Cour d’appel de Rennes, le 10 juillet 2025, n°24/05872

La Cour d’appel de Rennes, 10 juillet 2025, 7e chambre prud’homale, tranche un contentieux relatif au contingent annuel d’heures supplémentaires applicable aux salariés sédentaires du transport routier et aux contreparties obligatoires en repos. Le salarié, agent de quai, soutenait que l’employeur appliquait à tort le contingent réglementaire de 220 heures, en méconnaissance du contingent conventionnel de 130 heures. Le syndicat intervenait pour défendre l’intérêt collectif de la profession. Le conseil de prud’hommes avait retenu le contingent de 130 heures, alloué des dommages-intérêts au salarié pour perte de chance, et indemnisé le syndicat. L’employeur a interjeté appel en invoquant la caducité du texte conventionnel et la prévalence des dispositions supplétives. La question de droit tient à la survie normative du contingent conventionnel antérieur aux réformes de 2003 et 2008 et à ses effets sur le droit au repos compensateur, avec un débat connexe sur la qualification du préjudice indemnisable. La Cour confirme le principe du contingent de 130 heures pour les sédentaires, écarte la caducité, indemnise la perte de chance à due proportion, rejette la demande d’indemnisation pour exécution déloyale, et retient une atteinte mesurée à l’intérêt collectif.

I) Le maintien du contingent conventionnel et ses effets

A) Le fondement juridique du contingent de 130 heures
La Cour rattache explicitement la solution au mécanisme de survie des contingents conventionnels instauré en 2003, conjugué au caractère supplétif du contingent réglementaire. Elle cite que « Ainsi, en vertu de l’article 2 B de la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, le contingent d’heures supplémentaires ouvrant droit à repos compensateurs continue à être fixé par l’article 12 b) de la convention collective nationale des transports routiers et activités annexes du transport du 21 décembre 1950 et en l’absence de nouvelles dispositions conventionnelles, le contingent reste applicable après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ». La logique est claire et cohérente avec l’armature du Code du travail, qui réserve aux accords la primauté sur le décret supplétif, dès lors que la branche a fixé un seuil.

La solution ferme la discussion née de la disparition de l’autorisation administrative et de l’évolution des textes en 2008. La Cour en déduit sans détour que le contingent de 130 heures ouvre droit à repos compensateur au-delà, pour les personnels sédentaires, et que les dispositions réglementaires ne se substituent pas à l’accord de branche. La décision se place dans le sillage d’une jurisprudence désormais confirmée, à laquelle se rattache l’arrêt de la chambre sociale du 15 janvier 2025 (n° 23-10.060), ce qui renforce l’intelligibilité de la règle au niveau sectoriel.

B) L’ouverture des contreparties en repos et l’indemnisation par perte de chance
La Cour examine ensuite la prise effective des repos et rappelle les exigences temporelles. Elle constate en effet que « En l’espèce, les repos revendiqués n’ont pas été pris et il n’est pas justifié de ce qu’une demande de prise de repos ait été adressée au salarié dans le délai légal d’un an ». L’office du juge consiste alors à déterminer si l’impossibilité d’user des repos, imputable à l’employeur qui a appliqué un contingent erroné, fonde une perte de chance indemnisable et non une simple alimentation de compteur.

La Cour définit le standard probatoire avec précision et sobriété, en retenant que « La perte de chance correspond à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Elle ajoute à juste titre que « La perte de chance ne pouvant être égale à l’avantage qui serait résulté de la réalisation de la chance perdue, elle est à la fois distincte du préjudice final et évaluée en fonction d’une fraction de celui-ci ». La méthode retenue, ancrée dans les bulletins de paie et le suivi des heures, conduit à une évaluation chiffrée et circonscrite, en cohérence avec l’exigence de certitude du dommage.

II) La valeur et la portée de la solution

A) L’absence de faute d’exécution et la sécurité juridique
Le grief d’exécution déloyale appelait un examen des incertitudes juridiques antérieures, compte tenu du contexte normatif et des litiges nombreux. La Cour rappelle la réalité d’un débat technique sur la portée exacte du contingent conventionnel après 2003 et 2008, puis tranche sans excès. Elle affirme que « Dès lors, il ne peut être utilement soutenu que l’employeur ait exécuté de façon déloyale le contrat de travail au seul motif de son désaccord sur le contingent annuel d’heures supplémentaires devant être appliqué, fût-il erroné ». La motivation prend soin de distinguer l’erreur de droit, rectifiée par la décision, d’un manquement caractérisé à la loyauté contractuelle.

Cette appréciation répond aux impératifs de sécurité juridique et évite de sur-sanctionner un acteur face à une question qui a effectivement suscité des incertitudes. La solution protège la normativité de l’accord de branche, tout en réservant la responsabilité à la seule réparation du dommage lié au repos non effectivement accessible. La cohérence systémique de l’arrêt s’en trouve renforcée, avec un équilibre convenable entre sanction et pédagogie.

B) La protection de l’intérêt collectif et les suites pratiques
La Cour qualifie l’atteinte à l’intérêt collectif, dès lors que l’application erronée du contingent conventionnel produit des effets au-delà du seul cas individuel. Elle retient l’existence d’un préjudice collectif réparable, et module son montant afin de marquer la règle sans alourdir excessivement la sanction. La réparation ainsi accordée s’inscrit dans le cadre classique de l’action syndicale en défense des intérêts collectifs, et clarifie l’obligation de se conformer aux contingents conventionnels.

S’agissant de l’évaluation du dommage individuel, la Cour indique que « La cour dispose des éléments qui lui permettent d’évaluer le préjudice subi du fait de cette perte de chance, pour la période allant de 2018 à 2022, à hauteur de 2.400 euros, par voie d’infirmation du jugement entrepris ». La modulation opérée pour 2023 illustre une appréciation concrète et proportionnée, ancrée dans les pièces, respectueuse de la nature probabiliste de la perte de chance. L’arrêt rappelle enfin que les dispositions supplétives ne se substituent pas à la norme de branche, ce qui éclaire utilement la pratique et améliore la prévisibilité des solutions dans le secteur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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