Cour d’appel de Rennes, le 10 juillet 2025, n°24/03307

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 10 juillet 2025 illustre les difficultés d’articulation entre les contingents conventionnels d’heures supplémentaires et les dispositions légales successives. Un salarié, embauché en qualité de commis de quai puis devenu agent de quai confirmé polyvalent, contestait l’application par son employeur d’un contingent annuel de 220 heures supplémentaires au lieu du contingent conventionnel de 130 heures prévu pour le personnel sédentaire.

Les faits remontent à octobre 2017, lorsque plusieurs salariés et représentants du personnel alertèrent la direction sur l’absence de compensation correcte des heures supplémentaires accomplies. En juin 2018, l’employeur indiquait retenir un contingent de 220 heures, correspondant au contingent réglementaire supplétif. Le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Rennes le 18 octobre 2018, sollicitant notamment des dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des contreparties obligatoires en repos. Par jugement du 7 avril 2021, le conseil de prud’hommes fit droit à ses demandes. L’employeur interjeta appel le 12 mai 2021.

Devant la cour d’appel de Rennes, l’employeur soutenait que le contingent conventionnel de 130 heures fixé en 1982 n’avait pas vocation à déroger aux dispositions légales postérieures et qu’il était devenu caduc depuis la loi du 20 août 2008 supprimant l’autorisation de l’inspection du travail. Le salarié faisait valoir que seul le contingent conventionnel de branche devait s’appliquer conformément à l’article 2B de la loi du 17 janvier 2003.

La question posée à la cour était de savoir si le contingent conventionnel de 130 heures prévu par l’article 12 de la convention collective des transports routiers demeurait applicable au personnel sédentaire nonobstant les réformes législatives de 2003 et 2008.

La cour confirme que « les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent de 130 heures ouvrent droit, pour ‘les autres catégories de personnel’ du transport routier (…) à un repos compensateur obligatoire ». Elle condamne l’employeur à verser des dommages-intérêts pour perte de chance tout en rejetant la demande fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail.

La pérennité du contingent conventionnel face aux évolutions légales constitue l’enjeu central de cette décision. La portée de l’arrêt s’étend également à la caractérisation du préjudice résultant de la privation des contreparties obligatoires en repos.

I. La confirmation de l’applicabilité du contingent conventionnel de 130 heures

A. L’interprétation de l’article 12 de la convention collective à l’aune des réformes successives

L’article 12 des clauses communes de la convention collective nationale des transports routiers fixe depuis 1982 un contingent de 130 heures pour le personnel autre que roulant. L’employeur arguait que cette stipulation procédait d’un simple renvoi au contingent réglementaire alors applicable et n’avait jamais eu vocation à constituer un contingent dérogatoire.

La cour rejette cette analyse. Elle rappelle que l’article 2B de la loi du 17 janvier 2003 dispose expressément que « les contingents conventionnels d’heures supplémentaires négociés (…) antérieurement à la date de publication de la présente loi reçoivent plein effet en matière d’ouverture du droit à repos compensateur obligatoire ». Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs validé ce mécanisme dans sa décision du 13 janvier 2003 en relevant que « c’est le dépassement du plus bas de ces deux contingents qui déclenchera le repos compensateur obligatoire ».

L’arrêt souligne la dimension protectrice de ce dispositif. Les partenaires sociaux de la branche ont entendu fixer un seuil distinct selon les catégories de personnel. La cour relève que l’article D3121-24 du code du travail figure dans un paragraphe intitulé « Dispositions supplétives » et ne trouve donc à s’appliquer qu’« à défaut d’accord ». Or précisément, l’accord de branche a prévu un contingent spécifique.

B. Le rejet de la thèse de la caducité des dispositions conventionnelles

L’employeur invoquait subsidiairement la caducité de l’article 12 de la convention collective. Selon lui, la suppression par la loi du 20 août 2008 de l’autorisation de l’inspection du travail aurait fait perdre tout objet aux dispositions conventionnelles qui s’y référaient.

La cour écarte cet argument par une motivation concise mais ferme. Elle observe que « cette évolution législative est sans effet sur l’applicabilité du contingent annuel de 130 heures telle que définie par les partenaires sociaux ». Le mécanisme de l’article 2B de la loi de 2003 avait précisément pour fonction de pérenniser les contingents conventionnels antérieurs en leur conférant un effet autonome pour le déclenchement du repos compensateur.

L’arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence récente de la Cour de cassation. La chambre sociale avait tranché cette question par un arrêt du 15 janvier 2025, que la cour d’appel de Rennes mentionne expressément. Cette décision confirme que l’absence de renégociation conventionnelle postérieure à 2008 ne saurait priver d’effet les stipulations antérieures valablement conclues.

II. Les conséquences indemnitaires de la méconnaissance du contingent conventionnel

A. La reconnaissance d’une perte de chance indemnisable

Le salarié sollicitait des dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des contreparties obligatoires en repos. L’employeur objectait que le salarié pouvait encore prendre effectivement ces repos par alimentation de son compteur.

La cour retient la qualification de perte de chance. Elle rappelle que « la contrepartie obligatoire en repos est prise dans un délai maximum de deux mois suivant l’ouverture du droit » et qu’il appartient à l’employeur de demander au salarié de prendre ses repos dans un délai d’un an. En l’espèce, « les repos revendiqués n’ont pas été pris et il n’est pas justifié de ce qu’une demande de prise de repos ait été adressée au salarié dans le délai légal ».

La cour évalue souverainement le préjudice à 2 300 euros pour la période 2015-2018 et 960 euros pour la période 2019-2023. Elle précise que la perte de chance « ne pouvant être égale à l’avantage qui serait résulté de la réalisation de la chance perdue » est distincte de l’indemnisation pour repos acquis et non pris. Cette qualification emporte des conséquences pratiques significatives puisqu’elle exclut notamment les congés payés afférents.

B. L’exclusion de la déloyauté contractuelle malgré l’erreur d’interprétation

Le salarié réclamait également des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. La cour infirme sur ce point le jugement de première instance.

Elle relève qu’« il existait avant que le présent contentieux ne soit initié, une difficulté juridique dont la résolution n’était pas nécessairement guidée par l’évidence ». La question de savoir si le contingent fixé en 1982 constituait un contingent conventionnel dérogatoire au sens de l’article L212-6 du code du travail pouvait légitimement faire débat. La cour souligne que « la Cour de cassation ne s’est prononcée que récemment, par un arrêt du 15 janvier 2025 ».

Cette solution traduit une approche mesurée de la bonne foi contractuelle. L’erreur d’interprétation d’une norme conventionnelle, fût-elle finalement jugée infondée, ne caractérise pas nécessairement un manquement à l’obligation de loyauté. Le contentieux de masse généré par cette question dans le secteur du transport routier témoigne de sa complexité réelle. La cour refuse d’assimiler désaccord juridique et déloyauté, préservant ainsi un espace de discussion légitime entre employeurs et salariés sur l’interprétation des normes conventionnelles.

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Hassan KOHEN
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