Cour d’appel de Rennes, le 1 juillet 2025, n°23/01444

L’exigibilité anticipée d’un prêt à la consommation et l’étendue du devoir de mise en garde du banquier constituent deux questions récurrentes du contentieux bancaire. La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 1er juillet 2025, apporte des précisions utiles sur ces deux points en infirmant intégralement la décision de première instance.

Un établissement bancaire a consenti, le 15 janvier 2020, un prêt personnel de 10 000 euros à un particulier, remboursable en trente-six mensualités au taux nominal de 4,88 %. Des impayés étant survenus, la banque a adressé une mise en demeure le 1er avril 2021, puis transmis le dossier à une société de recouvrement qui a notifié au débiteur, le 22 avril suivant, une demande de paiement de l’intégralité du solde. Une ordonnance d’injonction de payer a été rendue le 15 octobre 2021. L’emprunteur y a formé opposition, contestant l’exigibilité de la créance faute de déchéance du terme régulièrement prononcée.

Le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, par jugement du 12 octobre 2022, a débouté l’établissement prêteur de l’ensemble de ses demandes, estimant que celui-ci n’avait pas justifié avoir prononcé la déchéance du terme conformément aux stipulations contractuelles. La banque a interjeté appel.

Devant la Cour d’appel de Rennes, l’établissement de crédit produisait la mise en demeure du 1er avril 2021 avec son accusé de réception, ainsi que le courrier de la société de recouvrement du 22 avril 2021 rappelant les références du prêt. L’emprunteur soutenait que ce second courrier ne constituait pas une notification valable de la déchéance du terme et sollicitait reconventionnellement des dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde, faisant valoir qu’il ne percevait que des prestations sociales lors de la souscription du contrat.

La question posée à la cour était double : d’une part, un courrier de mise en recouvrement émanant d’un mandataire et rappelant les références du contrat peut-il valoir notification de la résiliation emportant exigibilité anticipée ? D’autre part, le prêteur est-il tenu d’un devoir de mise en garde lorsque les charges d’emprunt représentent 34 % des revenus déclarés de l’emprunteur ?

La Cour d’appel de Rennes infirme le jugement entrepris. Elle retient que l’emprunteur « n’a pu méconnaître que le courrier du 22 avril 2021 constituait la notification préalable de la résiliation du contrat emportant l’exigibilité immédiate des sommes prêtées ». Elle écarte par ailleurs la demande indemnitaire, jugeant que « le prêt ainsi consenti apparaissait ainsi compatible avec les revenus et charges déclarés » et « ne l’exposait pas à un risque d’endettement excessif ».

L’arrêt mérite examen tant sur la caractérisation de la déchéance du terme par référence implicite aux éléments du dossier (I) que sur l’appréciation du devoir de mise en garde à l’aune du taux d’endettement (II).

I. La reconnaissance d’une déchéance du terme par faisceau d’indices

A. L’insuffisance du courrier de recouvrement pris isolément

Le premier juge avait retenu que la banque ne justifiait pas avoir prononcé la déchéance du terme conformément aux clauses contractuelles. Cette position s’inscrivait dans une jurisprudence protectrice exigeant une notification expresse et non équivoque de la résiliation anticipée du contrat de crédit.

L’article IV-9 du contrat, visé par la cour, prévoyait vraisemblablement une procédure en deux temps : mise en demeure préalable assortie d’un délai de régularisation, puis notification de la déchéance en cas de persistance du défaut. Le courrier du 22 avril 2021 émanait d’une société de recouvrement et non directement de l’établissement prêteur. Il se bornait à réclamer le paiement d’une somme globale sans mentionner expressément la résiliation du contrat.

L’emprunteur faisait valoir à juste titre que ce courrier « se limite à une mise en demeure de payer sans qu’il soit précisé l’objet, la cause ou le bénéficiaire de la créance invoquée ». Cette argumentation pouvait prospérer si l’on considère que la déchéance du terme, sanction grave privant l’emprunteur du bénéfice de l’échelonnement, suppose une information claire et dépourvue d’ambiguïté.

