Cour d’appel de Rennes, le 18 juin 2025, n°22/04942

La détermination du taux d’incapacité permanente partielle consécutif à un accident du travail demeure une source récurrente de contentieux entre les employeurs et les caisses de sécurité sociale. La cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 18 juin 2025, apporte un éclairage sur les modalités d’appréciation de ce taux, en particulier lorsque l’accident a engendré une algodystrophie.

Une salariée, employée de rayon au sein d’une société exploitant un supermarché, a été victime d’un accident du travail le 3 décembre 2016, consistant en un traumatisme du pied droit par écrasement. La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge cet accident et, après consolidation fixée au 20 janvier 2020, a notifié à l’employeur un taux d’incapacité permanente partielle de 10 %. Contestant ce taux, l’employeur a saisi la commission médicale de recours amiable, laquelle a rejeté sa demande le 1er septembre 2020. L’employeur a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes.

Par jugement du 9 mai 2022, le tribunal a ordonné une expertise médicale sur pièces, puis homologué les conclusions de l’expert judiciaire et ramené le taux d’incapacité à 5 % dans les rapports entre la caisse et l’employeur. La caisse a interjeté appel de cette décision.

La question posée à la cour consistait à déterminer si le taux d’incapacité permanente partielle de 10 % fixé par la caisse devait être maintenu ou réduit à 5 % comme l’avait jugé le tribunal.

La cour d’appel de Rennes infirme le jugement entrepris et fixe à 10 % le taux d’incapacité permanente partielle opposable à l’employeur. Elle retient que les observations du médecin consultant, qui n’a pas examiné cliniquement la salariée, ne peuvent utilement contredire l’avis du médecin conseil ayant pratiqué un examen physique complet. Elle reproche au tribunal de s’être limité à constater que les conclusions de l’expert étaient claires sans expliquer la réduction du taux au regard des séquelles constatées et du barème applicable.

Cet arrêt invite à examiner successivement la méthodologie d’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle (I), puis les exigences probatoires pesant sur les parties au contentieux (II).

I. La méthodologie d’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle

L’appréciation du taux d’incapacité permanente partielle repose sur l’application d’un barème indicatif (A) et suppose une prise en compte globale des séquelles indépendamment de la lésion initiale (B).

A. Le recours au barème indicatif d’invalidité

La cour rappelle le fondement textuel de l’évaluation du taux d’incapacité. L’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale dispose que « le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes générales et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ». Cette disposition confère au juge un pouvoir d’appréciation souveraine, tout en l’encadrant par des critères légaux précis.

Le barème annexé au code de la sécurité sociale constitue un outil essentiel de cette évaluation. La cour en reproduit les dispositions relatives aux algodystrophies du membre inférieur, lesquelles prévoient un taux de « 10 à 30 % selon l’intensité des douleurs, des troubles trophiques, et de la gêne à la marche ». Cette fourchette offre une marge d’appréciation au médecin évaluateur, mais impose également une motivation circonstanciée lorsque le taux retenu s’écarte des constations cliniques.

La cour souligne que les algodystrophies demeurent une « pathologie mal élucidée » et peuvent se manifester par des symptômes variés. Cette incertitude scientifique renforce la nécessité d’une application prudente du barème, attentive aux manifestations concrètes observées chez la victime.

B. L’autonomie des séquelles par rapport à la lésion initiale

La cour énonce un principe fondamental : « les séquelles d’un accident du travail ne sont pas toujours en rapport avec l’importance de la lésion initiale : des lésions, minimes au départ, peuvent laisser des séquelles considérables ». Cette affirmation revêt une importance particulière dans le contentieux de l’incapacité permanente.

En l’espèce, le certificat médical initial faisait état d’un simple traumatisme du pied par écrasement. Les radiographies et le scanner n’ont révélé aucune fracture ni lésion osseuse. L’employeur en déduisait que le taux de 10 % était excessif au regard du caractère bénin de l’atteinte originelle. La cour rejette cette argumentation en qualifiant d’« inopérantes » les observations des médecins évoquant un traumatisme léger. Elle affirme que « la lésion initiale objectivée ne saurait préjuger de la gravité des séquelles ».

