Cour d’appel de Rennes, le 2 juillet 2025, n°24/01149

Rendue par la Cour d’appel de Rennes le 2 juillet 2025 (9e chambre sécurité sociale), la décision tranche deux séries de questions autour d’une contrainte sociale et d’une demande indemnitaire fondée sur un manquement à l’obligation d’information. Un travailleur indépendant, ayant formé opposition à une contrainte délivrée pour des cotisations de 2021, a été partiellement débouté par le tribunal judiciaire de Brest, qui a validé la contrainte pour un montant réduit, l’a condamné aux frais de recouvrement et a rejeté sa demande de dommages et intérêts. L’appel a été limité aux chefs relatifs aux frais de recouvrement, à l’indemnisation et aux dépens. L’organisme de recouvrement sollicitait l’irrecevabilité de l’appel au regard du taux du ressort, tandis que le cotisant invoquait une demande reconventionnelle de 10 000 euros formée en première instance. La Cour devait déterminer, d’une part, si la présence d’une demande reconventionnelle dépassant le seuil rendait l’appel recevable malgré la qualification « en dernier ressort », et, d’autre part, si l’organisme gestionnaire avait commis une faute en refusant de liquider la retraite faute de paiement intégral des cotisations, avec les conséquences attachées aux frais de recouvrement. Elle admet l’appel, rejette toute faute de l’organisme, confirme la charge des frais et alloue une indemnité procédurale à l’intimé.

I. Recevabilité de l’appel et fonction du taux du ressort

A. Appréciation d’après le dernier état des demandes

La Cour rappelle d’abord la règle de principe selon laquelle la recevabilité de l’appel, sous le seuil, se détermine au regard des prétentions effectivement soumises au premier juge. Elle énonce ainsi que « Il convient de préciser que le taux du ressort doit s’apprécier d’après le dernier état des demandes. » Cette formulation s’aligne sur la jurisprudence civile qui retient une appréciation globale et actualisée des prétentions, indépendamment d’une étiquette procédurale inexacte. La qualification portée par le dispositif de première instance est donc neutre au regard du droit au recours, l’article 536 du code de procédure civile neutralisant l’erreur de libellé sur le régime des voies de recours.

Cette grille de lecture évite que la mécanique du taux du ressort ne se transforme en piège formaliste, surtout lorsqu’une demande incidente, de nature indemnitaire, modifie l’économie du litige. Elle sert la cohérence systémique entre l’article 39 du code de procédure civile et l’accès au juge d’appel, en empêchant qu’un jugement partiellement « dernier ressort » par énoncé soit opposé à une demande excédant le seuil.

B. Effet de la demande reconventionnelle et neutralisation de l’étiquetage

Appliquant ces principes, la Cour retient que la demande reconventionnelle en dommages et intérêts, chiffrée à 10 000 euros, excède le seuil et ne constitue pas une simple demande accessoire. Elle énonce, en des termes dépourvus d’ambiguïté, que « Dès lors que cette demande reconventionnelle excédant le taux du ressort ne peut être qualifiée de demande accessoire à la demande principale, laquelle n’est plus discutée, l’appel sera déclaré recevable, peu important que le tribunal ait statué par une décision qualifiée de façon erronée de “jugement en dernier ressort”. » La solution s’inscrit dans la continuité du principe d’unicité du ressort et consacre l’idée qu’une demande reconventionnelle autonome, excédant le seuil, emporte la compétence d’appel pour l’ensemble, même si le principal, lui, est d’un montant inférieur.

La portée pratique est nette. Les justiciables préservent l’accès à l’appel lorsque, devant le premier juge, une prétention incidente non accessoire dépasse le seuil. Les juridictions du fond conservent, en retour, la maîtrise de l’unité du litige sans créer d’angles morts contentieux par un étiquetage erroné. L’économie du procès, ainsi rationalisée, ouvre la voie à l’examen au fond des griefs subsidiaires relatifs aux obligations d’information et aux frais.

II. Obligation d’information et condition de liquidation des droits

A. Absence de faute de l’organisme au regard d’une condition statutaire claire

Au fond, le différend portait sur le refus de liquider la retraite du cotisant à la date sollicitée, en raison d’arriérés de cotisations. La Cour se fonde sur la clause statutaire applicable, qu’elle cite en ces termes: « La liquidation de la pension ne peut être effectuée avant que la totalité des cotisations et majorations échues, au titre des années antérieures à l’entrée en jouissance de la pension, ne soit acquittée. » Le dossier révélait des impayés sur plusieurs exercices, antérieurs et en cours, à la date d’effet demandée. L’organisme avait, de surcroît, averti l’intéressé des conséquences d’un défaut de régularisation, et notifié le rejet.

Dans ce cadre, la Cour écarte toute faute, jugeant que le retard de liquidation résulte exclusivement de l’absence de paiement intégral. Elle constate, de manière synthétique, que « La preuve d’une faute commise par la [4] n’est donc pas rapportée. » La solution est conforme au droit positif, qui fait peser l’initiative de la régularisation sur l’assuré et distingue strictement l’obligation d’information de l’obligation de résultat attachée à la liquidation. Elle rappelle aussi que l’information délivrée, lorsqu’elle est claire sur les conditions d’ouverture des droits, satisfait aux exigences de loyauté, sans déplacer la charge des arriérés.

B. Frais de recouvrement et conséquence de l’opposition partiellement infondée

Restait la question des frais de recouvrement attachés à la contrainte validée. La Cour vise le texte qui met ces frais à la charge du débiteur sauf opposition fondée. Elle ancre sa solution dans une jurisprudence constante, en rappelant que « Il a été jugé que la juridiction de la sécurité sociale ne peut dispenser le débiteur des frais de signification de la contrainte et de tous les actes de procédure nécessaires à son exécution, tout en jugeant l’opposition partiellement mal fondée. » Le maintien des frais découle mécaniquement de la validation de la contrainte pour la période retenue, l’opposition n’ayant pas prospéré.

La portée est double. D’une part, l’équilibre du recouvrement est préservé, la charge des actes nécessaires pesant sur le débiteur qui succombe. D’autre part, la ligne jurisprudentielle évite les solutions mixtes incohérentes, où une opposition partiellement infondée exonérerait néanmoins des frais indispensables à l’exécution. La Cour confirme en conséquence la condamnation aux frais, refuse l’indemnisation, et alloue une somme au titre des frais irrépétibles, achevant ainsi une motivation à la fois pédagogique et conforme aux principes applicables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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