Cour d’appel de Rennes, le 17 juin 2025, n°25/01256

Cour d’appel de Rennes, 17 juin 2025. Un contrat exclusif d’agence conclu en 2004 liait un fabricant espagnol à un agent commercial français intervenant sur plusieurs territoires ultramarins. En 2023, le mandant a rompu pour faute grave sans préavis. L’agent a saisi le tribunal de commerce de Saint-Nazaire pour obtenir des commissions et des indemnités. Le premier juge s’est déclaré incompétent, a renvoyé aux juridictions de Valence et a, à tort, statué au fond par des débouts. L’agent et son dirigeant ont interjeté appel, soutenant la nullité de la clause attributive au regard de la loi espagnole de 1992 sur l’agence. Le mandant arguait de la prééminence du Règlement Bruxelles I bis et de l’autonomie de la volonté.

La question posée était celle de la validité, au regard de l’article 25 du Règlement n°1215/2012, d’une clause désignant un tribunal espagnol dans un contrat d’agence, face à une règle espagnole attribuant la compétence au for du domicile de l’agent. La cour retient la validité de la clause, confirme l’incompétence des juridictions françaises, infirme la désignation du renvoi et les débouts au fond, et statue sur les dépens et frais irrépétibles. Elle rappelle que « En cas de litige, les parties font attribution de juridiction au tribunal de commerce de Valencia (Espagne) » et que la « nullité quant au fond » visée par l’article 25 n’est « pas limitée à celle qui résulterait d’un vice du consentement, d’une fraude ou d’un défaut de capacité ».

I. Sens et fondement de la solution

A. L’autonomie de juridiction consacrée par Bruxelles I bis

La cour ancre son raisonnement dans l’économie du Règlement. Elle cite le préambule selon lequel « Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité » et s’articuler autour du domicile du défendeur, sous réserve des cas où « l’autonomie des parties justifie un autre critère ». Elle mobilise ensuite l’article 25, dont il résulte que « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction […] ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ». Le paragraphe 20 précise encore que « cette question devrait être tranchée conformément au droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées ». La clause litigieuse respecte ces exigences formelles et matérielles, l’acceptation n’étant pas discutée. La cour ajoute, avec netteté, que la « nullité quant au fond » n’est pas cantonnée aux vices du consentement, mais renvoie au contrôle substantiel selon le droit du for élu.

B. La portée strictement interne de la règle espagnole invoquée

Le débat se cristallisait sur la deuxième disposition additionnelle de la loi espagnole de 1992, qui réserve la compétence au domicile de l’agent. La cour rappelle que « Comme en droit français, le Règlement Bruxelles I bis est d’application préférentielle au droit interne espagnol » s’agissant de litiges intra‑Union. Elle en déduit que la règle espagnole, protectrice, « n’est pas […] une transposition du droit européen mais un choix du législateur espagnol ». Elle s’appuie sur la jurisprudence espagnole, citant que « la disposition additionnelle seconde […] attribue la compétence territoriale en droit interne, sans prétendre distribuer la juridiction internationale ». Elle relève, dans la même ligne, qu’une cour provinciale a jugé qu’admettre l’inverse « nous conduirait à une désharmonisation claire ». La pièce adverse d’un tribunal suprême espagnol est jugée inopérante, faute d’élément d’extranéité. Il en résulte, selon la cour, qu’« il n’y a pas lieu de rechercher la loi applicable au contrat » pour résoudre la question de compétence, l’article 25 suffisant.

La solution se tient ainsi dans une articulation claire entre autonomie procédurale, contrôle de validité au fond par la loi du for élu, et neutralisation des règles internes incompatibles avec l’uniformité recherchée.

II. Valeur et portée de la décision

A. Une conception exigeante mais cohérente de la nullité au fond

La cour adopte une conception réaliste de la nullité au fond, qui « n’est pas limitée » aux seuls vices du consentement. Cette précision écarte une interprétation réductrice et oriente le contrôle vers la contrariété à des normes substantielles impératives du for élu. Elle valorise la sécurité juridique des clauses d’élection de for, en rappelant que « La convention attributive de juridiction […] est considérée comme un accord distinct ». La cohérence avec l’objectif de prévisibilité rassure les opérateurs économiques, tout en laissant ouverte l’hypothèse d’une nullité fondée sur une règle de police du for élu. L’office du juge saisi se borne alors à vérifier l’existence d’une telle contrariété, ce que l’examen du droit espagnol ne permettait pas d’établir en présence d’un élément d’extranéité.

B. Conséquences pratiques et procédurales pour l’agence intracommunautaire

La décision trace une ligne claire pour les contrats d’agence impliquant un élément d’extranéité. La règle espagnole de compétence au domicile de l’agent reste cantonnée aux litiges internes. Les clauses désignant un tribunal espagnol demeurent efficaces, sauf contrariété démontrée à une règle impérative du droit espagnol gouvernant la validité au fond. La cour confirme l’incompétence, tout en rappelant la discipline procédurale : « Il n’y a pas lieu […] à désigner la juridiction de renvoi ». Elle souligne également que le premier juge, s’étant déclaré incompétent, « ne pouvait statuer au fond ». Cette remise en ordre préserve la logique du dessaisissement et évite des décisions inutiles sur le fond. À court terme, la portée est double : les opérateurs devront soigner la rédaction des clauses d’élection de for et anticiper le contrôle de validité au regard du droit du for élu ; les juridictions nationales, quant à elles, privilégieront l’unité d’interprétation de l’article 25, sans étendre des règles internes protectrices au‑delà de leur champ. Cette orientation renforce la prévisibilité contentieuse, tout en invitant le législateur interne, le cas échéant, à préciser expressément les éventuelles règles d’ordre public international applicables.

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Hassan KOHEN
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