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Par un arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 2 septembre 2025 (n° RG 22/00755), l’affaire porte sur une liquidation-partage délicate. Des cohéritiers s’opposent au sujet de créances alléguées et d’usages contestés de biens indivis.
Les époux, passés en séparation de biens en 1957, exploitaient une ferme et un abattoir. Les successions se sont ouvertes en 2012 puis 2013, avec un actif mixte immobilier et professionnel.
Des cessions et un partage partiel sont intervenus en 2014, suivis d’une médiation conventionnelle en 2015 conclue par un procès-verbal de difficultés. Une assignation de fin 2016 a sollicité l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage.
Le tribunal judiciaire de Vannes, le 14 décembre 2021, a ordonné des expertises, écarté des salaires différés et déclaré prescrites certaines créances salariales et indemnités. En appel, l’un des cohéritiers demande l’infirmation partielle, les autres concluent à la confirmation, tout en soulevant des demandes incidentes.
Les prétentions portent sur un salaire différé pour deux descendants, des salaires 2006 et une indemnité de départ à la retraite, des avances et honoraires, une indemnité d’occupation et la restitution de matériel. Le périmètre de l’expertise comptable est discuté.
La juridiction d’appel confirme l’essentiel, rejette l’indemnité d’occupation faute de jouissance exclusive, et étend l’expertise à la période d’administration provisoire. Elle précise les exigences de preuve et de prescription des créances au passif successoral, et l’office de l’expert judiciaire.
I. Exigences probatoires et temporelles des créances alléguées
A. Salaire différé: participation effective et régularité
La cour rappelle la charge de la preuve pesant sur le descendant. Elle énonce que «C’est à celui qui se prétend créancier d’un salaire différé de prouver qu’il remplit les conditions posées par la loi.» La formule resserre l’examen sur l’effectivité, la régularité et la gratuité de la collaboration.
Elle admet la possibilité d’une quotité réduite, sans abaisser l’exigence de consistance. Elle précise que «Il est admis que le descendant de l’exploitant agricole qui a participé partiellement à l’exploitation peut bénéficier d’une créance de salaire différé partielle (Cass. civ. 1ère, 12 octobre 2022, n° 21-12.644).» La participation partielle ne suffit pourtant pas sans assise probatoire précise.
Le critère décisif tient à la constance de l’aide fournie. La juridiction insiste: «De plus, si la participation à l’exploitation ne peut être que partielle, elle doit néanmoins être régulière et effective.» Des attestations lacunaires sur les dates, centrées sur des périodes agricoles circonscrites, ne démontrent pas une contribution suivie.
Appliquant ces principes, la cour écarte deux demandes. D’un côté, l’absence d’éléments objectifs sur une aide ancienne commande le rejet. De l’autre, la coexistence d’un emploi à temps plein et d’une exploitation propre, l’importance du cheptel et la présence d’ouvriers excluent la nécessité d’une collaboration régulière et gratuite. Le salaire différé, même partiel, suppose un faisceau probant rigoureux.
B. Prescription et reconnaissance de dette: portée et limites
La décision opère un rappel ferme des conditions d’interruption de prescription. Elle juge que «En toute hypothèse, pour interrompre la prescription, la reconnaissance de dette doit émaner du débiteur ou de son mandataire, condition que ne remplit pas l’expert-comptable qui n’est ni le préposé ni le mandataire de son client auquel il est lié par un contrat de louage d’ouvrage (Civ 1ère, 4 mai 2012, n° 11-15.617).» Les écritures comptables préparées par un tiers ne suffisent donc pas.
La cour ajoute que «De plus, la reconnaissance du droit du créancier figurant dans un document qui ne lui est pas adressé interrompt la prescription s’il contient l’aveu non équivoque par le débiteur de l’absence de paiement (Civ. 1ère, 2 décembre 2020, n° 19-15.813).» L’aveu doit être clair, actuel, et imputable au débiteur. À défaut, le délai suit son cours.
Elle en déduit, s’agissant des salaires de 2006, l’impossibilité d’inférer une reconnaissance depuis des bilans fragiles: «il n’est donc pas possible de retenir que le bilan versé au titre de l’exercice 2011, produit aux débats, vaudrait reconnaissance de dette non équivoque de la part du de cujus et qu’il constituerait à ce titre un acte interruptif de prescription.» La médiation postérieure ne ranime pas l’action éteinte.
L’indemnité de départ à la retraite a bien fait l’objet d’un aveu écrit du débiteur, mais hors délai au regard de la prescription applicable. La demande tardive est déclarée irrecevable. Enfin, la prétention d’honoraires personnels échoue, faute de convention et de facturation, les flux identifiés s’adressant en réalité à une personne morale distincte. La créance antérieure est prescrite, les autres sont dépourvues de base contractuelle vérifiable.
II. Jouissance des biens indivis et pouvoirs d’instruction
A. Indemnité d’occupation: exigence de jouissance privative
La cour écarte la fin de non-recevoir, relevant que «le tribunal a tranché le principe même d’une indemnité d’occupation». Elle statue donc sur le fond, au regard des conditions strictes de l’article 815-9 du code civil.
Elle rappelle que «Ainsi, seule une jouissance privative des lieux par un indivisaire permet de lui réclamer une indemnité d’occupation.» La preuve doit établir une exclusivité empêchant l’usage concurrent des coïndivisaires. De simples pâtures ponctuelles, non datées ni continues, ne suffisent pas.
Constatant l’absence d’animaux lors des contrôles et visites, l’incertitude des clichés, et l’inexistence d’une entrave avérée aux droits concurrents, la cour conclut nettement: «La jouissance exclusive n’étant pas démontrée, aucune indemnité d’occupation n’est due.» L’infirmation partielle du jugement s’ensuit, sans remise en cause de l’expertise foncière déjà réalisée.
B. Restitution du matériel et office de l’expert
La juridiction clarifie d’abord le périmètre de la cession de matériel en retenant la facture réellement définitive et payée. Les prétentions de restitution butent sur l’imprécision des constats et la confusion d’origines, tandis que certains équipements proviennent d’acquisitions tierces. Seul un engin a été appréhendé puis restitué après réparation.
Sur ce point, l’évaluation d’une valeur locative est écartée pour défaut d’utilité et disproportion. La cour réaffirme que «La cour en déduit que la valeur locative de ce télescopique est nulle». Elle précise encore que «l’expertise judiciaire n’ayant pas vocation à suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve.» La mesure d’instruction ne répare pas l’insuffisance probatoire des demandeurs.
S’agissant du contrôle comptable, la cour ordonne un complément d’expertise couvrant la période d’administration provisoire. La continuité des interventions matérielles sur la comptabilité, postérieurement au décès, justifie l’extension temporelle. L’office de l’expert s’en trouve précisé sans empiéter sur l’appréciation souveraine de la preuve.