Cette position s’inscrit dans une conception fonctionnelle de l’incapacité. Le taux ne sanctionne pas la gravité de l’accident mais l’importance des séquelles au jour de la consolidation. Une scintigraphie réalisée trois mois après l’accident a révélé une algodystrophie froide de la cheville et du tarse droits. Cette complication, sans rapport direct avec la bénignité apparente du traumatisme initial, justifiait pleinement l’application du chapitre 4.2.6 du barème.

II. Les exigences probatoires dans le contentieux du taux d’incapacité

L’arrêt illustre la primauté de l’examen clinique sur l’expertise documentaire (A) et rappelle l’office du juge dans l’appréciation des éléments médicaux (B).

A. La supériorité probatoire de l’examen clinique

La cour établit une hiérarchie claire entre les différents modes d’évaluation médicale. Elle relève que le médecin conseil a « réalisé un examen clinique » comportant une analyse complète des capacités fonctionnelles de la salariée. L’arrêt détaille les constatations opérées : boiterie avec schéma de marche perturbé, impossibilité de marche sur la pointe des pieds, accroupissement impossible, appui unipodal non tenu, réduction significative des amplitudes articulaires.

À l’inverse, le médecin consultant désigné par le tribunal et les médecins de recours de l’employeur n’ont procédé qu’à une expertise sur pièces, sans examiner la victime. La cour en tire une conséquence probatoire décisive : leurs observations « ne viennent pas utilement contredire l’avis du médecin conseil, qui a pu pratiquer un examen physique et prendre connaissance de l’intégralité du dossier médical ».

Cette solution s’explique par la nature même de l’incapacité permanente, qui traduit une diminution durable des capacités fonctionnelles. Seul un examen clinique permet d’apprécier concrètement les limitations imposées par les séquelles. L’expertise sur pièces, si elle peut éclairer sur la cohérence du dossier médical, ne saurait se substituer à l’observation directe des déficits fonctionnels.

La cour valorise également le rôle de la commission médicale de recours amiable, composée d’un médecin expert judiciaire et d’un médecin conseil étranger à la décision contestée. Cette commission s’est prononcée « connaissance prise de l’intégralité du rapport médical » et a confirmé le taux de 10 %. Cette double validation renforce la légitimité du taux initialement fixé.

B. L’exigence de motivation du juge dans l’appréciation médicale

La Cour de cassation a jugé qu’il appartient au juge de « se prononcer sur l’ensemble des éléments concourant à la fixation » du taux d’incapacité. La cour d’appel de Rennes fait application de cette exigence en censurant la motivation insuffisante du tribunal.

Les premiers juges s’étaient bornés à constater que les conclusions du médecin consultant étaient « claires et dénuées d’ambiguïté ». La cour relève qu’ils n’ont pas expliqué la réduction du taux « au regard des séquelles de l’assurée et du chapitre 4.2.6 du barème ». Cette lacune justifie l’infirmation du jugement.

L’exigence de motivation répond à une double finalité. Elle garantit que le juge a effectivement exercé son pouvoir d’appréciation souveraine sur les éléments médicaux. Elle permet également aux parties de comprendre les raisons de la décision et d’exercer utilement leur droit de recours. En matière de taux d’incapacité, cette motivation doit nécessairement confronter les constations cliniques aux prévisions du barème indicatif.

La cour reprend méthodiquement les éléments justifiant le taux de 10 % : difficultés à la marche, atteintes à la mobilité articulaire, douleurs à la palpation et diagnostic d’algodystrophie. Cette analyse détaillée démontre que le taux retenu par la caisse correspondait à la fourchette basse du barème pour les algodystrophies du membre inférieur, laquelle s’étend de 10 à 30 %. Le tribunal ne pouvait réduire ce taux sans justifier en quoi les séquelles constatées ne relevaient pas de cette qualification.

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Hassan KOHEN
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