Cour d’appel de Rennes, le 10 juillet 2025, n°22/04239

Par un arrêt rendu le 10 juillet 2025, la cour d’appel de Rennes a statué sur le litige opposant un joueur professionnel de volleyball au liquidateur judiciaire de son ancien club. Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle rappelle les conséquences de la méconnaissance des règles formelles encadrant le contrat de travail à durée déterminée des sportifs professionnels.

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un joueur de nationalité serbe a été engagé en qualité de joueur professionnel de volleyball par une association sportive rennaise pour la saison 2019/2020. Le contrat, prenant effet au 1er juillet 2019, n’a été signé que le 27 août 2019. À la suite de difficultés financières aggravées par la crise sanitaire, le club s’est vu refuser l’agrément lui permettant d’évoluer en ligue professionnelle. Le tribunal judiciaire de Rennes a prononcé la liquidation judiciaire de l’association le 30 juillet 2020.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes le 12 mars 2021 afin d’obtenir notamment la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Il fondait sa demande sur le défaut de transmission du contrat dans le délai de deux jours prévu par le code du sport. Par jugement du 16 juin 2022, le conseil de prud’hommes a rejeté cette demande tout en lui accordant certaines créances salariales.

Le joueur a interjeté appel de cette décision. Devant la cour, il soutenait que la remise tardive du contrat de travail constituait une violation des règles de forme prévues par l’article L222-2-5 II du code du sport, sanctionnée par la requalification prévue à l’article L222-2-8 du même code. Le liquidateur judiciaire et l’AGS faisaient valoir que seule la sanction prévue par l’article L1245-1 du code du travail devait s’appliquer, à savoir une indemnité limitée à un mois de salaire.

La question posée à la cour était donc de déterminer si le défaut de transmission du contrat de travail d’un sportif professionnel dans le délai légal entraîne la requalification automatique en contrat à durée indéterminée.

La cour d’appel de Rennes a infirmé le jugement entrepris et prononcé la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Elle a constaté que le contrat avait été signé le 27 août 2019 pour une prise d’effet au 1er juillet 2019, de sorte que le délai de deux jours ouvrables prévu par l’article L222-2-5 II du code du sport n’avait pas été respecté. La cour a jugé qu’en application de l’article L222-2-8 du code du sport, ce manquement devait être sanctionné par la requalification du contrat.

I. L’autonomie du régime de requalification applicable aux sportifs professionnels

A. La spécificité des règles de forme encadrant le contrat de travail à durée déterminée des sportifs

Le code du sport institue un régime dérogatoire au droit commun du travail pour les contrats à durée déterminée conclus avec les sportifs professionnels. L’article L222-2-1 de ce code écarte expressément l’application de nombreuses dispositions du code du travail relatives au contrat à durée déterminée, notamment l’article L1245-1 qui régit les conséquences de la méconnaissance des règles de forme.

La cour d’appel a relevé que l’article L222-2-5 II du code du sport impose une obligation précise : « Le contrat de travail à durée déterminée est transmis par l’employeur au sportif ou à l’entraîneur professionnel au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche. » Cette exigence formelle vise à protéger le sportif professionnel, dont la situation contractuelle présente des particularités tenant à la brièveté des saisons sportives et à la mobilité internationale fréquente des joueurs.

En l’espèce, la cour a constaté que « M. [O] s’est vu remettre son contrat de travail au-delà du délai de 2 jours ouvrables suivant l’embauche ». Le contrat, prenant effet au 1er juillet 2019, n’avait été signé que le 27 août 2019, soit près de deux mois après l’embauche. Ce manquement caractérisé appelait l’application de la sanction prévue par le code du sport.

B. La sanction automatique de la requalification en contrat à durée indéterminée

L’article L222-2-8 du code du sport prévoit une sanction radicale : « Est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des règles de fond et de forme prévues aux articles L. 222-2-1 à L. 222-2-5. » Cette disposition ne laisse aucune marge d’appréciation au juge. La requalification s’impose dès lors qu’une règle de forme a été méconnue.

La cour a écarté l’argumentation du liquidateur judiciaire qui invoquait l’application de l’article L1245-1 du code du travail. Ce texte, qui prévoit qu’une simple indemnité peut sanctionner le défaut de transmission du contrat, est expressément exclu par l’article L222-2-1 du code du sport. En jugeant qu’« en application de l’article L222-2-8 du code du sport le CDD de M. [O] doit être requalifié en contrat à durée indéterminée », la cour a fait une stricte application du texte spécial.

Cette solution s’inscrit dans une logique de protection renforcée des sportifs professionnels. Le législateur a entendu sanctionner sévèrement les employeurs qui ne respectent pas les formalités contractuelles. La double sanction prévue à l’article L222-2-8, civile par la requalification et pénale par une amende, traduit l’importance attachée au respect de ces règles.

II. Les incidences patrimoniales de la requalification prononcée

A. La détermination du salaire de référence et des indemnités dues

La requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée emporte des conséquences financières significatives. La cour a dû déterminer le salaire de référence servant de base au calcul des différentes indemnités. Elle a retenu un montant de 6 410,09 euros, intégrant l’ensemble des éléments de rémunération : salaire de base, avantages en nature et indemnité compensatrice de congés payés.

La cour a précisé que « les sommes qui ont pu lui être versées et étaient destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises nonobstant une requalification ultérieure ». Cette solution protectrice permet au salarié de cumuler les avantages liés au contrat à durée déterminée avec les indemnités résultant de la requalification.

Sur l’indemnité de requalification, la cour a fait application de l’article L1245-2 du code du travail qui prévoit une indemnité minimale d’un mois de salaire. Elle a écarté l’argumentation du liquidateur qui soutenait que seul le dernier salaire effectivement perçu devait être retenu. La moyenne mensuelle calculée sur l’ensemble des éléments de rémunération s’imposait conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation.

B. L’analyse de la rupture du contrat requalifié

La requalification étant prononcée après la fin du contrat à durée déterminée, la cour a jugé que « la rupture de la relation contractuelle fixée à l’échéance du dernier contrat s’analyse en un licenciement ». Cette qualification entraîne l’application du régime protecteur du licenciement, avec le versement d’une indemnité de licenciement et d’une indemnité compensatrice de préavis.

La cour a accordé une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 6 410,09 euros. Elle a toutefois limité cette indemnité au plancher prévu par l’article L1235-3 du code du travail pour un salarié ayant un an d’ancienneté. La situation personnelle du joueur, qui avait retrouvé un emploi dès la fin de son contrat auprès d’un club grec, a été prise en considération pour refuser l’indemnisation maximale sollicitée.

Sur la question des intérêts, la cour a rappelé que « le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux » en application de l’article L622-28 du code de commerce. Cette règle propre aux procédures collectives limite les conséquences financières pour la procédure de liquidation judiciaire tout en préservant les droits du salarié créancier.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture