres ou proviennent de l’aliénation d’un propre, et manifester son intention que le bien acquis lui tienne lieu de remploi.
La cour relève que « Mme [S] [R] a procédé à la double déclaration d’origine propre des fonds et de remploi exigée par la loi pour créer une présomption simple de qualification de bien propre ». L’acte authentique du 27 avril 1987 contenait en effet ces deux mentions. Le reçu établi par le notaire le même jour attestait du versement de 428 000 francs par l’acquéreure.
La cour souligne également l’importance de l’intervention du conjoint à l’acte. Le défunt avait « déclaré prendre acte du remploi fait par son épouse et qu’il en reconnu l’exactitude ». Cette intervention, quoique non légalement obligatoire sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, renforce selon la cour « le caractère probatoire des mentions portées dans l’acte authentique ».
Cette solution s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante reconnaissant à l’acte notarié une force probante particulière. La Cour de cassation a toujours considéré que les déclarations d’origine des deniers et d’intention de remploi créent une présomption simple de propriété exclusive.
B. L’impossibilité de renverser la présomption par de simples allégations
Les appelants contestaient la réalité du remploi en arguant que l’épouse « n’a jamais justifié de l’origine des fonds dont elle déclaré avoir fait remploi ». Ils soulignaient qu’elle était sans emploi depuis 1985 et que son époux, à l’inverse, « connaissait une situation professionnelle et financière très confortable ».
La cour rejette cette argumentation en rappelant qu’il appartient à celui qui conteste la qualification de bien propre de rapporter la preuve de l’origine commune des fonds. Elle constate que les appelants « se content[ent] d’affirmer sans preuve que Mme [R] ne disposait pas de la somme nécessaire à l’achat de l’appartement ».
La mention dans le projet liquidatif d’une récompense de 23 227 euros correspondant aux fonds détenus par l’épouse à la date du mariage ne suffit pas à « renverser la présomption simple de la qualification de bien propre ». De même, la récompense de 6 860 euros due par l’épouse pour l’acompte versé par son conjoint confirme que « la contribution de la communauté était inférieure à celle de l’époux acquéreur conformément à l’article 1436 du code civil ».
Cette solution illustre la difficulté pour des héritiers de contester des opérations réalisées plusieurs décennies auparavant. L’acte notarié, corroboré par l’accord du conjoint, constitue une barrière probatoire difficilement surmontable.
II. L’encadrement rigoureux de la preuve des récompenses successorales
Les opérations de liquidation impliquent fréquemment des discussions sur les récompenses dues entre les différentes masses. La cour applique strictement les règles de la charge de la preuve (A) et examine les mécanismes spécifiques du remploi anticipé en matière d’assurance-vie (B).
A. L’insuffisance des reconstitutions patrimoniales a posteriori
Les appelants réclamaient une récompense de 700 596 euros au motif que leur père détenait d’importantes liquidités avant son remariage. Ils fondaient leur demande sur une reconstitution de ses revenus viticoles entre 1981 et 1985, période durant laquelle il exploitait six hectares de vignes en Champagne.
La cour écarte cette prétention en relevant qu’« aucune des parties ne produit aux débats les déclarations de revenus de ce dernier avant son remariage avec l’intimée ou encore des relevés de compte faisant état du montant de son épargne ». Elle qualifie les éléments versés aux débats de « parcellaires ».
La déclaration ISF de 2013 produite par les appelants ne peut suffire à établir l’existence d’une épargne propre antérieure au mariage. La cour observe que « la récompense réclamée par les consorts [CH] n’est fondée que sur une projection des revenus épargnés de leur père sur la base d’une déclaration ISF de 2013 sans tenir compte de l’évolution de ses revenus eu égard à son changement d’activité professionnelle en 1991 ».
Un rapport d’expertise de 1992 établissait un revenu avant impôts de 683 438 francs entre 1981 et 1985, soit 104 189,61 euros sur cinq ans « desquels doivent être déduits les impôts et les charges de la vie courantes ». Ce montant est très éloigné des 700 596 euros réclamés.
La cour refuse d’imputer à l’intimée l’impossibilité de produire « des documents appartenant à son époux antérieurs à son mariage avec lui ». Cette position équilibrée évite de faire peser sur le conjoint survivant une preuve négative impossible à rapporter.
B. Les conditions du remploi anticipé en matière d’assurance-vie
L’article 1435 du code civil permet le remploi par anticipation sous réserve que « les sommes attendues du patrimoine propre soient payées à la communauté dans les cinq ans de la date de l’acte ».
Un contrat d’assurance-vie de 762 500 euros avait été souscrit en 2002 au profit des enfants avec la mention « remploi des biens propres ». Les ventes de parts sociales devant alimenter ce remploi n’intervinrent qu’en 2005. Les appelants soutenaient que la communauté avait été remboursée dans le délai légal, ce qui aurait réduit la récompense due par la succession à 229 368 euros.
La cour constate qu’« ils ne rapportent pas la preuve de ce remboursement ». Elle relève que cette absence est « corroborée par le fait que dans son projet de partage, le notaire a prévu une récompense par la communauté à la succession à hauteur de 533 132 euros correspondant aux prix de vente des parts ».
En matière d’assurance-vie souscrite au profit de l’épouse, les appelants invoquaient le caractère manifestement exagéré des primes au sens de l’article L132-13 du code des assurances. Un contrat de 300 000 euros avait été souscrit en 2012, treize mois avant le décès du souscripteur alors âgé de 80 ans.
La cour rejette la demande de requalification en donation déguisée au motif que « le capital versé sur ce contrat correspond à un dixième de l’actif brut de la communauté et qu’il ne peut être considéré comme manifestement exagéré eu égard aux facultés de M. [E] [CH] ». Cette appréciation proportionnelle du caractère exagéré des primes s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
L’arrêt infirme toutefois le jugement sur la question des fermages dus à la première épouse du défunt. La cour relève qu’« aucune pièce ne permet d’établir la réalité de la créance », les appelants ne rapportant « ni la preuve du montant des fermages fixés contractuellement, ni même la preuve de ce que Mme [PD] aurait été créancière de fermages impayés ». Cette solution rappelle que l’acceptation d’un projet de partage dans un but transactionnel ne vaut pas reconnaissance des droits contestés.