Cour d’appel de Rennes, le 11 septembre 2025, n°22/06999

La Cour d’appel de Rennes, 11 septembre 2025 (7e chambre prud’homale, n° RG 22/06999), statue sur la contestation d’un licenciement disciplinaire et l’imputation d’un harcèlement moral, avec demandes indemnitaires corrélatives. En cause, l’évaluation très favorable de fin 2018, des reproches apparus au printemps 2019, plusieurs convocations disciplinaires rapprochées, puis une rupture pour faute grave fondée sur des absences, retards et prétendues fausses déclarations d’heures.

Les faits tiennent à une relation de travail devenue conflictuelle au cours de l’année 2019, après un « point RH » suivi d’un écrit listant des griefs, d’arrêts de travail et de l’ouverture de deux procédures disciplinaires successives, avant la notification d’une rupture pour faute grave. La lettre de licenciement se référait au règlement intérieur, notamment aux stipulations 8.1 et 8.2, rappelant que « tout retard doit être signalé et justifié » et qu’« aucun salarié ne peut s’absenter de son poste […] sans motif valable et après en avoir informé le responsable hiérarchique ».

Par jugement du 6 octobre 2022, le conseil de prud’hommes de Rennes a retenu l’absence de cause réelle et sérieuse et a alloué diverses sommes, dont des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. L’appelante sollicitait, devant la Cour d’appel de Rennes, la nullité du licenciement pour harcèlement moral, subsidiairement sa sans‑cause, ainsi que des réparations complémentaires. L’intimée concluait à la validation de la faute grave, au rejet de toute discrimination ou harcèlement, et à la limitation éventuelle de l’indemnisation.

La question posée tenait à la caractérisation du harcèlement moral au regard d’éléments convergents et à ses effets sur la validité de la rupture, l’office probatoire du juge, et l’articulation entre nullité, réparation autonome pour harcèlement, et manquement de l’employeur à son obligation de prévention. La cour rappelle que « Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement », puis retient la nullité du licenciement, une indemnité au plan de l’article L. 1235‑3‑1, ainsi que des dommages-intérêts distincts pour harcèlement et pour manquement à l’obligation de sécurité, avec remboursement à l’organisme d’assurance chômage.

I. La caractérisation du harcèlement moral et le régime probatoire

A. Le cadre normatif rappelé par la juridiction

La juridiction d’appel réaffirme le mécanisme probatoire aménagé. Il est énoncé que « il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié […] et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral ». La cour ajoute utilement que « Le salarié n’a pas à rapporter la preuve de l’existence d’un lien entre la dégradation de son état de santé et les agissements du harceleur ».

Est également fixée la limite du pouvoir de direction, la décision relevant que « Des mesures vexatoires imputables à l’employeur et constituant un harcèlement moral ne peuvent être justifiées par l’exercice du pouvoir de direction ». Cette grille, désormais classique, commande un examen global des indices et une vérification des justifications objectives invoquées par l’employeur.

B. L’application contextualisée aux éléments du dossier

L’arrêt retient un faisceau précis: revirement brutal après une évaluation élogieuse, multiplication de démarches disciplinaires en quelques mois, ambivalence managériale, et altération de l’état de santé objectivée par un suivi psychologique et un traitement antidépresseur. La cour relève surtout qu’« il n’est pas justifié de ce qu’une quelconque démarche d’enquête ait alors été entreprise », malgré une alerte du médecin du travail et des signaux médicaux concordants.

La motivation souligne encore que la tonalité des entretiens et la répétition des reproches convergent, « révélant une volonté de déstabilisation ». Dès lors, au regard du cadre légal rappelé, les éléments produits, « pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral », tandis que l’employeur échoue à établir des motifs objectifs étrangers à tout harcèlement. La qualification entraîne, par voie de conséquence, des effets spécifiques sur la validité de la rupture et l’étendue de la réparation.

II. Les conséquences: nullité de la rupture et obligation de prévention

A. La nullité du licenciement et l’office du juge

Ayant établi le lien entre les agissements et la rupture, la cour juge la nullité. Elle explicite le critère causal, retenant qu’« il existe un lien de cause à effet entre le harcèlement et la rupture du contrat de travail ». Sur le plan indemnitaire, l’arrêt rappelle la règle spéciale: « le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ». L’article L. 1235‑3‑1 s’applique ainsi, sans barème, en cas de nullité pour harcèlement.

La solution se combine avec le rejet d’une discrimination liée à l’état de santé, faute d’éléments laissant supposer une inégalité prohibée. Elle s’accompagne enfin du remboursement des allocations de chômage dans la limite de six mois, conséquence légale d’un licenciement nul et du succès de la contestation.

B. L’obligation de sécurité et la réparation autonome

La cour consacre l’autonomie du préjudice de prévention, énonçant que « Le préjudice résultant de l’absence de prévention par l’employeur des faits de harcèlement et les conséquences du harcèlement effectivement subi peuvent donner lieu à des réparations distinctes ». Elle précise l’office juridictionnel: « Il appartient au juge […] d’évaluer le comportement de l’employeur », et d’apprécier la pertinence des mesures prises au regard du risque connu.

L’arrêt rappelle ensuite la possibilité d’exonération, « L’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité […] s’il démontre » avoir déployé les mesures prévues aux articles L. 4121‑1 et L. 4121‑2, et fait immédiatement cesser les faits. La cour souligne toutefois que « L’existence ou non d’une enquête […] n’est cependant pas obligatoire », tout en relevant, au cas d’espèce, l’absence de toute investigation ou mesure probante. Elle en déduit un manquement caractérisé, en phase avec l’affirmation selon laquelle « le fait pour un employeur de ne pas prendre de mesures suffisantes pour éviter une situation de souffrance au travail constitue un manquement ». Cette carence justifie l’allocation d’une indemnité propre au titre de la prévention, cumulable avec la réparation pour harcèlement et celle liée à la nullité.

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Hassan KOHEN
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