B. La prise en compte du contexte contractuel global

La cour adopte une approche pragmatique en combinant les deux courriers successifs. Elle relève que la mise en demeure du 1er avril 2021 contenait un « avertissement sur l’exigibilité encourue en l’absence de régularisation de l’arriéré ». Le courrier du 22 avril rappelait quant à lui « les références du prêt consenti par la BPGO soit le n° 4243 394 341 9001 », ces mêmes références figurant déjà sur le premier courrier.

La cour en déduit que l’emprunteur ne pouvait méconnaître la portée du second courrier. Ce raisonnement repose sur une présomption de connaissance fondée sur la cohérence documentaire : dès lors que le débiteur avait été averti des conséquences d’un défaut de régularisation et que le courrier ultérieur reprenait les références contractuelles, il devait nécessairement comprendre que la déchéance était prononcée.

Cette solution présente l’avantage du réalisme. Elle évite un formalisme excessif qui permettrait à un débiteur de mauvaise foi de se prévaloir de l’absence d’une formule sacramentelle alors que l’économie générale des échanges ne laissait aucun doute sur la volonté du créancier. Elle s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui, sans abandonner l’exigence d’une notification, en apprécie le caractère suffisant au regard de l’ensemble des circonstances.

II. Le rejet du manquement au devoir de mise en garde

A. La vérification effective de la situation financière de l’emprunteur

L’emprunteur soutenait que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde en lui accordant un crédit alors qu’il ne percevait que des prestations sociales. La cour relève cependant que le prêteur « a procédé à la vérification de la situation financière de l’emprunteur » en se fondant sur l’attestation de paiement de prestations produite aux débats.

Cette attestation établissait que l’intéressé percevait une allocation aux adultes handicapés de 900 euros outre une allocation logement de 250 euros. La fiche de dialogue mentionnait par ailleurs qu’il était logé gratuitement par ses parents et n’assumait aucune charge. Ces éléments permettaient au prêteur d’évaluer la capacité de remboursement du candidat à l’emprunt.

La cour applique ici la jurisprudence classique selon laquelle le banquier doit vérifier les informations communiquées par l’emprunteur mais n’est pas tenu d’une obligation d’investigation approfondie. Dès lors que les documents produits établissaient des revenus réguliers et l’absence de charges, le prêteur pouvait légitimement considérer que le crédit sollicité était adapté à la situation déclarée.

B. L’appréciation du risque d’endettement excessif

La cour procède à un calcul du taux d’effort en rapportant la mensualité de 306,86 euros aux seuls revenus constitués par l’allocation de 900 euros, soit un ratio de 34 %. Elle en conclut que « le prêt ainsi consenti apparaissait compatible avec les revenus et charges déclarés » et « ne l’exposait pas à un risque d’endettement excessif ».

Ce seuil de 34 % se situe légèrement au-dessus du taux d’endettement de 33 % traditionnellement retenu comme limite raisonnable par la pratique bancaire et les recommandations du Haut Conseil de stabilité financière. La cour semble toutefois considérer que ce léger dépassement ne suffit pas à caractériser un risque d’endettement excessif, particulièrement lorsque l’emprunteur ne supporte aucune charge de logement.

Cette appréciation in concreto du devoir de mise en garde apparaît conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse de fixer un seuil arithmétique absolu au-delà duquel le prêteur serait automatiquement fautif. Le juge doit apprécier globalement la situation de l’emprunteur en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents, dont la stabilité des revenus et l’absence de charges incompressibles.

La portée de cet arrêt réside dans la confirmation d’une approche équilibrée du contentieux du crédit à la consommation. La cour refuse tant le formalisme excessif qui paralyserait le recouvrement des créances bancaires que l’automaticité d’un devoir de mise en garde fondé sur la seule modicité des revenus. Elle invite à une appréciation contextuelle des obligations respectives des parties au contrat de prêt.

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Hassan KOHEN
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