- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Rendue par la Cour d’appel de Rennes le 10 juillet 2025, la décision tranche un litige récurrent du transport routier relatif au contingent d’heures supplémentaires et aux contreparties obligatoires en repos. L’affaire oppose un salarié sédentaire devenu roulant en 2017 et son employeur, sur fond de filialisation interne, de pratiques d’entreprise antérieures et de contestation du contingent applicable.
Les faits sont simples et utiles. Le salarié, agent de quai pendant la période litigieuse, soutenait que le contingent conventionnel de 130 heures devait déclencher des repos au-delà, ce que l’employeur refusait en se référant à 220 heures. La procédure révèle un jugement du 7 avril 2021 favorable au salarié, puis un appel discutant l’articulation entre le texte conventionnel de 1982, les réformes de 2003 et 2008, ainsi que la qualification et l’étendue du préjudice allégué.
La question de droit portait sur la survie et l’effet du contingent conventionnel de 130 heures pour les personnels sédentaires après les réformes ultérieures, ainsi que sur le régime de réparation de la perte de chance liée aux repos non pris. La cour confirme l’applicabilité du contingent de branche et accueille l’indemnisation pour une période circonscrite, tout en rejetant la demande fondée sur l’exécution déloyale.
I) La prévalence du contingent conventionnel et son effet déclencheur
A) Le cadre normatif et l’office du juge
La décision s’inscrit dans le sillage constitutionnel rappelant la hiérarchie des seuils. Le Conseil constitutionnel a jugé que « la disposition contestée ne donne une portée nouvelle qu’aux conventions et accords collectifs étendus qui ont prévu un contingent conventionnel d’heures supplémentaires inférieur au contingent fixé par le décret du 15 octobre 2002 susvisé; que, si le contingent est supérieur au contingent réglementaire, c’est ce dernier qui s’appliquera ; que c’est donc le dépassement du plus bas de ces deux contingents qui déclenchera le repos compensateur obligatoire ». En adoptant ce repère, la cour contrôle l’articulation entre la convention collective des transports routiers et les textes supplétifs, en privilégiant le seuil le plus bas, donc le plus protecteur.
La cour formalise ensuite la continuité normative du dispositif. Elle énonce que « ainsi, en vertu de l’article 2 B de la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, le contingent d’heures supplémentaires ouvrant droit à repos compensateurs continue à être fixé par l’article 12 b) de la convention collective nationale des transports routiers et activités annexes du transport du 21 décembre 1950 et en l’absence de nouvelles dispositions conventionnelles, le contingent reste applicable après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ». L’économie de la solution est claire: la réforme du régime de l’autorisation administrative n’a pas anéanti l’effet déclencheur conventionnel des repos.
B) Le rejet de la caducité et la neutralisation du supplétif
La thèse de la caducité, appuyée sur la disparition de l’ancienne procédure d’autorisation, est écartée comme inopérante. La cour constate que « en l’espèce, l’accord de branche des transports routiers a précisément prévu un contingent de 195 heures pour le personnel roulant “voyageurs”, “marchandises” et “déménagement” et de 130 heures pour les autres catégories de personnel, de sorte que les dispositions réglementaires supplétives n’ont pas lieu de s’appliquer à la situation du salarié ». L’analyse reconnaît l’autonomie du niveau de branche, la permanence de l’effet déclencheur et la nature supplétive du décret en l’absence d’accord.
La portée pratique est significative. La solution sécurise les pratiques de paie liées aux contreparties au-delà de 130 heures pour les personnels sédentaires, en phase avec la jurisprudence sociale récente (v. Cour de cassation, 15 janvier 2025, n° 23-10.060). Elle rappelle que l’employeur ne peut substituer unilatéralement le seuil supplétif plus élevé lorsqu’un texte de branche demeure opérant.
II) La réparation de la perte de chance et l’exigence de loyauté
A) La caractérisation et la mesure de la perte de chance
La cour rappelle les canons jurisprudentiels. Elle énonce que « la perte de chance correspond à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Elle ajoute que « la perte de chance ne pouvant être égale à l’avantage qui serait résulté de la réalisation de la chance perdue, elle est à la fois distincte du préjudice final et évaluée en fonction d’une fraction de celui-ci ». Ces principes conduisent à apprécier la réalité des heures dépassant le contingent et l’absence de prise de repos effectif.
Le juge retient l’existence d’heures supplémentaires au-delà de 130 heures fondées sur les bulletins, et constate l’absence d’effectivité des contreparties, malgré un compteur établi sur un seuil erroné. La réparation est donc allouée à hauteur de 1 000 euros, limitée aux années 2015, 2016 et jusqu’au 30 septembre 2017, date de passage dans la catégorie des roulants. La solution concilie exactitude du droit applicable et proportionnalité de l’évaluation.
B) L’absence de faute dans l’exécution contractuelle
L’argument tenant à une exécution déloyale se heurte au contexte juridique incertain, alimenté par de nombreux contentieux et stabilisé tardivement. La cour relève, au regard du désaccord sur le contingent post-réformes, que « dès lors, il ne peut être utilement soutenu que l’employeur ait exécuté de façon déloyale le contrat de travail au seul motif de son désaccord sur le contingent annuel d’heures supplémentaires devant être appliqué, fût-il erroné ». L’erreur n’équivaut pas à la mauvaise foi lorsque la norme est discutée de bonne foi.
La formulation finale est nette et logique. Le juge conclut que « le manquement fautif de l’employeur n’étant pas établi, il n’est pas justifié d’un préjudice subi du fait d’une exécution déloyale du contrat de travail ». La conséquence se déduit: rejet de cette demande, conservation du seul chef indemnitaire lié à la perte de chance, et application usuelle des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile.
L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes, 10 juillet 2025, conforte ainsi la prééminence du contingent conventionnel de 130 heures pour les sédentaires et précise la logique réparatoire attachée aux contreparties en repos, sans ériger en faute une controverse normative raisonnable.