Cour d’appel de Rennes, le 2 septembre 2025, n°22/01000

Par un arrêt du 2 septembre 2025, la Cour d’appel de Rennes statue sur l’évaluation d’une donation et un grief de recel successoral. La décision examine surtout la régularité d’une expertise immobilière contestée au regard du contradictoire et des normes professionnelles, puis confirme le partage.

Deux époux mariés depuis 1949 ont adopté, en 2004, une communauté universelle avec attribution intégrale au survivant. En 2008, ils ont donné à l’un de leurs enfants un immeuble de bord de mer comprenant bâtiments anciens, hangar et étang, évalué 276.000 euros. Les décès survenus en 2011 et 2014 ont ouvert une succession comprenant plusieurs immeubles, des terres, du mobilier et des avoirs bancaires.

La mésentente a conduit une instance devant le tribunal de grande instance de Quimper, qui a ordonné en 2018 une expertise de la donation. L’expert a déposé un pré‑rapport en mai 2019, puis un rapport définitif en décembre 2020. Par jugement du 18 janvier 2022, le tribunal a refusé la nullité de l’expertise, fixé la valeur à 291.000 euros et rejeté le recel.

Le donataire a relevé appel, sollicitant l’annulation de l’expertise pour atteinte au contradictoire et la fixation d’une valeur ramenée à 205.000 euros. Les cohéritiers intimés ont demandé la confirmation, la rectification d’une omission de statuer sur l’article 700 et l’allocation de frais irrépétibles d’appel.

La cour d’appel devait déterminer si les opérations d’expertise satisfaisaient aux exigences du contradictoire et si la méthode retenue justifiait la valeur fixée. Elle devait aussi apprécier la preuve d’un recel successoral et rappeler ses sanctions, tout en statuant sur les frais et une omission de statuer. Elle confirme le jugement, rectifie l’omission et condamne l’appelant aux frais irrépétibles d’appel, les dépens étant employés en frais privilégiés de partage.

I – La régularité de l’expertise et la fixation de la valeur rapportable

A – Le contradictoire et les obligations de l’expert

La cour fixe d’abord la norme applicable. Elle énonce que « Les articles 232 et suivants du code de procédure réglementant les mesures d’instruction exécutées par un technicien soumettent les opérations d’expertise au contradictoire et imposent à l’expert judiciaire de prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent de même que de faire mention, dans son avis, de la suite donnée aux observations ou réclamations présentées. » L’exigence est double, puisqu’elle vise la prise en compte des dires et la traçabilité de leur traitement dans l’avis.

Elle complète par un rappel probatoire décisif: « Selon la jurisprudence, les formalités prescrites par l’article 276 du code de procédure civile qui concernent les observations ou réclamations des parties ont un caractère substantiel mais leur inobservation n’entraine la nullité de l’expertise qu’à charge pour la partie qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité. » La nullité repose donc sur l’existence d’un grief, dont la preuve incombe au contestataire.

Au regard de ces critères, la formation retient un pré‑rapport communiqué, des réponses systématiques aux dires, et des réunions menées en présence des parties et d’un sapiteur. Elle admet que l’expert n’avait pas à visiter physiquement les biens de comparaison, inoccupés par les parties et exposés à des contacts antérieurs de l’appelant, ce qui en affectait la fiabilité. La mise à jour des références au moyen de données publiques, ainsi que l’explicitation des indices littoraux mobilisés, ont conforté la transparence méthodologique.

La solution est assumée dans une formule brève et ferme: « Sous le bénéfice de ces observations, le jugement qui a rejeté la demande d’annulation du rapport d’expertise sera confirmé sur ce point. » L’articulation entre contradictoire, grief et motivation technique y apparaît cohérente et conforme au standard prétorien.

B – La méthode d’évaluation et la confirmation de la valeur

La cour contrôle ensuite la méthode de valorisation. Les surfaces ont été relevées contradictoirement par un sapiteur, qui a distingué 136,28 m² habitables et 181,79 m² de surface utile nette. L’expert a écarté le hangar trop dégradé, puis appliqué une pondération de 0,3 sur la surface utile, pour retenir 150 m² arrondis. Le prix unitaire a été fixé à 1.940 euros par mètre carré, après actualisation des références en cohérence avec l’évolution spécifique du marché littoral.

Les critiques tenant au choix de la surface habitable plutôt que de la surface utile sont écartées, la cour relevant l’absence de mesurage certifié initial et la pertinence de la pondération au vu de l’état des lieux. L’actualisation par données consolidées, et l’exclusion de références contestées après débat contradictoire, confèrent une assise raisonnable à l’avis. L’argument postulant 205.000 euros, qui impliquerait une décote d’environ 25 % depuis l’évaluation notariale de 2008, n’est soutenu par aucune référence fiable.

La cour entérine ainsi la conclusion du premier juge: « Sous le bénéfice de ces observations, le jugement qui a fixé la valeur vénale du bien immobilier litigieux à la somme de 291.000 € sera confirmé sur ce point. » Le contrôle exercé demeure normal, respectueux de l’autonomie technique dès lors que la méthode est explicitée, contradictoire et pertinente.

II – Le recel successoral allégué et ses exigences probatoires

A – Définition légale et sanction

La juridiction d’appel cite la règle de principe, dont la portée est nette: « Sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputée accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.

L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. » Le texte cumule des sanctions civiles fortes, articulées autour de la perte des droits sur les biens recelés et de la restitution des fruits.

La cour précise l’assiette factuelle du recel: « Le recel vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l’égalité du partage, soit qu’il divertisse des effets de la succession en se les appropriant indûment soit qu’il les recèle en dissimulant sa possession dans des circonstances où il serait tenu de les déclarer. » La finalité d’atteinte à l’égalité du partage oriente la qualification.

L’exigence probatoire est ensuite rappelée, dans des termes classiques: « Il appartient à celui qui allègue l’existence d’un recel successoral de prouver non seulement l’élément matériel du détournement mais aussi l’élément intentionnel puisque le recel ne peut être qualifié que si l’héritier a agi dans un dessein frauduleux et de mauvaise foi. » La démonstration doit donc établir un fait matériel identifié et un dessein frauduleux.

B – Défaillance probatoire et rejet des prétentions

Appliquant ces principes, la cour observe que la demande n’énumère pas, au dispositif, les biens prétendument détournés. Un inventaire notarié, dressé après décès, liste le mobilier et confère un cadre objectif à la discussion. La pose de scellés n’est pas datée quant à leur levée, tandis que l’accès au domicile, après changements de serrures successifs, a été partagé par tous les cohéritiers.

En l’absence d’identification des personnes susceptibles d’avoir soustrait les biens, et d’une période déterminée de disparition, l’élément matériel demeure incertain. L’intention frauduleuse ne peut davantage se déduire d’allégations générales, non corroborées par des preuves concordantes. Le recel, qui présuppose un détournement caractérisé et une volonté de rompre l’égalité, n’est pas constitué.

La réformation n’était pas justifiée; la cour confirme le rejet de la demande de recel et, par voie de conséquence, du volet indemnitaire. Elle rectifie l’omission de statuer relative aux frais irrépétibles de première instance, puis alloue des frais d’appel, tout en employant les dépens en frais privilégiés de partage. L’économie de la décision valorise la discipline procédurale et dissuade les stratégies dilatoires en phase d’expertise.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture