Cour d’appel de Rennes, le 1 juillet 2025, n°22/06149

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 1er juillet 2025 illustre les contours du devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit et les limites de son obligation de conseil en cours d’exécution contractuelle.

En l’espèce, deux époux avaient souscrit le 22 mai 2006 un prêt immobilier d’un montant de 138 120 euros au taux de 3,72 %, remboursable en 300 mensualités, aux fins d’acquisition d’un bien immobilier. Le 23 décembre 2010, les emprunteurs ont vendu ledit bien pour la somme de 300 000 euros, dont le prix a été versé sur leur compte ouvert dans les livres de l’établissement prêteur. Ils n’ont toutefois pas procédé au remboursement anticipé du prêt et ont continué à régler les échéances pendant plusieurs années. À compter de décembre 2018, des impayés sont apparus. La banque a prononcé la déchéance du terme le 12 février 2019 puis assigné les emprunteurs en paiement le 12 juin 2020.

Le tribunal judiciaire de Vannes, par jugement du 13 septembre 2022, a condamné solidairement les époux au paiement de la somme de 95 452,12 euros outre intérêts au taux conventionnel et rejeté leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts fondée sur un prétendu manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Les emprunteurs ont interjeté appel. Ils soutenaient que la banque avait manqué à ses obligations en ne les éclairant pas, lors de la vente du bien, sur les risques liés au choix de ne pas rembourser le prêt par anticipation. La banque concluait au rejet de ces prétentions en invoquant notamment son devoir de non-immixtion.

La question posée à la cour était de déterminer si le banquier dispensateur de crédit est tenu d’un devoir de mise en garde ou de conseil à l’égard des emprunteurs lorsque ceux-ci perçoivent une somme importante sur leur compte et décident de ne pas l’affecter au remboursement anticipé du prêt.

La Cour d’appel de Rennes confirme le rejet de la demande indemnitaire. Elle retient que « la banque qui est tenue d’un devoir de non-immixtion, n’a pas à rechercher les motifs des opérations de ses clients et l’obligation de mise en garde ne porte pas sur l’opportunité et les risques de l’opération financière effectuée par ses clients ». Elle ajoute que « la banque n’est pas responsable lorsque les emprunteurs sont à l’origine de toutes les conséquences financières du prêt, ceux-ci ayant sciemment décidé de ne pas rembourser le prêt par anticipation lors de la vente de leur bien ».

L’arrêt mérite examen tant au regard de la délimitation du devoir de mise en garde du banquier à la seule phase de souscription du crédit (I) qu’au regard de l’articulation entre ce devoir et le principe de non-immixtion dans les affaires du client (II).

I. Le cantonnement du devoir de mise en garde à la phase de souscription du crédit

Le devoir de mise en garde constitue une obligation précontractuelle dont le champ d’application demeure strictement encadré (A), ce qui conduit à exclure toute extension à la phase d’exécution du contrat de prêt (B).

A. Le rappel des conditions d’existence du devoir de mise en garde

La cour rappelle les contours classiques du devoir de mise en garde en énonçant que « le banquier est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur non averti si le prêt n’est pas adapté à ses capacités financières de telle sorte qu’il est susceptible de générer un endettement excessif ». Cette formulation reprend fidèlement la jurisprudence établie par la Cour de cassation depuis les arrêts de chambre mixte du 29 juin 2007.

L’obligation de mise en garde suppose ainsi la réunion de deux conditions cumulatives. D’une part, l’emprunteur doit être non averti, c’est-à-dire dépourvu des compétences nécessaires pour apprécier les risques du crédit souscrit. D’autre part, le prêt doit présenter un risque d’endettement excessif au regard des capacités financières de l’intéressé. En l’espèce, la cour relève que « les époux ne démontrent ni même n’allèguent que la banque n’a pas vérifié leurs capacités financières et/ou le risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt proposé ».

La cour ajoute un élément factuel déterminant : les emprunteurs « ont été en mesure de régler les échéances dudit prêt pendant près de 12 ans, dont 8 années après la vente litigieuse ». Cette circonstance démontre a posteriori que le prêt était adapté à leurs capacités financières lors de sa souscription. Le manquement au devoir de mise en garde s’apprécie en effet au jour de la conclusion du contrat, et non au regard d’événements ultérieurs.

B. L’absence d’obligation de mise en garde en cours d’exécution contractuelle

Les emprunteurs tentaient d’obtenir une extension du devoir de mise en garde à la phase d’exécution du contrat. Ils soutenaient que la banque aurait dû, lors du versement du prix de vente sur leur compte, les éclairer sur « les risques des choix qui s’offraient à eux » et veiller à ce que « le remploi des fonds pour une utilisation étrangère aux causes prévues dans l’emprunt n’était pas susceptible de mettre en péril la capacité de remboursement ».

La cour rejette cette argumentation en rappelant que le premier juge avait considéré « que le devoir de conseil de la banque a été satisfait au moment de la souscription du crédit, qu’aucune obligation n’est prévue en cours d’exécution contractuelle ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui cantonne le devoir de mise en garde à la phase précontractuelle.

L’absence d’obligation de conseil en cours d’exécution se justifie par la nature même du contrat de prêt. Une fois le crédit octroyé, l’emprunteur dispose d’une liberté totale quant à l’utilisation des fonds dont il peut disposer. La banque n’a pas vocation à accompagner son client dans ses décisions patrimoniales ultérieures. Admettre le contraire reviendrait à transformer le banquier en conseiller en gestion de patrimoine, ce qui excède manifestement le périmètre de ses obligations contractuelles.

II. L’articulation entre devoir de mise en garde et principe de non-immixtion

Le rejet des prétentions des emprunteurs repose également sur le principe de non-immixtion qui interdit au banquier de s’ingérer dans les affaires de son client (A), principe dont l’application emporte des conséquences sur la répartition des responsabilités entre les parties au contrat de prêt (B).

A. Le fondement du principe de non-immixtion

La cour énonce clairement que « la banque qui est tenue d’un devoir de non-immixtion, n’a pas à rechercher les motifs des opérations de ses clients ». Ce principe, d’origine jurisprudentielle, constitue un corollaire de la liberté contractuelle et du respect de la vie privée du client bancaire.

Le devoir de non-immixtion interdit au banquier de s’ingérer dans les affaires de son client en l’interrogeant sur les motifs de ses opérations ou en lui imposant une utilisation déterminée de ses fonds. La banque ne saurait donc être tenue de vérifier si le versement d’une somme importante sur le compte d’un emprunteur devrait être affecté au remboursement d’un prêt en cours.

La cour relève d’ailleurs qu’il n’est « pas justifié que la banque ait été informée du seul fait qu’une somme de 300 000 euros a été versée sur leur compte ». Même à supposer que l’établissement ait eu connaissance de ce versement, rien ne l’obligeait à en rechercher l’origine ni à conseiller aux emprunteurs d’affecter cette somme au remboursement anticipé de leur prêt.

Le principe de non-immixtion se concilie ainsi avec le devoir de mise en garde sans le neutraliser. Le premier intervient en cours d’exécution du contrat et interdit toute ingérence. Le second s’applique lors de la souscription et impose une information sur les risques d’endettement excessif. Ces deux obligations répondent à des temporalités et des finalités distinctes.

B. L’imputation des conséquences financières aux seuls emprunteurs

La cour tire les conséquences du principe de non-immixtion en imputant aux emprunteurs l’entière responsabilité de leur situation. Elle énonce que « la banque n’est pas responsable lorsque les emprunteurs sont à l’origine de toutes les conséquences financières du prêt, ceux-ci ayant sciemment décidé de ne pas rembourser le prêt par anticipation lors de la vente de leur bien ».

Cette formulation met en exergue la dimension volontaire du comportement des emprunteurs. Ceux-ci disposaient de la faculté de remboursement anticipé, prévue au contrat et dont ils avaient connaissance. Ils étaient « parfaitement informés à la lecture du contrat de prêt qu’ils pouvaient par anticipation, rembourser totalement ou partiellement le prêt litigieux ». La cour relève même qu’ils ont exercé cette faculté pour un autre prêt, démontrant ainsi leur parfaite compréhension du mécanisme.

Le choix de ne pas rembourser le prêt litigieux relevait donc de leur seule décision patrimoniale. Ils ont préféré conserver la somme issue de la vente pour d’autres usages plutôt que de solder leur dette. Cette décision, prise en toute connaissance de cause, ne saurait engager la responsabilité de la banque qui n’avait ni à la suggérer ni à la déconseiller.

La solution retenue préserve l’équilibre des relations entre banquier et emprunteur. Elle rappelle que le devoir de mise en garde ne constitue pas une assurance contre les mauvaises décisions financières prises librement par un emprunteur dûment informé. La responsabilité du banquier ne saurait se substituer à la responsabilité personnelle du client dans la gestion de son patrimoine.

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Hassan KOHEN
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