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L’opération de fusion ou d’absorption d’entreprises, si elle emporte transfert automatique des contrats de travail, constitue un moment de vulnérabilité particulière pour les salariés. La question de l’articulation entre l’obligation de sécurité de l’employeur et les transformations organisationnelles inhérentes à ces restructurations se pose avec acuité lorsqu’un salarié est déclaré inapte à l’issue du processus d’intégration.
En l’espèce, une salariée avait été embauchée en 2004 par un centre de gestion agréé en qualité d’assistante comptable à temps partiel. En 2008, son temps de travail avait été augmenté. En janvier 2018, un avenant lui attribuait la qualification de technicien-gestionnaire. En octobre 2019, le centre de gestion faisait l’objet d’une fusion absorption par une association de gestion et de comptabilité, ce qui entraînait l’alignement du statut du personnel des deux structures. Un avenant au contrat de travail, modifiant l’intitulé de son poste en assistante comptable, était soumis à la salariée qui le refusait. Le 2 décembre 2019, elle était convoquée à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire. Placée en arrêt de travail à compter du 13 décembre 2019, elle sollicitait en janvier 2020 une rupture conventionnelle. Le 30 juin 2020, le médecin du travail la déclarait inapte à son poste de travail, précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement. Le 27 juillet 2020, elle était licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, la salariée saisissait le conseil de prud’hommes aux fins de voir reconnaître l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture, invoquant des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle soutenait que l’association n’avait pas pris la mesure des risques psychosociaux engendrés par la fusion, qu’elle avait subi une rétrogradation et une modification unilatérale de ses fonctions, notamment par le basculement des appels téléphoniques sur sa ligne. Par jugement du 9 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Quimper la déboutait de l’ensemble de ses demandes. La salariée interjetait appel.
La cour d’appel de Rennes, par arrêt du 19 juin 2025, devait déterminer si l’inaptitude de la salariée était consécutive à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
La cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle relève que l’employeur justifie avoir identifié un risque psychosocial lié à l’absorption et mis en œuvre des mesures appropriées pour le prévenir, dont la matérialité et la pertinence ne sont pas discutées. Elle constate que la salariée n’établit pas autrement que par ses propres affirmations une dégradation de ses conditions de travail, ni d’une quelconque alerte portée à la connaissance de l’employeur avant son arrêt de travail. Elle relève qu’aucun lien n’est avéré entre l’inaptitude médicalement établie et des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité.
Cet arrêt invite à examiner les conditions dans lesquelles un salarié peut contester son licenciement pour inaptitude en invoquant un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (I), avant d’analyser les conséquences probatoires de l’absence d’alerte préalable (II).
I. L’obligation de sécurité de l’employeur à l’épreuve des restructurations
L’arrêt précise d’abord le cadre juridique applicable (A), avant d’apprécier les mesures concrètes mises en œuvre par l’employeur (B).
A. Le rappel du régime de l’obligation de sécurité
La cour d’appel de Rennes rappelle avec fermeté le principe selon lequel est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude « lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ». Cette formulation reprend une jurisprudence désormais classique de la Cour de cassation.
La cour se réfère aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour définir le contenu de l’obligation de sécurité. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ce qui comprend notamment des actions de prévention des risques professionnels et la mise en place d’une organisation adaptée.
La cour précise ensuite l’articulation de la charge de la preuve : « Le salarié est tenu de démontrer la connaissance du risque par l’employeur, notamment en rapportant l’alerte émise sur le risque, sauf si cette connaissance est présumée. Ensuite, il suffit au salarié d’alléguer la violation de l’obligation de sécurité sans avoir à la démontrer et il incombe à l’employeur d’établir qu’il a effectivement pris les mesures nécessaires. » Cette répartition probatoire, issue de l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, impose à l’employeur qui entend s’exonérer de sa responsabilité de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les textes.
La cour ajoute que le juge doit apprécier et analyser « la rationalité, la pertinence et l’adéquation des mesures effectivement prises par l’employeur ». Cette formulation souligne que le contrôle juridictionnel ne se limite pas à vérifier l’existence formelle de mesures de prévention, mais s’étend à leur caractère approprié au regard du risque identifié.
B. L’appréciation des mesures de prévention mises en œuvre
En l’espèce, la cour constate que l’employeur avait identifié un risque psychosocial lié à l’opération de fusion. Elle relève l’existence d’un plan d’actions daté de juin 2019 mentionnant diverses mesures d’accompagnement : réunions avec les instances représentatives, échanges individuels avec les collaborateurs, élaboration d’un livret d’accueil, rencontres avec la MSA.
La cour note que l’employeur justifie de l’organisation d’une réunion d’accueil le 2 octobre 2019 pour présenter l’accord de substitution, d’une formation les 3 et 4 octobre suivants, et de l’envoi à la salariée de l’accord de substitution et de la grille de salaire le 10 octobre 2019.
Elle examine également la conformité de l’avenant proposé à la salariée avec l’accord de substitution signé le 1er octobre 2019. Elle constate que cet avenant n’entraînait « ni perte d’ancienneté, ni perte de revenu, ni diminution des heures de travail, ni modification de son emploi, seul l’intitulé du poste ayant changé ». Cette analyse neutralise l’argument de la rétrogradation invoqué par la salariée.
La cour conclut que l’employeur « justifie ainsi qu’elle a identifié un risque psycho-social lié à l’absorption du Cedem et de ses salariés et qu’elle a mis en œuvre des mesures appropriées pour les prévenir dont la matérialité et la pertinence ne sont pas discutées ». Cette formulation souligne que la salariée n’avait pas contesté utilement le caractère adéquat des mesures prises, se bornant à critiquer leur mise en œuvre sans apporter d’éléments probants.
II. L’exigence d’une alerte préalable comme condition du renversement de la charge probatoire
L’arrêt met en lumière l’importance de l’alerte dans le mécanisme probatoire (A), avant de tirer les conséquences de son absence (B).
A. Le rôle déterminant de l’alerte dans l’établissement du manquement
La cour rappelle que le salarié doit démontrer la connaissance du risque par l’employeur, notamment en rapportant l’alerte émise sur le risque. Cette exigence s’inscrit dans la logique du régime probatoire dégagé par la jurisprudence : c’est parce que l’employeur connaît ou devrait connaître le risque que son inaction devient fautive.
En l’espèce, la cour relève que la salariée « n’établit pas autrement que par ses propres affirmations une dégradation de ses conditions de travail, ni d’une quelconque alerte portée à la connaissance de son employeur avant son arrêt de travail ». Elle note que la salariée se contente de produire un courriel du 29 octobre 2019 dans lequel elle indique ne plus souhaiter gérer les appels téléphoniques, sans que ce document puisse être qualifié d’alerte sur une atteinte à sa santé.
La cour observe également que la salariée « n’a lancé aucune alerte auprès du CSE, de la CSSCT ou des syndicats ». Cette remarque souligne que les voies institutionnelles de signalement n’avaient pas été mobilisées, ce qui fragilise considérablement la thèse d’une dégradation des conditions de travail connue de l’employeur.
Concernant la sanction disciplinaire invoquée, la cour constate que la salariée « ne la produit pas, pas plus qu’elle ne justifie du contenu de l’entretien préalable à cette sanction ». L’absence de production de cette pièce, que la salariée n’avait d’ailleurs pas retirée, prive la cour de tout élément permettant d’apprécier la réalité des pressions alléguées.
B. L’absence de lien de causalité entre le comportement de l’employeur et l’inaptitude
La cour examine les éléments médicaux produits par la salariée, notamment son dossier individuel de santé au travail faisant état d’une prescription d’antidépresseur depuis mai 2019 et de troubles anxieux. Elle constate cependant qu’« aucun lien n’est avéré entre l’inaptitude médicalement établie le 30 juin 2020 et des manquements de son employeur à son obligation de sécurité ».
Cette formulation souligne que l’existence d’une souffrance psychologique ne suffit pas à établir l’imputabilité de l’inaptitude à un comportement fautif de l’employeur. Le salarié doit démontrer non seulement l’existence d’un manquement, mais également le lien de causalité entre ce manquement et son état de santé.
La cour relève à titre surabondant que la salariée avait, dès janvier 2020, sollicité une rupture conventionnelle en invoquant d’autres projets professionnels, et qu’elle avait effectivement ouvert un restaurant au printemps 2021. Ces éléments, sans être déterminants, contribuent à fragiliser la thèse d’une inaptitude causée exclusivement par les agissements de l’employeur.
Au terme de cette analyse, la cour conclut qu’« aucun manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude de Mme [Y] n’est établi ». Cette conclusion illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient les demandes tendant à voir requalifier un licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La simple concomitance entre une restructuration et une dégradation de l’état de santé ne suffit pas : le salarié doit établir un manquement caractérisé de l’employeur à son obligation de sécurité et le lien de causalité avec l’inaptitude constatée.